4.1.2. Enveloppes psychiques et fonction contenante : Nicolas.

4.1.2.1. L'anamnèse.

Nicolas a 7 ans lorsqu'il est scolarisé en Clis et pris en charge par Graffiti. L'orientation vers notre dispositif est justifiée par l'importance des difficultés d'apprentissages que présente cet enfant, ainsi que les troubles de la personnalité et du comportement rendant impossible son maintien dans le cadre d'une scolarisation classique.

Les parents avaient consulté pour la première fois dans un CMP alors que Nicolas avait 3 ans 3 mois. Il présentait déjà un retard psychomoteur, une absence totale de continence sphinctérienne et un retard de développement du langage. Il commençait à peine à babiller et ne disait que quelques mots difficilement compréhensibles. Par ailleurs, son intégration scolaire tout juste débutante était d'emblée difficile : il lançait les objets et frappait violemment les autres enfants.

Entre quatre et cinq ans la propreté se met en place et il redouble sa deuxième année de maternelle. Un bilan psychologique est réalisé. La psychologue note que le développement cognitif semble se poursuivre normalement et que le langage se met en place mais avec un décalage encore significatif. Elle précise toutefois que Nicolas refuse toutes les propositions au cours du testing et qu'il ne fait que les dessins qu'il décide. Elle fait part d'une certaine stabilité dans les identifications des personnages dessinés et elle remarque "qu'il ne supporte pas qu'on le prive d'un objet de plaisir et que l'objet est exploré dans une recherche auto-érotique de satisfaction immédiate". Elle insiste sur la prévalence des fantasmes d'agression, de dévoration et de mort.

Au moment de son entrée à Graffiti, le tableau psychopathologique s'organise autour de cinq axes sémiologiques principaux :

  • Une dysharmonie cognitive étonnante. Nicolas montre en effet un écart significatif entre le QI verbal (54) et celui de performance (102), qui se répartit presque du simple au double. Les performances aux épreuves verbales sont donc très inférieures aux moyennes normales bien que pas très dispersées (2,4 points en moyenne par rapport au seuil standard qui se situe à 2,6). Nous notons que le QI total (75), qui n'a pas beaucoup de sens dans ce contexte, le situe à la limite de la déficience légère.
  • Des troubles du contact et de la communication marqués par un évitement actif du regard et une certaine indifférence affective à l'égard d'autrui. On note globalement une mauvaise qualité relationnelle caractérisée par des réactions démesurées face à la frustration : il se roule par terre, pleure, réclame sa mère et les colères sont alors impressionnantes. A d'autres moments il montre des comportements clivés, ainsi il peut embrasser un enfant immédiatement après l'avoir violemment tapé sans manifester aucune forme de regret ou de culpabilité.
  • Le langage est apparu tardivement chez cet enfant qui garde une prosodie monocorde et un peu traînante. Nicolas est un enfant qui s'exprime peu mais lorsqu'il communique verbalement, il n'y a pas d'altération de la structure langagière. Seuls quelques troubles articulatoires légers constituent les traces discrètes du retard de développement du langage évoqué précédemment. Par contre, il émet souvent des sons, des bruits inarticulés, des sortes de jeux avec la bouche et les lèvres, qui s'apparentent aux babillages du bébé. Il peut également s'adonner à des miaulements ou à d'autres formes de vocalises animalières.
  • Les troubles du comportement alimentaires sont fortement marqués. Nicolas déploie une attitude assez proche de l'anorexie, bien qu'il se présente comme un enfant au physique harmonieux, bien portant et ne souffrant d'aucune maigreur. A table, il mange très peu et montre surtout des "bizarreries alimentaires" se manifestant à partir d'exigences électives et non négociables : manger uniquement des steaks hachés "avec les rayures dans le bon sens", des pâtes "papillons", se nourrir de compotes et boire de l'eau plate à laquelle il ne "supporte pas d'ajouter du sirop". De plus, ses exigences alimentaires ne sont motivées par aucune raison gustative (bon ou mauvais) : il peut dire "c'est bon" et ne pas toucher l'aliment de tout le repas.
  • Une encoprésie secondaire, uniquement diurne, est apparue après la courte phase de propreté évoquée entre les âges de quatre et cinq ans. Lorsqu'il se salit, il ne manifeste aucune conscience apparente de ce qu'il a fait, aucune honte, ni mal-être, et cela ne l'empêche pas de rechercher le contact avec les autres enfants. En fait, il n'y aura que quelques rares épisodes d'encoprésies à l'école et à Graffiti, son institutrice ayant refusé un jour qu'il soit changé, le laissant avec ses matières fécales et le privant de l'activité cirque de l'après midi. Il n'y aura plus d'autres incidents sur le temps scolaire, l'encoprésie continuant par contre à la maison.

Le couple parental s'est séparé deux ans auparavant, quelques temps après le décès de leur fille. Celle ci était l'aînée de Nicolas de 21 mois, elle est décédée alors qu'il venait d'avoir 4 ans. Elle a souffert d'une maladie entraînant des vomissements que la maman n'a pas pris au sérieux, pensant que c'était sa fille qui provoquait elle-même ces vomissements (!). Il n'y a pas d'autre enfant dans la fratrie.

A l'adolescence, la maman de Nicolas a souffert de phases alternatives d'anorexie et de boulimie et s'est défenestrée à l'âge de 19 ans. Cette défenestration a produit une double fracture de la colonne vertébrale et a entraîné un déficit du membre inférieur gauche au regard duquel elle perçoit une Allocation d'Adulte Handicapé (AAH). Elle a été suivie pendant un an dans une clinique psychiatrique universitaire et a fait ensuite des séjours dans un hôpital psychiatrique à trois reprises où un diagnostic de "psychose hystérique" a été posé. Elle évoque assez directement sa difficulté à se sentir mère avec ses enfants et elle considère d'ailleurs que l'éducation des enfants "c'est comme un travail qui s'arrête à 19 heures et le week-end". Le papa confirme qu'il s'occupait alors des enfants pendant que sa femme restait le plus souvent alitée.

C'est un peu plus d'un an après le décès de sa fille, alors que Nicolas est âgé de 5 ans ½, qu'elle fait part de ses doutes quant à des attouchements ou des abus sexuels de la part du père sur Nicolas qui aurait parlé de "sodomie". Elle rapporte à cette occasion que "son papa lui faisait des chatouilles, le jeu du canapé, des bisous sur le zizi" et qu'une fois, Nicolas aurait dit : "Je me suis assis sur un clou"… Le couple se sépare et entreprend une démarche peu habituelle : ils consultent conjointement au CMP pour que le pédopsychiatre établisse la crédibilité des propos tenus par Nicolas et détermine s'il a été sexuellement agressé ou non. Finalement, sur conseil du médecin, ils écrivent ensemble au procureur de la république qui ouvre une instruction. L'enquête pénale (citation) : "n'a pas permis de prouver que l'enfant ait été victime d'abus sexuels, ni qu'il ait fabulé, pas plus qu'elle n'a innocenté monsieur L., qui était le principal suspect". L'affaire est restée ainsi non résolue dans l'esprit du couple parental, de l'enfant et des soignants.

Dans le cadre de l'instruction, Nicolas est vu en expertise par une psychologue qui note l'impression étrange laissée par cet enfant qui montre une mauvaise qualité du contact (évitements), des troubles de la communication et une certaine indifférence affective. Elle évoque les fixations à des besoins primaires oraux et anaux, mais elle conclue en observant la bonne qualité des identifications parentales et une perception correcte de la réalité.

Il s'agit maintenant de considérer les performances cognitives de cet enfant, telles qu'elles ont été recueillies à partir de la méthodologie mise en place pour cette recherche.