L'intégration scolaire : une certaine philosophie de l'action en pédopsychiatrie.

L'accompagnement thérapeutique que nous proposons est nécessairement situé au plus près des besoins de l'enfant. Idéalement, il s'agit d'offrir la possibilité à chacun d'eux, lorsque la sévérité du déficit n'y fait pas irrémédiablement obstacle, d'évoluer au sein de l'institution scolaire moyennant un accompagnement approprié, susceptible de garantir leur qualité de vie, leur participation à la communauté scolaire. A l'instar de l'autonomie, la qualité de vie n'est pas un état, mais un processus auquel chacun travaille activement en collaboration avec d'autres. Grâce à l'accompagnement personnalisé, qui est la clé de voûte du dispositif, l'enfant peut se livrer à des activités qu'il est d'ordinaire incapable d'accomplir. C'est pourquoi, aux termes de "prise en charge" qui connotent, d'un côté, les attitudes de protection et d'emprise de la part des soignants, et, de l'autre, la passivité des "patients", nous préférons avec Gardou C. (2005) le terme d'accompagnement qui dérive de compagnon. "Accompagner (de con pane, compagnon) signifie partager le pain et renvoie en quelque sorte au contrat idéal, celui où la nourriture rare est divisée équitablement entre tous les compagnons. C'est l'image archétypale d'un lien qui suppose une communauté de destin 366".

L'enfant doit s'intégrer, mais il n'est pas seul dans cette démarche : le soignant doit également défricher les voies de sa propre intégration dans une institution scolaire qui n'est pas toujours prête à l'accueillir, à lui faire une place. L'accompagnement thérapeutique nous paraît participer de cette destinée partagée, pour peu que l'on respecte les droits fondamentaux de l'enfant : celui de porter un avis sur les propositions qui lui sont faites, celui de bénéficier des supports institutionnels adéquats pour faciliter son intégration scolaire. Faute de quoi ce n'est plus d'accompagnement dont il s'agit, mais d'intégration forcée (d'inclusion ?). L'essentiel de l'effet thérapeutique résulte de cette forme de présence implicite des soignants sur le terrain scolaire, une présence en partie indicible, qui ne se prête pas à la quantification : leur participation aux activités de la classe ; leurs relations avec les autres élèves de l'école ou du collège ; leur présence lors des séjours "classes vertes" ou "classes de neiges" ou "voyages scolaires" ; l'accompagnement de l'enfant dans les moments d'intégration en classe ordinaire ; les relations étroites avec l'ensemble des enseignants des établissements concernés ; etc. Tout ces petits moments informels qui participent de la vie d'une communauté. La liste est infinie.

Le temps à venir pour la pédopsychiatrie est à penser comme celui de la prise en compte volontariste de la complexité infinie du domaine de la psychopathologie de l'enfant et de la variété infinie des formes d'accompagnements thérapeutiques possibles. La pathologie de l'enfant ne constitue à elle seule ni un destin, ni une identité. Avant d'être "différents", ces enfants existent tout simplement et se situent au delà de nos modes de découpage du réel humain et du savoir scientifique. C'est pourquoi l'approche clinique doit systématiquement rechercher le maintien de l'enfant au sein de sa communauté naturelle et repousser le plus loin possible les limites de cette entreprise. C'est la condition pour que s'ouvre l'ère de la pleine reconnaissance des besoins de l'enfant, de ses désirs, de sa vulnérabilité, qui font de lui un "différent /ressemblant" comme l'évoque si justement Gardou C. (2005).

Au cours d'une journée d'étude organisée au niveau du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, il y a maintenant presque deux ans, nous restions sidérés lorsqu'il était déclamé, certes par quelques personnes isolées, le principe qu'il ne fallait pas scolariser les enfants psychotiques dans l'école. Qu'il s'agissait d'une mise en situation "violente" qui ne respectait pas l'enfant en tant que sujet parce qu'il "demandait" avant tout à être soigné. Il était question d'aliénation et nous avions l'étrange sentiment d'être brutalement projeté 20 ans en arrière.

Au cours d'une même journée de pôle, mais cette fois ci organisée sur le thème de l'agitation il y a tout juste quelques mois, dans le cadre d'un groupe de travail, nous écoutions le désarroi d'une jeune enseignante exerçant en hôpital de jour. Elle exposait sa grande difficulté à contenir les enfants dans son cadre scolaire, y compris à partir de situations parfois très individualisées. Elle reconnaissait sa pleine satisfaction lorsqu'elle parvenait à mobiliser "au maximum" une demi-heure sur l'ensemble du temps scolaire imparti, l'attention de l'enfant sur des tâches d'apprentissage. Il semblait s'agir d'enfants aux profils très proches de ceux que nous accueillons à Graffiti. Cette jeune enseignante sollicitait l'avis du groupe pour tenter de comprendre cet échec vis à vis des tentatives de scolarisation des enfants. Elle avançait timidement l'hypothèse selon laquelle l'hôpital de jour et son dispositif analysant apparaissait comme un cadre peu compatible avec le principe d'une scolarisation qui doit s'adosser à des modèle pédagogique : "il semble que les enfants se comportent avec nous, enseignants, comme ils peuvent le faire en présence des soignants !" Il s'agit ici d'une situation dans laquelle l'accès à la scolarisation est symboliquement rendu difficile par la confusion des cadres : cadre scolaire/cadre thérapeutique.

L'après midi de cette même journée, un petit document vidéo était proposé au public. Une caméra fixe, posée dans une classe ordinaire, restituait les images d'une enfant manifestement très perturbée et suivie depuis de nombreuses années par le service de pédopsychiatrie. Elle bénéficiait d'une intégration totale dans sa classe sans aucune aide spécialisée. Au terme de la projection, le public manifesta son malaise devant le comportement déambulatoire de cette enfant qui ne tenait pas en place malgré les tentatives, tout en sollicitude, de son enseignante pour la contenir. Le malaise venait du fait que cette situation n'avait tout simplement pas de sens : l'enfant était ici assigné à une place qu'il ne pouvait pas tenir. Il s'agit d'une situation dans laquelle la scolarisation est rendue difficile par défaut d'une réflexion sur les formes possibles d'organisation des liens entre le cadre scolaire et le cadre thérapeutique.

On ne peut s'empêcher de penser que le destin d'un enfant ne se joue pas formellement sous une forme alternative : hôpital de jour versus scolarisation à temps plein. Avant de penser strictement l'unique volet du soin, il est possible d'envisager la scolarité d'un enfant en lui donnant enfin un sens, c'est à dire prendre tout simplement en compte ses besoins. La pédopsychiatrie est manifestement concernée par cette démarche et elle a sur ce point un rôle fondamental a jouer : l'espace scolaire n'est pas interdit d'accès et il est possible d'imaginer des formes d'interventions adaptées qui ne retirent pas à l'enfant son droit de fréquenter pleinement l'école.

Il n'est pas de sujet sans un autre qui reconnaisse ses droits et ses besoins dans son altérité parfois radicale. La formulation et la résolution des questions inhérentes à l'intégration scolaire ne peuvent plus se concevoir sur la base de l'action désordonnée, reposant sur la bonne volonté des soignants d'un service donné, mais au contraire sur la base d'une volonté efficace de reconnaître les droits inaliénable de l'enfant pour accéder à un statut d'élève dans le respect de ses besoins. Il existe mille manières différentes d'inter-relier le cadre scolaire et le cadre thérapeutique. Agir, c'est refuser toute fatalité et toute croyance en la fixité d'un ordre établi, apprendre à dire non à ce qui semble immuable. Si nous prenons le risque de dénoncer les contraintes institutionnelles opportunistes et leurs effets de façade, si nous nous sentons libre de marcher hors des sentiers battus, nous contribuerons sûrement à transformer le réel. Tout au moins, faute de le saisir nous tenterons une approche de la "vérité" des enfants qui nous sont confiés.

En 1989, à partir d'un article intitulé "Vérité et futur antérieur", Bolzinger A. s'interroge sur les relations entre la "vérité" et cette forme de conjugaison du verbe dans le mode indicatif que représente le futur antérieur. Ce n'est ni un conditionnel, ni un optatif : un verbe au futur antérieur possède une force d'affirmation qui, dans l'après coup, semble établir une vérité. L'auteur remarque : "Mais si finalement, à la question : qu'est ce que la vérité ? Nous pouvons répondre : grâce au futur antérieur, il y a deux ou trois choses que je sais d'elle ! J'estime que le pari aura été gagné 367 ."

Si finalement, il est dit que ce travail aura contribuéau développement des pratiques d'intégration scolaire des enfants différents/ressemblants suivis par la psychiatrie infanto-juvénile, le pari aura été gagné.

Notes
366.

Gardou C. (2005), Fragments sur le handicap et la vulnérabilité, Ramonville Saint-Agne, érès, p. 35.

367.

Bolzinger A. (1989), "Vérité et futur antérieur", Esquisses psychanalytiques, 11, Paris, Editions Esquisses psychanalytiques, p. 54.