La psychose infantile, quant à elle, est caractérisée par une confusion qui met en cause l'identité du vécu, d'où une appréhension dispersée dans des aspects hétérogènes. L'enfant psychotique appréhende bien la situation dans sa globalité et sa complexité mais s'appréhende lui-même de manière hétéroclite d'où un vécu confusionnel. Il en est de même de ses perceptions : l'enfant appréhende bien les variations corporelles ou environnementales, mais jusqu'à un flottement identitaire qui l'envahit et le déborde parce qu'il ne peut discriminer ce qui est pertinent et homogène, ce qui a des rapports de similarité, dans ces événements internes ou externes. Il explore bien mais n'identifie pas, il ne peut assurer une cohérence à la situation contrairement à l'enfant autiste, par exemple, qui identifie mais qui n'explore pas. L'enfant autiste achoppe sur la cohésion, sur la complexité perceptive de la tâche où il isole un détail qu'il perçoit comme un tout et perd le lien d'ensemble.
Dans un article récent portant sur la différence entre l'autisme et les psychoses infantiles, De Guibert C. et Beaud345 L. (2005), neurologues et linguistes travaillant sur la sémiologie des expressions autistiques, proposent une transposition analogique intéressante entre deux types spécifiques d'agnosies rencontrées en neurologie et les différences observées entre l'autisme et les psychoses :
L'enfant psychotique fédère les choses au gré de ses fantasmes, il définit des associations et des identités selon la façon qu'il peut avoir d'organiser le monde en fonction de ses préoccupations internes. Il est ainsi placé dans l'impossibilité de discriminer les aléas de l'expérience vécue dans une cohérence qui lui permette de configurer du particulier, du différent, parce qu'il éprouve une difficulté pour moduler de façon satisfaisante les informations affectives, cognitives et symboliques issues de lui-même ou de l'environnement. Il ne peut trier, filtrer, donc différencier les expériences et organiser une cohérence qui fait que les éléments tiennent ensemble. Pour reprendre l'expression de Delion P. (2002), "le processus psychotisant 347 " met en difficulté les processus d'apprentissage "du monde par l'enfant qui en est le sujet". Ces difficultés trouvent leur source dans les expériences psychiques précoces, au moment où le bébé va découvrir et appréhender le monde en créant des liens entre les expériences de rencontre qui se succèdent dans son existence. Ce travail ne peut se faire que s'il s'appuie sur la pensée d'un autre. Au début de la vie psychique, la pulsion libidinale est en quête de représentations pour la représenter dans l'appareil psychique. Au fur et à mesure des expériences de l'enfant, ces représentations s'associent avec d'autres représentations et, par le travail psychique que le parent fait avec son bébé, les liens sont intériorisés entre des éléments semblables et non semblables, participant ainsi à organiser le monde interne de l'enfant. C'est ainsi qu'il pense le monde petit à petit, construit des invariants qu'il mémorise en même temps que le contexte sensoriel, sensuel et émotionnel qui les accompagne.
D'une certaine manière, l'enfant psychotique saisit la réalité comme le fait le nourrisson au cours de son existence prélangagière, avant qu'il ne soit capable de dire "je veux". Il saisit globalement la réalité perçue à partir d'une activité psychique de nature empathique qui s'appuie sur les ressorts de l'activité mentale originaire, qui préexiste à la mise en place des processus primaires et secondaires. Cette forme d'activité psychique lui permet d'être mentalement, tout à la fois, lui-même et l'autre ; il ne bénéficie pas d'une psyché individuelle mais il dispose d'une psyché de nature communautaire qui est celle de l'environnement dans lequel il déploie ses expériences. Comme cela a été observé avec Simon, cette nature "empathique" de activité psychique met à l'œuvre une première amorce de l'identification qui est particulièrement illustrée par ce qu'il est possible d'appeler : "le mode de la duplication" (d'où l'importance des comportements en miroir que l'on est amené à observer dans ce contexte nosographique). L'enfant se situe lui-même comme l'un des morceaux de la psyché groupale dans laquelle il se construit.
C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, l'intégration scolaire est très intéressante pour ces enfants et, contrairement à ce que l'on a longtemps pensé dans le milieu de la pédopsychiatrie, ils peuvent montrer de remarquables ressources d'adaptation à la vie communautaire au sein d'une école. Voire même, oserons nous prétendre maintenant, à la lumière de quinze années d'expérience, qu'une exposition adaptée (c'est à dire accompagnée) aux multiples contraintes d'adaptation que contient le "vivier" scolaire, dispose en lui-même d'un potentiel thérapeutique indéniable. Ceci-dit, il existe une contrepartie sur le plan des apprentissages que nous pourrions résumer sous la formule paradoxale suivante : "ces enfants apprennent sans avoir à apprendre". Comme le nourrisson duplique la structure mentale de ses parents et assimile leur langue sans avoir à l'apprendre, ils dupliquent les structures lexicales et syntaxiques au cours de l'apprentissage de la lecture, mais sans en assimiler la dimension pragmatique. Cet effet sur l'apprentissage a pour conséquence que, malgré le retard de développement, ils franchissent généralement plus tôt les étapes de l'acquisition de la lecture que les enfants présentant des dysharmonies d'évolution, tels que ceux que nous recevons dans le cadre de notre dispositif.
Guibert C., Beaud L. (2005), "Différence entre autisme de Kanner et psychose infantile : déficits d'unité vs d'identité de la situation ?", La psychiatrie de l'enfant, XLVIII, 2, PUF, pp. 391-423.
Lemay M. (2004), L'autisme aujourd'hui, Paris, Odile Jacob.
Delion P. (2002), "Processus cognitifs et psychoses infantiles", Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 50, Elsevier, pp. 114-120.