Le dualisme méthodologique.

Cet écrit établit un lien, une logique d'emboîtement et de sens, entre les processus cognitifs, les processus psychiques et l'accompagnement thérapeutique proposé aux enfants.

Dans la perspective d'une dualité méthodologique, après avoir emprunté les chemins d'une psychologie dite "scientifique", nous avons suivi la voie de l'observation clinique. Nous l'avons dit, la rupture est épistémologique car il était indispensable de changer de registre conceptuel dans la mesure où seule la pratique de l'observation clinique, d'une part en tant qu'elle est pratique d'observation, et d'autre part en tant qu'elle vise le psychisme humain, permettait de poursuivre le cheminement.

Dans son ouvrage sur l'observation clinique, Ciccone A. (1998) propose une définition de l'observation : "l'observation suppose d'aller vers le réel, pour découvrir une nouveauté au delà de ce qui se présente sous l'apparence du déjà connu. Observer suppose une position nouvelle, en rupture avec ce qui a jusque là orienté le regard360." Il a été beaucoup question de la perception tout au long de la thèse mais en effet, "Percevoir" n'est pas "observer". Observer, c'est précisément prendre acte que la perception transforme la réalité, qu'elle produit des effets, et construit la réalité au fur et à mesure qu'elle l'invente361. Observer ne consiste donc pas à enregistrer passivement la réalité pour en produire une photocopie. C'est la raison pour laquelle une double méthodologie était inévitable pour atteindre les objectifs fixés par notre projet de recherche. Il fallait nécessairement se dégager d'une lecture de surface des troubles cognitifs présentés par les enfants et investir le cadre de l'observation clinique.

Le paradoxe est le suivant : lorsqu'il s'agit d'étudier les processus psychiques, les approches interprétatives semblent fournir des résultats plus intéressants pour les cliniciens que les approches plus valides, à la méthodologie rigoureuse. Et nous sommes évidemment d'accord avec Pédinielli J. L. (1999) lorsqu'il constate "qu'il n'y a pas systématiquement opposition entre ces deux pôles de la recherche, mais qu'ils correspondent en fait à des temps différents du travail de découverte et de validation 362 ." Cette thèse illustre particulièrement ce point de vue, puisqu'elle vise à établir une continuité entre les divers processus (cognitifs élémentaires, cognitifs complexes, psychiques) à partir d'un tempo à deux temps : l'évaluation cognitive et l'observation clinique. A chaque étape les hypothèses s'inscrivent dans des problématiques différentes et invoquent des cadres conceptuels qui s'ignorent habituellement. Cette double démarche a permis de mettre à jour les liens entre la complexité psychopathologique des troubles présentés par les enfants et la manière dont ces troubles apparaissent spécifiquement à travers la mise en jeu des processus cognitifs. Les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle contiennent d'ailleurs en elles-mêmes ce double mouvement : l'utilisation d'un outil qui vise une démarche objective, l'observation clinique de l'enfant pour réintégrer ses productions dans un contexte historique et singulier. Il n'y a là rien de plus que le geste quotidien du clinicien en exercice, qui met en scène des petites situations de recherche, et qui construit ainsi au fil du temps son expérience clinique.

Ceci dit, avec la mise en œuvre de l'observation, le clinicien ne doit pas éviter la question de savoir si l'objet observé est réel ou construit. Sa démarche est donc ici doublement critique : lorsqu'il observe un fait clinique, y a-t-il découverte ou invention du monde ? Les faits sont-ils accessibles en tant que tels, ou bien n'y trouve-t-on jamais que la confirmation d'une construction déjà là, toujours provisoire et à reformuler ? Il serait d'ailleurs légitime de se retourner la question, particulièrement à propos du dernier volet de cet écrit qui concerne la forme d'accompagnement thérapeutique que nous proposons à Graffiti. En quoi le dispositif thérapeutique est-il congruent avec les observations cliniques que nous avons menées ? L'ironie du sort voudrait que pour répondre à cette question, le mieux serait d'évaluer l'efficacité du dispositif à partir d'une démarche objectivante.

Notes
360.

Ciccone A. (1998), L'observation clinique, Topos, Paris, Dunod.

361.

Toute perception est avant tout une hallucination, ceci a été largement abordé à partir des analyses que nous avons proposées pour le test de Reconnaissance de formes.

362.

Pédinielli J. L. (1999), Introduction à la psychologie clinique, Paris, Nathan, p. 108.