L'accompagnement thérapeutique.

Il y a maintenant une vingtaine d'années, Lautrey363 J. (1978) étudiait précisément la liaison des stratégies éducatives et la construction des structures cognitives chez l'enfant. A partir d'une démarche objectivante, il s'agissait de mettre en évidence les caractéristiques de l'environnement familial et du milieu social qui favorisent le développement des bases de l'intelligence. Pour cela, l'auteur s'appuie sur le modèle théorique piagétien et pose l'hypothèse que l'environnement sera d'autant plus favorable au développement cognitif qu'il sera source de déséquilibres cognitifs susceptibles d'entraîner des équilibrations majorantes. L'approche méthodologique de l'étude est d'une complexité telle, qu'il n'est pas possible ici de la présenter dans sa totalité. Retenons simplement qu'il s'agit de mettre en relation la manière dont l'enfant est capable d'établir des équilibrations majorantes en situation de perturbation cognitive avec certaines des caractéristiques de l'environnement familial à l'intérieur duquel se déroule son développement. Trois types théoriques d'environnement fournissent le cadre conceptuel à l'observation du milieu familial : le milieu à structuration faible, où les perturbations dominent sur les régularités ; le milieu à structuration souple, où perturbations et régularités sont présentes de façon conjointe ; et le milieu à structuration rigide, où des régularités immuables fixent ce que l'enfant peut faire où ne pas faire au quotidien.

Dans la mesure où il est le seul à présenter conjointement perturbation et régularités, le type théorique d'environnement souplement structuré s'avère, on l'aurait deviné, le plus favorable au développement cognitif car il est le mieux placé pour susciter des rééquilibrations majorantes, c'est à dire des constructions cognitives. Cela ne signifie évidemment pas que les propriétés formelles des régularités qui organisent la vie quotidienne de l'enfant soient le seul aspect susceptible d'influencer le développement cognitif, ni même que cet aspect soit le plus important, mais il rejoint les conclusions de ce travail sur au moins deux points. Tout d'abord, nous pensons également que le développement de l'enfant ne s'édifie pas sur des contenus mais qu'il se déroule en arrière plan des expériences qu'il fait dans un milieu donné. Ceci n'est d'ailleurs pas sans rappeler les formulations théoriques de Vygotski364 L. (1985), que nous avons déjà évoquées365 : le processus de développement s’effectue en arrière fond des situations d’enseignements-apprentissages elles-mêmes, il ne se réduit pas à l’intégration des contenus et à la construction des capacités. Ensuite, nous sommes également convaincus que seul un milieu à structuration souple et malléable favorisera les apprentissages et le développement, à partir d'une harmonisation fine entre macrorythmes et microrythmes.

Sans prétendre relever le défi lancé par Lautrey J. (1978), nous avons tenté une petite évaluation du dispositif à partir d'une méthode objectivante. Dans la continuité des observations longitudinales réalisées avec Jérémy, un certain nombre des enfants qui avaient participé à cette étude ont été re-testés ultérieurement, soit à l'occasion d'une orientation en SEGPA, soit à l'occasion de la sortie du niveau primaire pour rejoindre l'UPI, soit plus exceptionnellement lors d'un retour définitif en classe ordinaire. Il était donc possible d'établir des comparaisons de moyennes entre les évaluations d'entrée et les évaluations de sortie pour estimer grossièrement les progrès cognitifs réalisés au fil du temps par les enfants. Les résultats sont malgré tout intéressants.

Les tests de comparaison de moyennes (pour les détails de l'étude, se reporter à l'annexe 14) ont été réalisés à partir d'un groupe composé par 20 sujets. Il apparaît que la progression des Quotients Intellectuels (QI) est statistiquement significative pour les trois indices du WISC III (QIv ; QIp ; QIt). Sur cet échantillon, Le QIv a augmenté en moyenne de 14,6 points, le QIp de 13,2 points et le QIt de 15 points.

Evidemment, nous sommes conscients que les liens entre le dispositif et les résultats des tests statistiques ne sont pas ici explicites et qu'ils font l'objet d'une interprétation. On pourrait facilement nous faire remarquer que notre démarche s'apparente ici à un "argument d'adéquation" à partir duquel la seule convergence des faits attesterait de la validation de leurs relations. Nous n'avons en effet aucun argument solide qui permette d'établir une relation entre les résultats de cette évaluation rapide et la nature du dispositif. Etant donnée notre implication dans cette démarche de soins, nous sommes d'ailleurs certainement conduits à penser que les progrès constatés à travers cette évaluation sont directement liés à la qualité des interventions de l'équipe soignante. Il est même possible de pousser la critique encore plus loin et de postuler que la situation d'intégration scolaire, quelque soit le dispositif d'accompagnement, voire sans accompagnement, se suffit à elle même pour expliquer les progrès cognitifs. Pour porter un avis quant à la pertinence du dispositif, il aurait fallu peaufiner l'approche méthodologique d'évaluation du cadre de soins ; établir des comparaisons avec d'autres pratiques d'intégration scolaire, etc. Ceci, est un autre chantier que celui engagé au cours de ce travail de recherche, et pour tout dire, il n'est même pas certain qu'une telle démarche comporte un quelconque intérêt pour le travail clinique réalisé dans ce cadre thérapeutique.

Le principe d'inscrire une recherche au cœur d'un dispositif clinique ne se résume pas au seul objectif d'établir une vérité, ou de déchiffrer enfin une réalité. Il alimente, en continu, une dynamique, une réflexion autour des questions, certes très générales mais essentielles, qui se posent toujours à une équipe soignante : Comment penser le travail de soin dans une institution qui a pour objectif l'accompagnement thérapeutique d'enfants présentant des troubles graves de la personnalité et du comportement ? Comment tisser au fil du temps un projet thérapeutique dans lequel les soignants se reconnaîtront et qu'ils voudront s'approprier ? Car, c'est à partir de ce travail d'appropriation subjective qu'émerge un cadre de pensée qui délimitera progressivement un cadre de soins : objet à symboliser en même temps qu'objet pour symboliser.

Notes
363.

Lautrey J. (1978), "Structuration de l'environnement familial et développement cognitif", Cahiers de Psychologie, 21, p. 99-110.

364.

Vygotski L. S. (1985), Pensée et langage, Paris, Messidor Editions Sociales, p 268.

365.

Voir p. 56.