4.2.2.1.4. Conclusion.

La neuropsychologie cognitive, notamment avec les modèles biologiques de la conscience, permet une lecture des observations réalisées à partir de l'apprentissage, de l'espace mental et de l'inhibition. Ces travaux apportent des connaissances précieuses sur la participation des processus attentionnels dans l'émergence des représentations conscientes à partir du modèle de l'espace de travail global.

Sur ce point, ces travaux rejoignent une formidable anticipation de Freud S. (1900/1967) qui, dans le chapitre VII de "L'interprétation des rêves 332 " cite déjà l'attention mentale comme le mécanisme qui permet à des représentations mentales inconscientes (visuo-spatiales dans nos expérimentations) d'accéder à nos contenus conscients pour être sélectionnées, amplifiées et utilisées. Lorsque Freud S. (1900) écrit : "Les phénomènes d'excitation peuvent parvenir à la conscience sans autre délai, si certaines conditions sont remplies,…, une certaine distribution de ce que nous appelons attention 333 ." ; ou encore: "Nous voyons que la perception par nos organes des sens a pour conséquence de diriger un investissement d'attention vers les voies où se propage l'excitation sensorielle qui arrive ; … Nous pouvons attribuer la même fonction à l'organe sensoriel supérieur du système de la conscience 334" ; et plus loin : "Le fait de devenir conscient dépend de l'orientation d'une certaine fonction psychique, l'attention, qui, semble-t-il, ne peut être dispensée qu'en certaines quantités…", il formule explicitement ce que les neurosciences appellent les "ressources attentionnelles" et il repèrent l'attention comme le mécanisme qui établit une passerelle entre l'inconscient et le conscient335.

Au plus près de l'évaluation neuropsychologique qui fait intervenir les modèles biologiques de la conscience, l'espace de travail global permet de rendre compte des enjeux mobilisés dans le déploiement de la conscience à travers les processus de transformation des perceptions en représentations mémorisables et susceptibles de faire l'objet de manipulations intentionnelles par le sujet. Les performances observées à partir de Nicolas et de Simon, plus largement au niveau des dysharmonies évolutives et des dysharmonies psychotiques, permettent de conclure quant à une fragilité des jeux de transformation entre perceptions et représentation, mais en aucun cas quant à une impossibilité qui serait liée à une altération des supports anatomiques de l'espace de travail global. Les performances des sujets sont ici à la fois trop élevées et trop faiblement différenciées des performances réalisées par les témoins.

Contrairement à ce que nous avons pu constater auprès des enfants trisomiques et des adultes déficients organiques qui, dans ce type de tâche (CSVI et inhibition), échouent dans la capacité même à appliquer la consigne parce que la tâche dépasse la capacité de traitement du sujet, anatomiquement contrainte dans ce cadre. C'est la raison pour laquelle nous réfutons l'hypothèse de Pascual-Leone336 J. (1994) et des sciences cognitives actuelles qui invoquerait le déficit attentionnel de Nicolas ou de Simon comme un trouble ayant une origine primaire, indépendante de l'environnement, pour expliquer le retard mental constaté à partir de l'évaluation classique.

Ainsi, les performances de Nicolas, de Simon et la superposition quasi parfaite de leur profil avec celui de leur groupe de référence, nous permettent d'observer, à un niveau élémentaire, l'expression des troubles de la conscience de ces enfants tels qu'ils apparaissent au strict point de vue de leur profil attentionnel, et de constater qu'à ce niveau neuropsychologique et cognitif les dysharmonies psychotiques sont les plus pénalisées. Sans qu'il soit possible d'apprécier, à ce niveau, la nature des différences, entre dysharmonies évolutives et dysharmonies psychotiques, qui s'actualisent à travers les processus attentionnels. Pour cela, il faut décaler l'observation vers l'analyse des processus cognitifs complexes.

Notes
332.

Freud S. (1900/1967), L'interprétation des rêves, Trad. I. Meyerson, Paris, PUF.

333.

Ibid. p. 459

334.

Ibid. p. 523.

335.

Voir sur ce point l'excellent dossier publié dans le magazine Science et Vie, 1062, Mars 2006, p. 56-71.

336.

Pascual-Leone J. (1994), "Developmental Mesure of Mental Attention", International journal of behavioural development, 17, p.161-200.