La lecture des résultats au K-ABC nous permet de compléter les réflexions précédentes par deux remarques :
Il faut retenir que la dichotomie séquentiel / simultané, notion théorique de base à partir de laquelle est construit le test, n’est pas pertinente pour différencier les deux groupes cliniques. En effet, les deux épreuves du protocole qui ont pour caractéristiques d’être saturées en processus séquentiel, c’est à dire Mémoire de chiffres et Suite de mots, sont échouées de la même manière par les enfants des deux groupes; [6,25] (moyenne des notes d’échelle) pour le groupe A à Mémoire de chiffres contre [6,83]pour le groupe B (p : 0,74), et [4,25] pour le groupe A à Suite de mots contre [5,70] pour le groupe B (p : 0,15). Ces deux subtests mettent en jeu principalement la mémoire immédiate auditive (l’empan mnésique) et les capacités attentionnelles de l’enfant, qui sont toutes les deux fortement sollicitées de manière transversale dans un grand nombre de tâches, notamment pour les apprentissages scolaires.
Etant donnée la différence observée au niveau des QI entre les deux populations, on aurait pu s’attendre à un écart significatif en faveur des dysharmonies évolutives, mais ce n’est pas le cas. Notons que ces deux épreuves reposent toutes les deux sur l’intégration auditives d’un matériel verbal et que les résultats obtenus auprès de l’ensemble de la population clinique sont cohérents avec les observations de Kaufman257 A. S. (1993) qui, à partir d’une revue de la littérature scientifique, conclue en la mise en évidence d’une chute systématique des processus séquentiels chez les enfants présentant, quelle que soit la pathologie, des troubles des apprentissages se traduisant par des difficultés scolaires. Ce qui est le cas dans ce contexte clinique. Pour résumer, il n’y a donc pas d’écart significatif entre les performances réalisées par les deux groupes à partir des subtests séquentiels mettant en jeu un matériel verbal.
Par contre, nous constatons une différence significative entre les deux groupes cliniques pour les deux subtests du K-ABC appartenant à l’échelle des processus simultanés et mettant en jeu, là aussi au bénéfice du groupe B, les compétences perceptives et l’organisation spatiale. Cette observation s’inscrit dans le prolongement des constats que nous avions effectués précédemment à partir des QIv et des QIp et où il apparaît, une fois de plus, que les capacités visuo-spatiales sont nettement mieux préservées dans le groupe des dysharmonies évolutives. En ce qui concerne Mémoire spatiale, les notes d’échelle moyennes sont respectivement de [7,87] pour le groupe B et [3,75] pour le groupe A, les deux groupes produisent des performances significativement différentes (p < 0,001), mais faibles pour l’âge. Alors que Reconnaissance de formes prend un statut particulier en montrant une véritable dissociation entre les deux groupes puisque le groupe B obtient des résultats tout à fait dans la norme en note d’échelle moyenne [10,61] et significativement différentes (p < 0,001) du groupe A qui produit des performances faibles et en dessous de la norme [5]. C’est ici une observation intéressante : les enfants psychotiques sont spécifiquement en difficulté sur ce subtest, alors que les dysharmonies évolutives, sur la même épreuve, ont des capacités préservées. Ce résultat est important car, s’il est confirmé par d’autres recherches, il fait apparaître un élément supplémentaire de diagnostic différentiel entre les deux entités nosographiques. Nous avions déjà évoqué dans des pages précédentes (p. 171) la richesse de ce subtest. Il est indépendant des apprentissages scolaires et il apparaît très complémentaire du WISC III, parce qu’il permet de mesurer l’inférence perceptive et la capacité de transformer des formes abstraites en objets concrets, conventionnels, pour un coût cognitif relativement faible (ce qui facilite les conditions de passation auprès de cette population clinique). Nous avions également fait référence à la valence projective particulière de ce subtest. Il sollicite un percept qui ne prend sens que par une interprétation et sa mise en forme dans le langage. En fait, il semble que Reconnaissance de formes permette d’évaluer l’adaptation à la réalité et de mesurer en même temps les capacités respectives de chacune de ces populations cliniques à se référer à un modèle interne de représentations. Il apparaît assez clairement que les enfants présentant des pathologies de type dysharmonies évolutives réussissent correctement l’épreuve de reconnaissance de formes, alors que les enfants psychotiques échouent dans cette épreuve et s’engouffrent dans la brèche projective qui ouvre une aire intermédiaire où le sujet ne peut pas se situer entre l’objectif et le subjectif, entre la réalité extérieure et sa propre fantaisie. A partir de ce résultat, il est remarquable d'observer à quel point les deux populations cliniques apparaissent bien distinctes du point des processus psychopathologiques engagés dans la tâche. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette observation dans la quatrième partie de ce travail.
Notes
257.
Kaufman A. S., Kaufman N. L.(1993), Batterie pour l’examen psychologique de l’enfant. Manuel d’interprétation, Paris, ECPA, p.12.