4.2.2.1.2. L'espace mental.

Pour Nicolas comme pour Simon, l'espace mental est au niveau attendu pour l'âge, ce qui confirme la dysharmonie des profils cognitifs lorsque nous comparons ces résultats avec les performances recueillies à partir du WISC. Ce constat répète les observations effectuées dans la partie expérimentale de ce travail concernant les groupes cliniques de référence (nous conseillons maintenant au lecteur de se reporter au graphique 8 de la page 185). Si les performances des dysharmonies évolutives et des dysharmonies psychotiques sont significativement plus basses que celles des témoins, elles sont au niveau des performances attendues pour l'âge selon le modèle de la théorie des opérateurs constructifs et, dans tous les cas très supérieures à celles attendues à partir de l'évaluation au WISC.

Il s'agit certainement de l'indicateur le plus fiable pour mesurer les potentialités cognitives des enfants puisqu'il représente, à un niveau central, la mémoire active impliquée dans toutes les tâches cognitives sollicitant l'intentionnalité du sujet. De ce point de vue, l'espace mental est apparenté à ce que Dehaene S. et Naccache L. (2001, 2006) dénomment : "l'espace de travail global conscient 329", qui formalise l'espace cérébral conscient comme un réseau central permanent à partir duquel le contenu de notre conscience est à chaque instant identifiable à l'activité neuronale cohérente et temporellement stabilisée au cœur de cet espace de travail global. L'idée centrale de ce modèle biologique de la conscience, qui connaît aujourd'hui un succès grandissant dans le domaine des neurosciences, consiste à postuler une double architecture anatomique et fonctionnelle du cerveau distinguant les phénomènes conscients et inconscients. D'une part une multitude de petits circuits cérébraux très spécialisés ne cessent d'élaborer en parallèle une multitude de représentations inconscientes. D'autre part, un réseau neuronal différent mais relié à ces circuits périphériques serait responsable en continu de l'émergence des représentations mentales cohérentes et temporellement stabilisées dont nous faisons l'expérience consciente. Le flux de notre conscience ne serait donc pas à envisager comme un changement continu permanent mais plutôt comme une succession d'états stables. Le contenu de notre espace de travail mental serait constamment mis à jour et guidé par un mécanisme d'amplification attentionnelle qui permettrait de sélectionner et de coordonner l'activité des réseaux périphériques en fonction de l'expérience du sujet et des buts assignés par l'action. Autrement dit, "le contenu de notre conscience est identifiable à chaque instant à l'activité neuronale cohérente et temporellement stabilisée de l'espace de travail global 330".

Ainsi, l'espace mental proposé par la théorie des opérateurs constructifs rejoint les modèles élaborés dans le domaine des neurosciences, et l'on peut même envisager qu'il propose avec le CSVI une méthodologie susceptible de permettre une mesure de l'espace de travail global conscient. Le traitement perceptif lors de la phase test, à partir d'un matériel de type visuo-spatial, dessine les contours anatomiques de l'espace de travail conscient de l'enfant et, fonctionnellement, de l'émergence des représentations qu'il a façonnées au cours de la phase d'apprentissage. Or, la conscience vise à la fois le fait d'être conscient et le fait d'être conscient de quelque chose ; ces deux aspects de la conscience renvoient à des modalités différentes de l'espace de travail global : "Etre conscient nécessite de disposer d'un espace de travail anatomiquement et fonctionnellement normal, alors que l'intentionnalité (au sens phénoménologique du terme) de la conscience renvoie au mécanisme de prise de conscience d'un objet mental représenté initialement dans un processeur périphérique 331".

Dans le cadre de l'évaluation de l'espace mental, si les bonnes performances réalisées par les patients écartent toute hypothèse d'altération organique, l'écart observé avec les témoins semble impliquer l'intentionnalité et, de ce point de vue, les dysharmonies évolutives sont légèrement moins pénalisées que les dysharmonies psychotiques (voir le graphique 8, page 185) puisque les performances des enfants psychotiques sont les plus basses. Ainsi, comme pour l'opérateur d'apprentissage, il est possible d'observer à un niveau élémentaire des processus qui délimitent les états de conscience de l'enfant et pour lesquels la dimension attentionnelle apparaît comme le facteur primordial qui dessine les contours de l'espace mental à l'intérieur duquel se déploient les jeux entre perception et représentation.

Notes
329.

Dehaene S., Naccche L. (2001), "towards a cognitive neuroscience of consciousness : basic evidence and a workspace framework", cognition, 79 (1-2), p. 1-37.

330.

Naccache L. (2006), Le nouvel inconscient. Freud, Christophe Colomb des neurosciences, Paris, Odile Jacob, p.282.

331.

Ibid. p.284.