3.4.2.3. Conclusion à propos des profils cognitifs

Les premiers résultats de cette recherche permettent de préciser les caractéristiques cognitivo-intellectuelles de la population clinique, un des objectifs de l’étude. Il existe une forte cohérence entre la répartition diagnostique établie à partir de l’expérience clinique et la répartition statistique des sujets en deux classes selon les performances cognitives recueillies à l’aide du WISC III et des subtests complémentaires puisés dans le K-ABC. D’un point de vue global, cette évaluation effectuée à partir des instruments classiques de mesure de l’intelligence permet, dans ce contexte clinique particulier, d’observer deux profils cognitifs relativement bien marqués, en établissant une série de caractéristiques qui distinguent les enfants appartenant au groupe A, de ceux appartenant au groupe B :

Ainsi, d’un point de vue descriptif nous distinguons deux profils cognitifs où la répartition des performances entre verbal / non-verbal apparaît au premier plan, et où il est possible de rapporter chaque profil à l’un des deux groupes cliniques. Toutefois, nous pouvons nous demander si la notion de profil cognitif est ici pleinement justifiée. Nous avions déjà amorcé cette discussion tout à l’heure, lorsque nous commentions les différences de performances observées au subtest Compréhension du WISC III.

Rappelons que Wechsler D. a créé les deux sous-échelles du WISC de façon très pragmatique, à partir de son expérience des Army tests 258. Pour lui, cette séparation était d’abord justifiée parce qu’elle traduisait des aptitudes et des capacités hétérogènes, en lien avec des pratiques sociales et professionnelles différentes. Par la suite, Wechsler D. comptera beaucoup sur ces deux échelles et surtout sur l’analyse de leurs divergences pour apporter des éclaircissements diagnostiques. Il savait que toute épreuve d’intelligence pouvait apporter des informations sur les traits de personnalité du sujet examiné et il évoquait déjà, par exemple259 (Wechsler D., 1956), le fait que les patients psychotiques avaient de meilleurs scores aux tests verbaux, alors que les sujets psychopathes semblaient plus forts en visuo-spatial.

Pour dépasser la simple analyse reposant uniquement sur les écarts entre les deux échelles, Wechsler260 D. (1956) propose également la technique de l’analyse du scatter, ou de la dispersion à l’intérieure de chaque échelle. Pour lui, l’analyse du scatter doit permettre ainsi d’établir des profils cliniques caractéristiques d’entités nosographiques particulières en vue d’établir un diagnostic différentiel. C’est pourquoi, tout au long de sa vie il reste intéressé par l’idée de mettre en évidence des profils de tests liés aux différentes maladies mentales pour apporter ainsi une forte validation clinique et psychopathologique à son outil. De nombreux praticiens d’ailleurs se sont engagés dans cette voie et ont proposé parfois des profils cognitifs dont certains ont pu avoir un succès d’estime261. Nous retrouvons d’ailleurs l’influence de cette démarche dans le WISC IV (2005) lui-même, dernière mouture de l’échelle et qui, dans son manuel d’interprétation, propose une présentation descriptive des profils de pas moins de dix-huit groupes cliniques étudiés et comparés à une population de témoins.

Mais ces pistes de recherche ouvertes par Wechsler s’avèrent plus compliquées que prévues :

  • Tout d’abord, il est connu maintenant qu’une différence significative entre verbal et non-verbal n’est pas rare dans la population normale. Par exemple, nous savons que les performances sur l’échelle verbale sont très corrélées avec le niveau socioculturel et que les enfants de cadres ou des professions intellectuelles ont généralement un QIv significativement supérieur aux enfants des autres groupes socioculturels. De la même façon, Grégoire262 J. (2000) a montré que plus de 40 % des sujets appartenant à la population normale présentent une différence significative entre les deux échelles, dans un sens ou dans l’autre. De fait, il ne faut pas perdre de vue que les résultats obtenus n’ont de sens qu’en comparaison avec une population de référence, ce qui constitue un premier obstacle lorsqu’il s’agit de généraliser un profil caractéristique d’une entité nosographique.
  • Ensuite, l’expérience clinique a montré que des enfants présentant le même type de troubles psychopathologiques peuvent avoir des profils différents de ceux de leur groupe de référence. C’est le cas pour William et Margot par exemple, où nous avons vu (p. 195) que les troubles associés de nature dysphasique interviennent dans le profil des performances réalisées par ces enfants. La réciproque est donc également vraie : des enfants appartenant à des entités nosographiques différentes peuvent présenter des profil cognitifs identiques.

La clinique est une science du singulier avant tout et il faut être prudent lorsqu’il s’agit de généraliser des données issues de la recherche. Il serait aberrant de prétendre faire porter le diagnostic uniquement sur la mise en évidence de profils cognitifs caractéristiques, ce serait transformer une épreuve d’intelligence en test de personnalité. L’acte diagnostique en psychopathologie de l’enfant est un acte complexe et toujours imparfait, il doit prendre en compte tous les champs d’observation de la problématique de l’enfant, et doit partir du singulier pour aller, si possible, vers du général et non l’inverse.

Les observations réalisées dans le cadre de cette recherche sont pertinentes pour la population clinique qui est la nôtre et il est probable que, dans le champ de la psychopathologie de l’enfant, les profils observés ici concernent également d’autres types de pathologies à expression déficitaire.

Autrement dit, les profils observés ne sont certainement pas spécifiques des entités nosographiques étudiées. Mais ces observations nous permettent néanmoins de décrire deux types de troubles de l'intelligence que l'on peut rattacher, ici et d'une manière non exclusive, aux deux formes de pathologies considérées. Si ces entités ne sont pas strictement spécifiques des organisations nosographiques considérées, elles dévoilent néanmoins des informations capitales pour comprendre les troubles du développement et des apprentissages au sein de cette population clinique. Elles livrent des pistes précieuses pour la démarche clinique à mettre en œuvre.

La mesure des performances cognitives effectuée à partir des QI renseigne sur le produit de l‘activité cognitive mais ne renseigne pas, ou très peu, sur les processus mentaux qui ont abouti à ce produit. Avec ces instruments, il est possible d'observer qu’un individu est moins bon que la moyenne de sa population de référence, on peut également, comme nous l’avons fait, regrouper des sujets à partir des profils de performances observés, mais on ne sait rien sur les processus élémentaires qui conditionnent ces performances. Le développement de la psychologie cognitive, à partir du modèle des sciences du traitement de l’information, a ouvert de nouvelles perspectives qui permettent en partie de remédier à ces faiblesses de l’évaluation intellectuelle classique.

Notes
258.

Se reporter à la deuxième partie de ce travail, notamment à la section traitant de cette question, p 75.

259.

Wechsler D. (1956), La mesure de l’intelligence de l’adulte, Paris, PUF, p. 180.

260.

Ibid, p. 183.

261.

Nous pouvons citer ici le profil ACID par exemple, pour les troubles des apprentissages, parce que le test était marqué par la relative faiblesse aux quatre épreuves : Arithmétique, Code, Information et Mémoire de chiffres (Digit Span).

262.

Grégoire J. (2000), L'évaluation clinique de l'intelligence de l'enfant, Liège, Mardaga.