3.4.2.1 En ce qui concerne le WISC III

Notre première remarque concerne le QIt puisque nous observons une différence significative entre les deux entités nosographiques concernées (p < 0,01). Les enfants psychotiques, que l'on nomme par convention groupe A, accusent un retard mental nettement plus conséquent que les enfants présentant des troubles de la personnalité pris dans une dysharmonie d'évolution (groupe B). Le QIt moyen du groupe A s'élève en effet à 55,25 (c'est à dire au niveau de la valeur plancher du retard mental léger selon la Classification internationale des maladies de l'OMS255), alors que le QIt moyen du groupe B atteint le chiffre de 72,96 (soit à la limite supérieure du retard mental léger). Ainsi, évalués à l'aide du WISC, les deux groupes présentent un retard mental léger alors qu'ils ne se situent pas aux mêmes degrés de gravité à l'intérieur de cette catégorie. Si ces observations confirment bien que les deux groupes présentent des traits déficitaires intriqués aux troubles de la personnalité, les enfants psychotiques s'avèrent nettement plus affectés quant au développement et l'organisation des fonctions intellectuelles.

Une lecture plus attentive du graphique 4 montre que l'écart entre les deux populations cliniques résulte des différences de réussites réalisées aux subtests destinés au calcul du QIp, et plus particulièrement l'indice d'organisation perceptive (excepté pour le subtest Compréhension qui appartient à l'échelle verbale). Cette observation est encore plus nette lorsque l'on compare le QIv et le QIp à l'intérieur de chaque groupe et entre les groupes (graphique 5). Dans le groupe A, il n'y a pas de différence significative entre le QIv moyen [61,04] et le QIp moyen [57,63]. Alors que dans le groupe B, la différence entre le QIv moyen [68] et le QIp moyen [84,52] est significative (p < 0,001). Par ailleurs, il n'y a pas de différence significative entre les deux groupes pour le QIv alors qu'elle existe pour le QIp (p < 0,001). C'est donc bien le QI de performance qui marque la différence entre les deux profils cognitifs, où il apparaît que les capacités d'organisation perceptive sont relativement mieux préservées dans le cadre des dysharmonies évolutives comparativement aux dysharmonies psychotiques.

Ainsi, lorsque l'on s'intéresse aux résultats produits à partir du WISC III, l'analyse de variance effectuée subtest par subtest entre les deux groupes cliniques montre que les performances des dysharmonies évolutives sont systématiquement meilleures lorsqu'il s'agit des épreuves composant l'échelle non verbale, c'est à dire : Complètement d'images (p < 0,001), Code (p < 0,001), Arrangements d'images (p < 0,001), Cubes (p < 0,01), Assemblage d'objets (p < 0,001). Chacun de ces subtests implique le raisonnement et les relations spatiales, c'est à dire la représentation visuo-spatiale générale qui constitue d'ailleurs un des facteurs de groupe du modèle factoriel hiérarchique en trois strates de Carroll256 J. B. (1993). Il semble donc que le différentiel observé sur les QI totaux entre les deux groupes cliniques, porte en grande partie sur les différences de performances recueillies dans les subtests qui engagent spécifiquement ce facteur. En effet, l'échelle de performance du WISC III sollicite particulièrement les compétences perceptives visuelles, les capacités à se servir d'objets, le raisonnement et l'organisation spatiale qui apparaissent nettement mieux préservées dans le cadre des dysharmonies évolutives.

Ceci dit, si l'analyse des performances recueillies à partir de l'échelle non verbale permet d'expliquer les écarts observés sur les QI totaux entre les deux groupes cliniques, nous devons examiner le statut particulier du subtest Compréhension dont les performances sont significativement différentes (p < 0,02) d'un groupe à l'autre, alors que cette épreuve fait partie de l'échelle verbale. Il faut se rappeler que l'épreuve Compréhension met particulièrement en jeu le sens pratique de l'enfant, l'intégration des valeurs culturelles, des normes sociales et de l'éducation parentale. Elle met donc en scène des contenus normatifs à forte tonalité surmoïque et les associations que l'enfant est amené à faire sont ici directement liées à sa personnalité. Il s'agit d'un subtest à forte valeur projective et nous avions déjà évoqué les difficultés rencontrées dans cette épreuve par les enfants psychotiques qui produisent généralement des réponses étranges. C'est effectivement toute la question de l'altérité qui est mise en jeu ici, et il n'est pas étonnant de constater que ces enfants sont sévèrement en difficulté dans ce type d'épreuve.

Ceci dit, si le groupe des dysharmonies psychotiques obtient effectivement une note d'échelle moyenne très basse [3,38], les enfants appartenant au groupe des dysharmonies évolutives produisent des performances, certes, supérieures mais qui restent malgré tout très faibles puisque la note d'échelle moyenne s'élève seulement à [5,35]. Il ne s'agit donc pas d'un résultat généralisable d'un point de diagnostique, encore moins d'un critère psychométrique à partir duquel il deviendrait possible de distinguer, dans une perspective différentielle, la psychose de la dysharmonie d'évolution. Si la différence de performance entre les deux groupes est significative, les résultats sont globalement bas au sein de la population clinique globale. Une analyse qualitative des réponses permettrait certainement de mieux comprendre cet écart entre les deux groupes cliniques, mais ce constat nous confirme que l'ensemble des résultats obtenus dans le cadre de cette recherche n'a pas ici une valeur absolue et qu'il ne prend sens que dans ce contexte clinique particulier.

En effet, n'oublions pas qu'il s'agit de comparer les performances respectives de deux groupes d'enfants constitués au sein d'une population clinique originale et sélectionnée à partir d'un dispositif de soin. Ce biais de recrutement nous invite à la plus grande prudence quant à une généralisation possible de nos observations hors du contexte de cette recherche. Nous reviendrons un peu plus loin sur ces observations, mais il faut maintenant compléter cette lecture des performances recueillies à partir du WISC III par les résultats observés aux subtests complémentaires du K-ABC.

Notes
255.

Organisation Mondiale de la Santé.

256.

Carroll J. B. (1993), Human Cognitive Abilities, Cambridge University Press.