4.2.1.2.2. Au niveau des processus complexes.

Tableau 9 : Performances de Simon et moyennes des performances de son groupe clinique de référence pour le WISC III et les subtests complémentaires du K-ABC.
  WISC III K-ABC
QIV QIP QIT CI Inf Cod Sim Ai Ari Cub Voc Ao Comp rdf Mem_spat mem_chf suite_mots
Simon 60 54 52 1 2 1 4 3 1 2 4 5 5 5 3 8 1
Dys. Psychotiques 61 58 55 4 4 2 4 3 3 2 4 4 3 5 4 6 4

Nous sommes également amenés à constater que le profil de Simon est très caractéristique du profil moyen recueilli pour le groupe clinique :

La première remarque concerne l'ensemble des performances recueillies à partir du WISC III qui totalisent un indice global correspondant à celui du retard mental moyen (QIt : 52). Ces résultats déficitaires s'avèrent donc très contrastés par rapport aux observations précédentes qui, à partir de l'évaluation des processus élémentaires, mettent en évidence des potentialités cognitives relativement préservées. Cet indice global est d'ailleurs équivalent à celui observé auprès des enfants qui appartiennent au groupe des dysharmonies psychotiques dans cette recherche.

La seconde remarque concerne la dispersion entre les QIv (60) et QIp (54) puisqu'il n'y a pas d'écart significatif entre les performances recueillies à partir des épreuves verbales et celles observées dans le cadre des épreuves non verbales. Ce constat est également conforme à celui qui peut-être fait à partir de l'observation des performances moyennes du groupe clinique (QIV : 61 ; QIp : 58). Tout au plus observe-t-on que dans les deux situations, l'évaluation de Simon et celle de son groupe de référence, les performances verbales sont légèrement supérieures aux performances non verbales, bien que les différences observées ne soient pas significatives. Cette observation rejoint des constats identiques qui ont été effectuées dans d'autres études portant sur la psychose infantile et résumés par Marcelli D. (1993) dans son manuel de psychopathologie de l'enfant. A propos des tests de niveau pratiqués auprès des enfant souffrant de psychose infantile, l'auteur observe que : "Dans toutes les études portant sur un grand nombre d'enfants, on révèle une dispersion des QI globaux sans caractéristique propre à ces groupes au niveau des subtests. Notons toutefois le fréquent décalage dans l'efficience verbale supérieure à l'efficience performance (WISC : QIv > QIp) en particulier dans les psychoses de la deuxième enfance 313".

L'examen des performances verbales réalisées par Simon montre que tous les subtests sont échoués alors que le niveau de langage est globalement correct ; il n'y a pas de trouble dysphasique mais c'est plus particulièrement l'intégration des concepts verbaux et leur rapport avec la réalité qui fait défaut. D'une manière générale, Simon échoue aux items les plus élémentaires des subtests verbaux parce que chacun d'entre eux lui apparaissent comme une invitation à développer des discours fantasques, au gré de ses associations ou en lien avec ses propres expériences subjectives.

Information (2) est échoué à partir du quatrième item parce que l'information générale est prise dans les filets de l'expérience subjective :

  • Il connaît les jours de la semaine mais ne peut les mettre en ordre. Ainsi, le jour qui vient juste avant le jeudi est forcément le dimanche : "parce qu'il n'y a pas école".
  • A la question de savoir ce qu'il faut faire pour faire bouillir de l'eau, il répond qu'il "ne faut pas mettre sa main sur la plaque chauffante parce que ça brûle" (en référence avec une expérience traumatique durant la petite enfance).
  • Les quatre saisons de l'année se résument à "l'été parce qu'il faut arroser les plantes avec un jet d'eau" (rappelons son intérêt pour les jeux d'eau).
  • Le mois qui vient après le mois de mars est … son "anniversaire" (qui est effectivement fêté au mois de mars).

Similitude (4) donne lieu à des associations d'idées qui font obstacle au déploiement de la pensée conceptuelle :

  • En quoi le lait et l'eau se ressemblent ? "C'est pas pareil parce que le lait vient des tétines de la vache, que la vache est dans le pré et qu'elle boit de l'eau".
  • En quoi une chemise et des chaussures se ressemblent ? "On les met pour aller au boulot".
  • En quoi une pomme et une banane se ressemblent ? "C'est des fruits, mais c'est pas pareil parce que la banane c'est le singe qui la mange".

Vocabulaire (4) révèle la fragilité de l'intégration des concepts verbaux liée au désordre des idées, ainsi que la difficulté pour prendre en compte le caractère univoque du langage propre à la psychose:

  • Qu'est-ce qu'une vache ? "Ca fait du lait pour faire du fromage et ça vit avec une clôture pour qu'elle ne s'échappe pas" (en rapport avec ses fugues).
  • Qu'est-ce qu'un camion ? "C'est pour monter dedans, pour aller se balader,…et ça sert à faire un chantier, … et moi j'ai un chat".
  • Qu'est-ce qu'une horloge ? "C'est pour un clocher, on la met sur le toit des églises, … et chez les gens il y en a aussi."

Compréhension (5) donne lieu à des réponses stéréotypées, ou des raisonnements décalés ou encore des réponses bizarres : un portefeuille trouvé dans un grand magasin nous "appartient après un an" ; il faut mettre sa ceinture en voiture "sinon les gendarmes nous enferment en prison" ; il faut éteindre la lumière quand il n'y a personne dans une pièce parce que "si on laisse la maison ouverte, les voleurs rentrent".

L'ensemble des subtests participant à l'échelle verbale est ici manifestement traversé par les troubles de l'organisation de la pensée, marqués notamment par la manière dont le langage est pris dans l'univers fantasmatique de l'enfant. Ceci entrave sa capacité à établir une bonne distance entre le mot et la chose désignée par le mot, c'est à dire à construire une relation entre le signifiant et le signifié. On perçoit bien chez Simon les difficultés rencontrées lors de la mise en place de la fonction symbolique.

Un des subtests de l'échelle de performance, Arrangement d'images (3), se trouve également fortement pénalisé par les troubles de la symbolisation. Cette épreuve consiste à remettre des images dans un ordre logique en appréhendant la signification de l'histoire dans son ensemble et en l'ordonnant temporellement. Après avoir franchi le cap des deux premiers items qui mettent en scène un petit nombre d'images retraçant une action rudimentaire, Simon est en échec dès que la situation contient une dimension plus narrative. La narration n'organise pas la succession des images parce qu'il ne parvient pas à appréhender l'identité de la situation. Les images semblent alors être disposées dans un ordre totalement aléatoire qui ne suit aucune logique temporelle. Mais, si on le questionne sur le récit interne qui a organisé l'agencement qu'il propose, il livre alors une version souvent très éloignée de la situation induite par le test. Cette difficulté à organiser les parties (les moments) d'une situation en un tout cohérent à partir d'une trame narrative illustre ici une modalité du processus psychopathologique que nous retrouvons, sous une autre forme, dans d'autres subtests non verbaux, notamment Cubes (1) et Assemblage d'objets (5).

Les subtests Cubes est composé d'une série de modèles géométriques imprimés que l'enfant doit reproduire avec des cubes bicolores. Cette épreuve met particulièrement en jeu un aller-retour entre la perception de l'ensemble du modèle et l'analyse interne de la structure. C'est donc une tâche de perception des parties et du tout, qui induit des stratégies globales et analytiques. Les trois premiers items de la série sont les plus élémentaires, bien que Simon utilise à chaque fois deux essais pour réussir : la figure géométrique recomposée ne correspond pas au modèle. Simon semble bien appréhender les parties, mais il est particulièrement en difficulté lorsqu'il s'agit de s'appuyer sur une représentation globale du motif géométrique pour agencer les parties dans la perspective indiquée par le modèle. Au delà des aspects instrumentaux, ce qui est en échec ici c'est la mise en jeu réciproque des capacités conceptuelles d'analyse et de synthèse. Le même type de difficulté apparaît au cours du subtest Assemblage d'objets qui consiste à réaliser des puzzles sans modèle. Ici également cette tâche sollicite l'aptitude à identifier des éléments séparés pour construire la représentation de l'objet global. Au delà du premier item qui met en scène un mannequin, Simon se montre particulièrement en difficulté pour identifier la signification générale de la figure, qui n'apparaît pas immédiatement.

Reconnaissance de forme (5) est également échoué alors qu'il s'agit d'un subtest à faible coût cognitif et qui n'implique pas de compétences particulières de raisonnement. Il s'agit d'une épreuve de traitement perceptif qui mesure l'aptitude de l'enfant à remplir mentalement les blancs d'un dessin incomplet de façon à pouvoir le nommer ou le décrire. Cette épreuve est issue des travaux de la psychologie de la forme, elle mesure la perception holistique par l'identification d'une figure complète à partir d'informations visuelles incomplètes. Simon est ici particulièrement en difficulté pour identifier la globalité de la forme ce qui donne lieu à de nombreuses confusions : une télévision est reconnue comme étant la vitre d'une voiture, un éléphant devient une vache, une cuisinière est une machine pour les disques, un bateau avec deux voiles est identifié comme des fenêtres cassées, etc. Au delà de la valence projective de ce subtest, nous observons ici la manière dont la closure dans le traitement perceptif de l'objet devient une menace pour la capacité à identifier cet objet dans sa forme globale. Cette particularité cognitive est d'ailleurs partagée par l'ensemble des sujets composant le groupe clinique puisque l'échec à Reconnaissance de formes apparaît comme une des caractéristiques des dysharmonies psychotiques.

Seul le subtest Mémoire de chiffre (8) lui permet de relever son niveau de performance. Ce subtest a l'avantage d'être très indépendant des facteurs culturels, il ne nécessite pas de manipulation d'un matériel particulier et il est aussi très dépendant de l'espace mental de l'enfant. A partir de l'évaluation effectuée avec le CSVI, nous aurions pu nous attendre à de meilleures performances, mais il s'agit d'une épreuve un peu rébarbative et les facteurs attentionnels sont ici au premier plan. Ces facteurs interviennent beaucoup dans les résultats produits par Simon qui se déconcentre rapidement. Notons que cette épreuve est également l'épreuve la mieux réussie par son groupe clinique de référence parce qu'elle se limite aux capacités de mémorisation à court terme et qu'elle n'implique pas d'établir des liens entre le tout et ses parties. Par contre, Suite de mots (1) qui sollicite également les capacités mnésiques à court terme, est fortement pénalisé par les aspects dyspraxiques du tableau clinique. Les bons objets sont pointés, mais l'ordre n'est pas respecté et la mémorisation de la séquence de mots ne permet pas d'étayer le geste praxique. Encore une fois, les éléments sont indépendamment saisis par l'enfant mais c'est la restitution globale qui n'est pas respectée.

Conclusion.

Pour conclure, nous constatons qu'au delà des obstacles instrumentaux et des compétences requises pour chaque subtest, il ressort que les performances recueillies à partir de l'évaluation des processus cognitif complexes nous permettent d'appréhender une modalité plus générale des troubles de l'organisation de la pensée chez cet enfant.

Cette modalité traverse aussi bien les épreuves verbales que les épreuves non verbales, y compris pour les tâches qui sollicitent directement le traitement perceptif. Elle met en scène plus particulièrement la perception analytique, le rapport détails / global, les relations entre les parties et le tout, c'est à dire au fond la distance que le sujet établit par rapport à l'objet.

Cette distance délimite l'espace psychique à partir duquel s'effectue le traitement cognitif dans le cadre de l'évaluation. Elle implique la représentation de soi et de l'autre, elle met en jeu les mouvements de différenciation entre le sujet et l'objet, elle est donc radicalement à mettre en rapport avec la fiabilité des enveloppes corporelles, la consistance des objets internes et la délimitation de l'espace psychique.

Notes
313.

Marcelli D. (1993), Psychopathologie de l'enfant, collection Abrégés de Médecine, 4e édition revue et complétée, Paris, Masson, p. 296.