4.4. Conclusion de la quatrième partie : l'approche thérapeutique à Graffiti.

Etant donnés les développements qui précèdent, l'approche thérapeutique ne peut pas se contenter d'une vision orthopédique du soin, qui consisterait à identifier les troubles de l'enfant à partir d'une sémiologie seulement descriptive et qui n'aurait d'autre ambition que de proposer une rééducation ou autre forme de remédiation cognitive. L'approche thérapeutique doit en effet viser le soutien de l'enfant dans le développement de sa pensée, en prenant en compte les avatars liés à la mise en jeu des processus psychopathologiques qui ont été décrits, ce qui n'écarte évidemment pas les possibilités de reprise des difficultés présentées par l'enfant à un niveau instrumental, ou encore des entreprises de remédiation cognitives conduites par l'équipe sur le terrain scolaire, mais ces démarches restent ponctuelles et ne définissent pas l'orientation générale du projet thérapeutique.

Au cours de cette étape conclusive, il ne s'agira pas de procéder à une description exhaustive de l'approche thérapeutique mise en place par le service de pédopsychiatrie dans le cadre de l'intégration scolaire, ou encore de développer les contenus théorico-cliniques des formes d'accompagnement proposées aux enfants. Une présentation de l'architecture globale du dispositif et de sa perspective clinique générale a déjà été réalisée dans la première partie de ce travail de recherche, il s'agira donc maintenant de permettre au lecteur d'appréhender le sens général d'une démarche qui se situe au carrefour du pédagogique, de l'éducatif et du thérapeutique.

Il ne sera donc pas évoqué ici l'importance du travail d'accompagnement de l'enfant à travers son parcours d'intégration. Ni la multiplicité des modalités soutien qui lui sont proposées, à titre individuel ou en groupe, sur le terrain scolaire ou en dehors, au gré des aléas de sa vie psychique. Ces modalités, qui font partie du travail clinique réalisé au quotidien par les soignants, se prêtent difficilement à une présentation descriptive, toujours trop générale, alors que la qualité essentielle de la démarche clinique réside précisément dans le fait qu'elle ne prend véritablement sens que dans la singularité de la rencontre avec l'enfant, et donc dans l'individualisation de l'accompagnement qui lui sera proposé. Pour conclure, il s'agira plus simplement d'illustrer, à partir de quelques exemples concrets, la façon dont une équipe de soins, volontairement située dans l'entre deux, entre l'hôpital et l'école, s'efforce d'inventer une pratique nouvelle qui vise à soutenir l'enfant dans son accès à l'apprentissage, sans pour autant s'appuyer sur une approche orthopédique qui apparaît inadaptée dans ce contexte nosographique. Plus précisément, il s'agit de proposer une démarche susceptible de soutenir l'enfant dans la mise en œuvre de ses processus de pensée.

Pour définir le cadre général de cette démarche, une phrase de Anzieu D. (1993) s'impose :

‘" La peau enveloppe le corps ; par analogie avec la peau, le moi enveloppe le psychisme; par analogie avec le moi, la pensée enveloppe les pensées. L'analogie est ici non une vague ressemblance, mais une correspondance terme à terme des éléments de chaque ensemble353."’

Comme toute frontière, la peau est constituée de trois zones ou trois feuillets : l'endoderme qui gère le rapport à l'interne, l'épiderme qui prend en charge le rapport à l'externe, et le derme qui est une zone d'échanges entre l'interne et l'externe. D'un point de vue métaphorique, la structure de notre système de représentation est à ce niveau semblable : la peau sensations qui est la couche la plus profonde de notre appareil à sentir, à penser et à communiquer, gère le rapport à l'intime de nous-mêmes ; la peau langagière qui est la plus extérieure prend en charge le rapport aux autres et à l'externe, elle détermine la dimension sociale et collective de notre existence ; et la peau d'images, qui nous situe dans l'espace, établit des liens entre les deux.

Au cours du développement de l'enfant, bien que l'acquisition du langage fasse passer la conscience prélangagière au second plan, celle-ci ne disparaît pas pour autant : c'est elle qui donne sa coloration à la conscience, siège de la pensée. En effet, si nos structures cérébrales n'associent pas les paroles à tout un réseau d'images, de sensations et d'odeurs, les mots ne nous présentent qu'un univers vide, abstrait et sans saveur. Que les mots soient le véhicule privilégié de l'intelligence et de la pensée ne supprime pas le fait que celles-ci soient aussi constituées d'images et de sensations, qui y sont plus ou moins consciemment réunies. L'intelligence implique donc non seulement la conscience langagière, mais aussi la conscience prélangagière et la pensée en images qui restent présentes à l'arrière plan du langage354.

La mémoire, par exemple, se constitue à partir des affects et des émotions qui déterminent la nature agréable ou désagréable des évènements vécus. En conséquence, elle est à sa base forcément relationnelle. Telle est aussi la nature de l'esprit qui est tout d'abord une somme de mémoire qui s'exprime à travers un système de représentations principalement constitué de mots, d'images et de sensations. Or, si les sensations nous semblent enracinées dans un espace psychique plus inconscient que les mots, c'est parce que la mémoire qui les gère est plus ancienne.

Peau sensations, peau images, peau langage : voici quelques repères qui devraient permettre de penser l'accompagnement des enfants et de donner corps à une pratique institutionnelle située au carrefour de la pédagogie, de l'éducatif et du thérapeutique355. Trois étapes qui définissent la tonalité générale du travail engagé aux trois niveaux du dispositif, respectivement répartis entre les trois classes, du primaire au collège.

Voici donc simplement quelques illustrations pratiques des modalités du travail organisé à chacun de ces niveaux du dispositif. La présentation qui suit a simplement pour objectif de préparer le lecteur au diaporama qui conclut cette quatrième partie. Il n'était en effet ni possible, ni utile, de rendre compte ici de l'ensemble des formes d'accompagnement proposées aux enfants, de la même façon qu'il était impossible de rendre compte ici de la multiplicité des modalités de leur intégration dans les autres classes de l'établissement scolaire. Plus qu'une présentation exhaustive, il s'agit de transmettre à la fois la trame et le style qui donnent un sens à ces interventions. Elles sont d'ailleurs par nature malléables et liées à la créativité des soignants et des enseignants. C'est pourquoi nous avons opté pour le document vidéo, plus proche de l'expérience partagée par chacun des professionnels avec les enfants et finalement plus fidèle quant à la manière dont l'équipe médico-psychologique conduit son propre travail d'intégration au sein de l'institution scolaire.

Notes
353.

Anzieu D. (1993), "La fonction contenante de la peau, du moi et de la pensée : conteneur, contenant, contenir", in Les contenants de pensée, Dunod, Paris, p. 31.

354.

Au niveau de notre construction mentale, les mots ne sont que l'enveloppe la plus extérieure de l'esprit, car avant que la conscience langagière ne se structure, cette enveloppe est tout d'abord la langue maternelle dans laquelle l'esprit s'incarne.

355.

Notons d'ailleurs que cette chronologie n'est pas sans rappeler le modèle proposé par Bruner J. (1996), rapidement évoquer dans la première partie de ce cette thèse (p. 45). Bruner J. considère en effet que les enfants se représentent le monde d’une manière différente selon le stade de développement qu’ils ont atteint. Les enfants les plus jeunes voient le monde essentiellement à travers les actions qu’ils peuvent exercer sur lui, c’est ce qu’il appelle le mode de représentation énactif. Ensuite, chez les enfants plus âgés, c’est la forme de représentation iconique qui domine. En début d’adolescence, les jeunes accèdent au stade symbolique qui leur permet de manipuler différents formalismes linguistiques, mathématiques, logiques. Ce troisième système, symbolique, met en jeu le langage conçu comme une technique culturelle et, dès lors, il n'est plus possible de dissocier le développement du langage du développement cognitif.