4.2.2.2. L'évaluation à partir du WISC et du K-ABC.

L'analyse effectuée à partir du WISC montre que les performances de Nicolas sont globalement plus élevées que les performances de Simon. Ce constat s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement des observations effectuées au niveau élémentaire, notamment pour l'inhibition. L'analyse des résultats à partir des QIV et des QIp permettent de vérifier que l'écart observé entre les deux sujets est essentiellement formalisé à partir des épreuves qui utilisent un matériel concret et qui sollicitent la flexibilité de la perception et des représentations au strict niveau visuo-spatial, sans recours prioritaire à la pensée verbale et conceptuelle. Ici également, les caractéristiques des performances cognitives des deux enfants correspondent aux profils de performances recueillis au niveau des groupes de références : dysharmonies évolutives versus dysharmonies psychotiques :

Concernant les dysharmonies évolutives, les observations font apparaître que les troubles de l'organisation de la pensée sont particulièrement illustrés par la priorité donnée au traitement perceptif. Ce constat s'inscrit dans le prolongement des observations menées dans le contexte des pathologies narcissiques identitaires que nous avons particulièrement illustrées à partir de la vignette clinique présentée dans le premier chapitre de la quatrième partie. La prégnance de la dimension pictographique ainsi que la primauté du contenant sur le contenu mettent en évidence une problématique plus générale qui concerne l'incertitude des limites. Rappelons qu'il s'agit ici de la limite représentée par l'enveloppe qui sépare un dedans et un dehors à partir d'un travail de différenciation qui permet de distinguer ce qui est à l'intérieur et ce qui est à l'extérieur, le sujet et objet. La fragilité des limites vient ici mettre en péril l'équilibre entre un monde extérieur peuplé des objets de perception et un monde intérieur peuplé de leurs répondants sous forme de représentations, notamment les représentations de mots. S'agissant de ce groupe clinique nous avons donc formulé une modalité selon laquelle l'incertitude des limites modifie particulièrement le jeu des pulsions dans le sens où l'investissement perceptif joue comme un mode de défense qui vise à limiter l'investissement du champ de la représentation et du fantasme. Si l'accès à l'identité de l'objet n'est pas mis en péril par ce mécanisme, le gel de la pensée qui en découle fait obstacle au développement de l'abstraction et de la conceptualisation.

Avec les dysharmonies psychotiques, nous avons constaté qu'au delà des obstacles instrumentaux et des compétences requises pour chaque subtest, il ressort que les performances recueillies à partir de l'évaluation nous permettent d'appréhender une modalité plus générale des troubles de l'organisation de la pensée. Cette modalité traverse aussi bien les épreuves verbales que les épreuves non verbales, mais comparativement aux dysharmonies évolutives elle est particulièrement saillante pour les tâches qui sollicitent directement le traitement perceptif. Les difficultés qui en découlent mettent plus particulièrement en scène la perception analytique, le rapport détails / global, les relations entre les parties et le tout, c'est à dire au fond la distance que le sujet établit par rapport à l'objet. Cette distance délimite l'espace psychique à partir duquel s'effectue le traitement cognitif et s'élabore l'identité perceptive de l'objet dans le cadre de l'évaluation. Elle sollicite la capacité à établir une distinction entre la représentation de soi et de l'autre, elle met en jeu les mouvements de différenciation entre le sujet et l'objet, elle est donc radicalement à mettre en rapport avec la friabilité des enveloppes corporelles, la consistance des objets internes et la délimitation de l'espace psychique.

Ainsi, dans le prolongement des observations réalisées au niveau élémentaires, apparaît maintenant, à un niveau complexe, la manière dont les contenus intellectifs sont traversés par des processus qui mettent en jeu le statut de la perception dans son rapport avec le traitement cognitif. Cette lecture du WISC, au delà du seul chiffrage, éclaire de manière pertinente la façon dont ces enfants appréhendent le monde externe, la singularité de leurs modes de symbolisation et de l'organisation du monde pulsionnel. A la lumière de nos résultats, le subtest qui semble, sur ce point, le plus pertinent pour saisir ces différentes modalités de symbolisation, est le Reconnaissance de formes du K-ABC. Une lecture psychodynamique de ce test de niveau (de filiation neuropsychologique), le fait apparaître comme un véritable outil de diagnostic différentiel entre les dysharmonies évolutives et les dysharmonies psychotiques.

Rappelons que ce test est une épreuve d'inférence perceptive et qu'il demande à l'enfant d'identifier et de nommer un objet ou des silhouettes à partir d'un dessin incomplet. Une bonne performance à ce subtest dépend de la flexibilité de la perception et de la pensée. En effet, lorsque nous résumons le contenu d'un percept conscient à celui d'un processeur périphérique, il est évidemment plus immédiat de se représenter un ensemble de contenus perceptifs distincts qui sont reliés entre eux pour donner lieu à une représentation mentale consciente unifiée qui les combine. Le caractère conscient de la représentation est ici lié au fait d'être rapporté, puisqu'il s'agit ensuite de nommer le percept. L'examen des performances respectives des sujets sur cette épreuve s'impose.

De son côté, Nicolas obtient une note d'échelle tout à fait correct (12), et même d'un niveau très légèrement supérieur à la moyenne établie par son groupe de référence (11). Simon quant à lui est en plus grandes difficultés (5), et les performances sont d'ailleurs équivalentes à celles réalisées par son groupe clinique (5). Nous notons que les productions cognitives des deux enfants à cette épreuve sont, une fois de plus, fidèles aux productions de leur groupe clinique respectif.

L'étude du système perceptif est au fond une tâche profondément philosophique puisqu'en effet, pour se forger une représentation, le cerveau doit se fonder sur des stimuli visuels de base qui ne constituent pas des éléments d'information stables et que le sujet ne peut pas se limiter à l'analyse des images qui sont projetées sur la rétine. D'une certaine façon, l'interprétation issue de la perception est certes indissociable de la sensation visuelle, mais elle suit les voies du travail de transformation lié à la symbolisation psychique qui permettra de nommer l'objet. Ainsi, le traitement invoqué par ce subtest parcourt les voies de la métabolisation pulsionnelle, telles qu'elles nous sont rappelées par Roussillon337 R. (2001), et à partir desquelles il est possible de décrire étape par étape le trajet de l'organisation perceptive qui se déroule au sein de l'appareil psychique. A partir du Reconnaissance de formes , lorsque l'enfant est sollicité par une perception, le travail de transformation psychique s'effectue sur plusieurs niveaux :

Notons pour finir, qu'au cours de ce travail la réponse de l'objet vers le sujet est elle aussi déterminante et va rétroagir sur la régulation de l'activité pulsionnelle en validant ou rejetant tout ou partie du travail psychique de symbolisation effectué. En d'autres termes, si l'hallucination précède la perception, la perception organise tout autant les rapports du sujet avec ses objets externes que la réponse de l'objet valide la pertinence de l'hallucination qui participe à ce travail de transformation. C'est dans ce va et vient entre sujet et objet qu'apparaissent les variations possible de ce travail psychique de transformation que notre clinique quotidienne donne à observer :

Dans les dysharmonies évolutives, face à l'incertitude qu'impose l'altération des contours du percept, l'enfant mobilise les caractéristiques des représentations internes de l'objet dont le contour perceptivo-sensoriel constitue le trait dominant et qui, selon une logique de l'identique, confère à l'objet une identité perceptive qui peut être restituée dans les conditions du test. C'est la raison pour laquelle le Reconnaissance de forme est correctement réussi dans ce cadre nosographique.

Dans les dysharmonies psychotiques, l'altération des contours du dessin fonctionne comme une représentation métaphorique, un effet miroir, des failles dans la peau psychique de l'enfant. Le fantasme infiltre la perception et brouille les processus qui participent à la reconstruction des contours du dessin pour permettre son identification. L'enfant échoue sur la reconstruction perceptive de l'objet.

Il nous reste maintenant à examiner au niveau psychopathologique, la manière dont ces différentes modalités de symbolisation, et les troubles d'organisation de la pensée qui en découlent, débouchent sur des formes d'altération du champ de la conscience qui déterminent des manières d'être au monde et dont l'impact sur l'apprentissage et le développement cognitif peut être parfois considérable.

Notes
337.

Roussillon R. (2001), Le plaisir et la répétition. Théorie du processus psychique, Paris, Dunod.

338.

Ibid. p. 142.