4.3.3. Conclusion : les représentations de transformations.

Dans la psychose, l'atteinte concerne de manière plus générale que dans les dysharmonies évolutives l'appareil à symbolisation lui-même et il apparaît que les deux groupes cliniques montrent des différences significatives quant aux modalités du traitement perceptif. On l'a vu, ce dernier reste relativement préservé dans le cadre du premier groupe où le gel de la symbolisation et l'ancrage dans le perceptif joue comme une façon de maîtriser le temps et entrave le développement des apprentissages. Le processus psychotique quant à lui s'inscrit dans un mouvement qui met en scène un trouble de l'identité du percept, sa fragmentation et sa reconstruction sur un mode confusionnel.

Au delà des seuls aspects cognitifs, ces deux modes de fonctionnement psychique nous renseignent sur la manière plus générale dont ces enfants organisent leur rapport au monde et à leurs objets. Bien entendu, ce que la psychose met clairement en évidence apparaît de façon plus diffuse et plus masqué dans les dysharmonies évolutives, mais il semble maintenant bien établi que ces deux types de processus présentent des modes de rapport à la symbolisation, à ses fonctions, bien différents et certainement même spécifiques. Ces différences ont révélé un rapport différentiel à l'activité représentative et ont ouvert la question de leur sens historique. Primitivement, on le sait, c'est pour pallier l'absence perceptive de l'objet que le symbole représentatif se construit. Pour citer Roussillon R. (1997) : "La pensée naît quand on commence à s'abstraire de la perception , quand on commence à quitter l'accrochage perceptif, que ceci s'effectue sous le coup d'une contrainte ou d'un choix délibéré 348 ."

Proposer une intégration scolaire peut être perçu comme une contrainte, voire même vécu par l'enfant comme une violence. La responsabilité des équipes soignante et enseignante est ici fortement intimidante pour les acteurs professionnels qui participent à cette aventure. Comment accompagner ces enfants ? Comment les aider à développer leurs possibilités d'apprentissage scolaire, social et plus généralement du monde ? Car c'est bien dans cette difficulté de pouvoir penser le monde et ses transformations que paraît résider le point de convergence entre les deux modes de fonctionnement psychique qui ont été développé dans ce travail.

Cette perspective, c'est à dire penser les transformations, introduit une direction possible pour élaborer une approche thérapeutique située à l'interface du soin et du pédagogique. Il est en effet frappant de constater que ce sont surtout des anomalies d'élaboration des représentations de transformations qui sont impliquées dans les troubles d'organisation de la pensée des enfants. Cette forme de représentations joue un rôle déterminant dans les difficultés à franchir le cap des apprentissages, elle nous paraît être aussi une cause déterminante des troubles cognitivo-intellectuels que nous avons observés dans le cadre des dysharmonies psychotiques ou des dysharmonies évolutives.

Les représentations de transformation, bien décrites par Gibello B. (1995), sont présentes dès les premiers jours de la vie. Elles s'appuient primitivement sur la motricité et les perceptions liées à la mise en œuvre des schèmes d'action par le bébé. Il y a d'une part les postures, les gestes, les enchaînements sensori-moteurs, les traitements perceptifs que le bébé applique aux objets extérieurs ou à son propre corps, mais il y a d'autre part l'ensemble des impressions attendues de la rencontre avec l'objet. Elles ont été révélées par de nombreux auteurs sous des intitulés différents tels que : les signifiants formels proposés par Anzieu349 D. (1985), les pictogrammes décrits par Aulagnier350 P. (1975), les schèmes de transformation évoqués par Tisseron351 S. (1993), les enveloppes prénarratives de Stern D. (1993) s'étayant sur "une forme temporelle de sentiment". Dans chacun de ces cadres, elles constituent l'enregistrement d'une suite temporelle d'événement à partir d'une action se déroulant dans un contexte affectivo-émotionnel impliquant le corps et la motricité. En ce sens, elles représentent une espèce de récit avant le langage.

Or, si cette forme de récit constitue un élément fondamental de la pensée et de ce qui en permet son développement au début de la vie psychique. Progressivement, la manifestation la plus sophistiquée des représentations de transformation sera constituée ensuite par les récits faits à nous-mêmes et à autrui et qui constitueront la part importante de notre activité de pensée au quotidien. Des récits vectorisés par l'émergence et le développement de la temporalité qui permettra leur inscription dans une trame narrative, c'est à dire une histoire avec une origine et une direction inscrivant une chronologie. Les représentations de transformation sont ainsi directement liées à l'émergence de la temporalité qui sous-tend la ligne de tension narrative qui rendra possible l'apprentissage du monde et de ses objets. Nous rejoignons évidemment ici les travaux effectués par Hochmann352 J. (1984) dans le champ de la narrativité institutionnelle.

Autrement dit, les difficultés (dysharmonies évolutives) ou l'impossibilité (dysharmonies psychotiques) d'ordonner dans le temps une suite d'événements constituent ici une anomalie sévère de la pensée dans la mesure où elles empêchent de construire des récits. Dans les psychoses et les dysharmonies d'évolution il existe, pour des raisons différentes, un déficit de construction des représentations de transformation qui entraîne des perturbations multiples des apprentissages et plus généralement de l'organisation de la pensée. Ces perturbations trouvent leur origine dans la période précoce du développement où le corps, la motricité et la sensorialité, mettent en difficulté le déploiement des processus de symbolisation. De la sensation à la pensée conceptuelle, c'est l'ensemble du trajet par lequel la conscience se construit et se structure au cours de l'enfance qui sera remis en jeu à travers la démarche thérapeutique.

Notes
348.

Roussillon R. (1997), "Les paradoxes de la pensée", in Concepts limites en psychanalyse, Lausanne, Delachaux et Niestlé, p. 251-264.

349.

Anzieu D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1995 pour la 2ème édition, p. 269.

350.

Aulagnier P. (1975), La violence de l'interprétation. Du pictogramme à l'énoncé, Paris, PUF.

351.

Tisseron S. (1993), "Schèmes d'enveloppe et schèmes de transformation dans le fantasme et dans la cure", Les contenants de pensée, Paris, Dunod, p. 61-86.

352.

Hochmann J. (1984), Pour soigner l’enfant psychotique, Toulouse, Privat.