4.2. L'axe objectal, les dysharmonies psychotiques.

4.2.1. Le Moi peau et la délimitation de l'espace psychique.

4.2.1.1. Anamnèse de Simon.

Simon a 2 ans ½ lorsqu'il consulte pour la première fois au Centre Médico Psychologique (CMP) sur les conseils du médecin de la Protection Maternelle Infantile (PMI) pour un retard de langage. C'est un enfant au teint pâle, qui a 16 ou 17 mois d'apparence physique et qui s'exprime à partir d'un filet de voix inaudible, faiblement adressé. Le regard souvent dans le vague, il ne parle pas, alors qu'il aurait dit "papa" et "maman" au moment de l'émergence du langage, puis plus rien. Il n'a pas beaucoup d'équilibre : il tombe beaucoup, sur la bouche en particulier, et les plaies au niveau de la sphère orale ont nécessité plusieurs visites à l'hôpital. Il faut le surveiller car il peut partir n'importe où, ses échappées ne sont pas intentionnelles mais semblent plus probablement relever de l'errance. Il n'est pas sensible à la douleur : il pleure à peine pour une chute importante et montre peu de réaction au contact des sources de chaleur. Il ne maîtrise pas la propreté et peu uriner sur sa mère lorsqu'elle le porte sur ses genoux.

Les parents attribuent cette régression développementale à la convergence de plusieurs événements : La naissance de sa petite sœur 5 mois auparavant ; l'installation au domicile familial de sa grand-mère maternelle atteinte d'une maladie neurodégénérative dépendante ; la séparation subite, à l'âge de 18 mois, d'avec sa nourrice victime d'une grave dépression et chez laquelle il était gardé jusqu'à 12 heures par jour. Sinon, il est décrit comme un bébé calme qui se manifestait peu et qui ne babillait presque pas. Seuls, les troubles de l'endormissement et les insomnies nocturnes (qui persisteront jusqu'à la naissance de sa sœur) sont évoqués comme des signes précoces.

A l'âge de trois ans, il est admis à l'hôpital de jour où il restera un peu moins d'une année. Au cours de l'hospitalisation, il ne partage pas ses jeux avec les autres enfants mais il est subjugué par leur vision et il peut être fasciné par une scène à laquelle il assiste. Dans ce contexte, il déploie des comportements d'imitation comme s'il était contaminé par l'autre, se nourrissant des émotions des autres, il n'habite plus son propre corps. Par ailleurs, il n'accepte aucune activité créatrice telle que la peinture ou le modelage, mais il adore remplir et vider des seaux d'eau, jouer avec le jet d'eau et manipuler des objets (véhicules divers, personnages, petits animaux, rails, …) qu'il tente d'encastrer ou de relier les uns aux autres. Sur le plan psychomoteur, Simon manque de retenue, il ne se laisse pas impressionner par le danger. Il a toujours peu de sensibilité à la douleur et la maîtrise sphinctérienne n'est toujours pas effective. Durant cette période, le langage commence à se développer, le regard devient plus vif et les moments d'absence se font plus rares. Il écoute également les histoires, il fredonne les comptines mais toute sollicitation de la part des adultes entraîne généralement un retrait important malgré des moments sporadiques marqués par une véritable qualité d'échange.

A 4 ans, Simon est accueilli au centre de soins à temps partiel (CATTP), associant un accueil thérapeutique séquentiel à une scolarisation à l'école maternelle. Au cours des trois années qui suivent, son évolution concernera différents secteurs. La maîtrise de la propreté de jour est acquise. Le langage se développe, il découvre le plaisir de l'écoulement verbal et devient même logorrhéique, mais la communication est souvent discordante, traversée par des phrases qui n'ont pas de sens. Il s'intègre dans les activités de peinture, de bois et de modelage, sachant que ses réalisations s'approprient généralement celles des autres enfants ou s'étayent sur les constructions réalisées par l'adulte. Il peut s'engager dans des jeux symboliques avec d'autres enfants, mais tout en restant en retrait d'une co-création et sans que le jeu joue pleinement sa fonction de contenant intersubjectif. Il peut participer à des activités de groupe mais il se positionne toujours à la marge, sur la frange, à la fois dedans et dehors. Il s'échappe toujours et peut encore se mettre en danger d'une manière imprévisible. Il est communicatif et cohérent dans ses relations avec les autres, puis il peut partir dans un discours fantasque. La sensibilité à la douleur émerge, il lui arrive de se plaindre lorsqu'il est malade ou de se laisser consoler lorsqu'il se heurte contre quelques objets.

Au terme de cette prise en charge à temps partiel, un bilan psychologique est réalisé en vue de son entrée dans le dispositif de l'intégration scolaire. La conclusion du bilan note que "la fragilité de la distinction entre soi et non soi, la rupture itérative d'avec la réalité, la prévalence des processus primaires et l'utilisation de mécanismes de défense archaïques, sont autant d'éléments qui font penser à un tableau du registre psychotique. Mais l'hétérogénéité du retard de développement , l'analyse qualitative des troubles instrumentaux et l'aspect relativement préservé du raisonnement analogique écarte l'aspect déficitaire et évoque un tableau de dysharmonie psychotique."