3.4.1. La cohérence entre les groupes clinique et statistique.

Lorsque nous observons la distribution en deux classes des performances recueillies à partir des subtests du WISC et du K-ABC, nous constatons bien l'existence de deux profils distincts sans modification radicale des groupes diagnostiques. En effet, les deux groupes statistiques sont pratiquement superposables aux groupes cliniques, à quelques exceptions près puisque sur quarante sept sujets, seuls sept ne sont pas affectés dans leur groupe clinique d'origine, soit seulement 15 % des enfants. Nous allons maintenant examiner le statut diagnostique particulier de ces enfants.

Tout d'abord, parmi ces sept sujets, trois enfants ont été réorientés vers des Instituts Médico Educatifs (IME). Cette décision d'orientation a été prise après avoir constaté l'inadaptation relative du dispositif de soin au regard des tableaux diagnostiques complexes et intriqués de ces sujets. Il s'agit de trois enfants que nous nommerons : Cyril, William et Xavier.

Cyril (sujet 3E06032), est un enfant qui présente un retard intellectuel important (QIt : 48) sur fond d'une histoire infantile très carentielle. Il appartient à une famille bien connue du service de psychiatrie infanto-juvénile qui s'occupe des trois enfants de la fratrie. Les profils psychopathologiques des trois enfants évoquent une forte dimension abandonnique s'inscrivant dans un contexte familial difficilement contenant. Le diagnostic clinique initial de Cyril le situe du côté des dysharmonies évolutives en plaçant au premier plan le retard développemental, les troubles du comportement, sans altération profonde du rapport à la réalité. En fait, le tableau diagnostic apparaît plus complexe et intriqué qu'à l'initial. En premier lieu nous observons que toutes les performances aux test sont homogènes et basses, ce qui explique certainement, en partie, son assimilation au groupe des dysharmonies psychotiques, puisque celles-ci montrent globalement les performances plus faibles. Ensuite, s'il n'y a certes pas de rupture dans le rapport avec la réalité, nous notons plus particulièrement l'importance des troubles instrumentaux qui accompagnent ce retard mental moyen à caractère fixé. L'ensemble du tableau pourrait d'ailleurs évoquer un diagnostic de déficience dysharmonique plutôt que de dysharmonie évolutive. Après deux années passées en classe d'intégration scolaire et compte tenu des faibles progrès constatés, une réorientation en IME fut proposée.

William (sujet : 3E06058), est diagnostiqué par le médecin pédopsychiatre comme un enfant psychotique montrant des troubles sévères du langage. Le protocole de recherche mettra en évidence l'importance de la dimension dysphasique dans le tableau clinique (QIv : 46 ; QIp : 93). Un bilan réalisé par le Centre Alpin de Diagnostique Précoce de l'Autisme (Cadipa) l'a récemment diagnostiqué "au seuil de l'autisme léger" (c'est à dire ici à la limite de l'autisme léger), à partir d'une évaluation clinique réalisée à l'aide de la CARS251 (Childhood Autism Rating Scale, 1986). L'importance des troubles du langage (dont une suspicion d'agnosie verbale d'origine neurodévelopementale) l'a manifestement conduit, depuis une période précoce, à privilégier les informations visuelles et spatiales pour organiser son adaptation au monde. Cette préférence pour le matériel visuo-spatial, lié ici à déficit auditivo-verbal spécifique, explique un profil cognitif proche de celui des dysharmonies évolutives 252 ainsi que son affectation au sein de ce groupe.

Xavier (sujet : 3E06053) a déjà dix ans lorsqu'il est accueilli à Graffiti. Il a bénéficié jusqu'alors d'une hospitalisation de jour qui a progressivement été remise en question au rythme de ses multiples passages à l'acte agressifs. Son entrée en CLIS s'est effectuée progressivement en cours d'année scolaire, associant conjointement l'intégration scolaire avec l'hospitalisation de jour, avant d'intégrer l'école à temps complet. C'est effectivement du côté du comportement que la situation apparaît la plus fragile. Il s'agit d'un enfant qui a besoin d'être contenu et qui se montre toujours à la limite du passage à l'acte, de la perte du contrôle ou de l'effondrement. Au rythme des crises donnant lieu à des actes agressifs et dangereux, tant pour lui-même que pour les autres enfants, il est fréquemment isolé de l'ensemble des temps collectifs inhérents à la vie scolaire, de telle sorte que l'intérêt d'un projet d'intégration dans un cadre ordinaire se vide de son sens. Les troubles psychopathologiques, et surtout du comportement, sont coûteux sur le plan cognitif puisque l'évaluation cognitivo-intellectuelle le situe à la limite supérieure du retard mental léger (QIt : 69) selon une répartition homogène entre l'échelle verbale et l'échelle de performance. Il s'agit donc ici d'un tableau clinique complexe, où les aspects concernant les capacités de contrôle, de contenance de l'impulsivité et de l'agressivité, prennent une place déterminante et entretiennent l'incertitude diagnostique, tant du point de vue clinique que du côté de la solidité des performances cognitives recueillies. Devant les difficultés d'intégration rencontrées et afin de ne pas mettre en péril l'ensemble du dispositif, une orientation vers un IME sera proposée à Xavier et à sa famille.

Ainsi, pour ces trois enfants l'appréciation diagnostique est rendue difficile par la présence de troubles associés de différents ordres : déficience mentale, pathologie neuro-développementale, ou encore troubles du comportement et des conduites socialisées. Autant d'éléments qui situent ces enfants à la limite des catégories diagnostiques utilisées dans le cadre de cette recherche. Ceci dit, les observations concernant ces trois enfants renvoient plus globalement à la difficulté d'établir un diagnostic en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, où les aspects développementaux tiennent une place importante à côté des processus psychopathologiques eux-mêmes. C'est la raison pour laquelle le diagnostic doit toujours être considéré comme une appréciation portée à un moment donné du développement de l'enfant, donc susceptible d'évolution, et comme le résultat d'une discussion diagnostique contradictoire entre les professionnels qui ont à prendre en charge cet enfant, donc susceptible de révision. En fait, ces considérations générales concernant Cyril, William ou Xavier pourraient s'élargir aux quatre enfants qui complètent ce groupe pour lequel le diagnostic clinique diffère de la répartition statistique : Florian et Margot, pour lesquels un diagnostic de psychose était initialement proposé alors que le classement statistique les situe dans l'autre groupe ; Alexandre et Marion, qui appartenaient initialement au groupe des dysharmonies évolutives avant de rejoindre le groupe des dysharmonies psychotiques du point de vue de leur profil statistique.

Florian (sujet, 3E06041) présente un tableau psychopathologique totalement atypique qui fait encore actuellement débat au sein du service. Au regard de cette complexité sémiologique, son médecin pédopsychiatre l'a récemment proposé comme candidat à l'inclusion dans une recherche dirigée par l'Inserm, associée au Cadipa253 de Grenoble, intitulée : "Etude collaborative sur l'autisme de l'enfant : facteurs de risque pré, péri, et postnatals 254". Après avoir suivi le protocole diagnostique complet, comprenant des entretiens diagnostiques et une journée de bilan clinique et biologique au CHU de Grenoble, Florian sera écarté du cadre de cette recherche faute d'avoir montré le moindre signe d'autisme. Au fond, ce sont surtout les troubles attentionnels majeurs et l'intensité de l'hyperactivité, complétés par un important retard scolaire, qui caractérisent surtout sa pathologie. Autant de signes qui participent à la confusion du diagnostique clinique.

Nous pourrions continuer et discuter un à un les écarts diagnostiques constatés pour chacun des enfants suivants ; Margot (sujet, 3E06056), Alexandre (sujet, 3E06038) et Marion (sujet, 3E06057). Nous constaterions d'une part, à quel point l'élaboration diagnostique en psychopathologie de l'enfant reste une entreprise difficile, et d'autre part, la manière dont la pratique clinique, science du singulier, interroge constamment les modèles théoriques et le type de classification utilisé par les professionnels. Le parti pris théorique qui consiste à utiliser comme outil diagnostique la CFTMEA, implique d'utiliser comme référence le modèle dynamique et l'approche structurale de la personnalité qui en découle. Il n'est pas surprenant qu'un certain nombre de situations cliniques résiste à toute tentative taxonomique, entretenant un flou quant à leurs identifications diagnostiques. C'est ici une caractéristique commune à l'ensemble des systèmes de classification, quel que soit le modèle théorique sur lequel ces systèmes reposent, y compris lorsqu'ils ont une prétention dite "athéorique", comme c'est le cas avec le DSM IV. Dans le cadre de cette recherche, 85 % des sujets montrent un diagnostic clinique cohérent avec le profil cognitif de leur groupe. Il s'agit ici d'un premier résultat qui constitue un début de réponse aux interrogations que nous avions formulées. Cette première étape dans l'étude descriptive des caractéristiques cognitivo-intellectuelles des enfants, réalisée ici à partir des outils classiques d'évaluation du développement psychologique, met bien en évidence deux profils cognitifs apparemment caractéristiques des deux groupes distingués dans la population clinique globale qui intéresse cette recherche.

Notes
251.

Schopler E, Reichler R.J., Renner B.R. (1986), The Childhood Autism Rating Scale (CARS) for diagnostic screening and classification of autism, New York, Irvington.

252.

Nous anticipons ici les observations exposées dans les pages qui suivent à propos des profils cognitifs.

253.

Centre alpin de diagnostic précoce de l'autisme.

254.

Darrot J., Metzger L., Rey C.(2007), "Etude collaborative en cours sur les facteurs organiques et environnementaux de l'autisme : ce que les secteurs et les chercheurs ont à se dire", Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 55, Elsevier, p 66-71.