Conclusion

‘"C'est ce qui s'échappe des mots que les mots doivent dire357."
Nathalie Sarraute’

La conclusion représente un moment particulier dans le déroulement d'une thèse. Conclure, c'est accepter que l'analyse en reste là, au moins provisoirement. C'est accepter de se consacrer à une dernière lecture qui ne devra pas entraîner une dernière modification du texte puisqu'il faut bien lâcher prise à un moment ou à un autre. Le lecteur va se saisir de cet écrit comme un produit fini alors que l'auteur y laisse inévitablement une part d'inachèvement. A côté de celle de la page blanche, il existe la crainte de la conclusion qui s'immisce entre les touches du clavier, au moment où le travail de l'écriture change de statut pour devenir un écrit. Comme chacun le sait, ce qui est écrit est écrit. Cette dernière étape fixe donc le texte d'une histoire qui appartiendra bientôt au passé.

Difficile alors de dire ce qui l'emporte entre la satisfaction de mettre un point final à cette entreprise, et l'insatisfaction de voir ainsi marquée, très concrètement, la limite d'une réflexion. Une ultime question s'impose, de celle que l'on esquive tout au long d'un travail tel que celui-ci : "cet écrit mérite-t-il d'être discuté ?" L'élaboration de la réflexion au cours de cette entreprise avait jusque là permis d'esquiver cette question en conservant intacte la possibilité de toujours s'en remettre au lendemain pour apporter des modifications à l'écrit, explorer tel où tel domaine théorique, approfondir les outils d'analyse, mesurer parfois la portée des idées en les exposant à la critique des collègues. Il est en effet toujours rassurant d'entretenir mentalement la possibilité de revenir sans cesse sur l'écriture.

C'est en vérité esquiver un point crucial, celui qui traverse toute recherche mais dont chacun peut faire l'expérience ; à savoir que précisément la vérité échappe radicalement au langage, plus encore au langage écrit. Ce qui échappe radicalement, la psychanalyse lacanienne l'a repris sous le nom de réel, c'est à dire de ce qui est impossible à symboliser du fait de la parole, du fait que nous sommes des êtres parlant et que le réel reste à jamais inaccessible. L'écrit ne peut pas tout dire. Il ne s'agit pas ici d'une impuissance ponctuelle, d'un avatar que nous pourrions tenter de dépasser au moment de la conclusion : il s'agit d'une impossibilité, d'une caractéristique irréductible qui tient au fait que l'être humain est un animal parlant.

Alors, le malaise est-il lié au fait que ce moment de la conclusion signe le retour du réel dans la réalité ?

Le malaise tient certainement à cette prise de conscience, presque soudaine, d'un inachèvement qui après avoir été si longtemps un confort et un atout devient brutalement un obstacle. Et si, avec l'obligation et l'impossibilité d'en finir avec ce travail, venaient se révéler les enjeux d'une position paradoxale ? Cette recherche étant pour nous si intimement liée à notre engagement professionnel, la fin de l'écriture introduit-elle en même temps le pressentiment de la fin d'une aventure ?

Pour échapper à ces questions, nous proposons d'avancer dans cette conclusion en restant guidé par ce qui fonde notre démarche et qui constitue ses points faibles, ses limites, mais aussi ses points forts, tout au moins son intérêt et sa singularité. Nous aborderons quelques remarques concernant quatre des aspects qui innervent l'ensemble de cet écrit : l'inscription psychopathologique des dysharmonies développementales jusqu'alors masquées par des profils déficitaires ; le dualisme méthodologique ; l'accompagnement thérapeutique ; l'intégration scolaire et le service de pédopsychiatrie.

Notes
357.

Pour un oui ou pour un non, Paris, Gallimard, 1983.