III. Le père

Le symbolique n’est pas, en réalité, l’apanage du père. En effet, lorsque la mère apprend à l’enfant à subir des frustrations, elle introduit une amorce de l’ordre symbolique. Lacan souligne également que la castration, qui relève d’un développement plus avancé du registre du symbolique, ne ressortit pas uniquement au père. Elle concerne, avant tout, la mère :

‘S’il y a castration, c’est dans la mesure où le complexe d’Œdipe est castration. Mais la castration, ce n’est pas pour rien qu’on s’est aperçu, de façon ténébreuse, qu’elle avait tout autant de rapport avec la mère qu’avec le père. La castration maternelle – nous le voyons dans la description de la situation primitive – implique pour l’enfant la possibilité de la dévoration et la morsure. Il y a antériorité de la castration maternelle, et la castration paternelle en est un substitut. (Lacan, 1994 : 367)’

Toutefois, si l’on s’intéresse au lien entre, d’une part, l’oralité et la mère et, d’autre part, l’oralité et le père, on se rend compte que le fonctionnement de la problématique orale est plus complexe sous l’angle paternel. En effet, notre étude de l’aspect maternel de l’oralité a mis au jour le caractère monovalent de la relation orale puisque cette dernière est « dominée par la pure menace de dévoration totale par la mère » (Lacan, 1994 : 367). Ainsi, le rapport dialectique « manger-être mangé », qui fait de l’oralité une problématique, c’est-à-dire « un problème auquel on ne peut apporter de solution » (Rey, 1998, III : 2949), est éludé.

Ce qui sous-tend cette opposition entre la contraction et l’expansion, entre la monovalence et la dialectique, autrement dit entre l’oralité qui relève de la mère et celle qui ressortit au père, c’est la différence entre la castration maternelle et la castration paternelle :

‘Celle-ci [la castration paternelle] n’est pas moins terrible peut-être, mais elle est certainement plus favorable que l’autre, parce qu’elle est susceptible de développements, ce qui n’est pas le cas de l’engloutissement et de la dévoration par la mère. Du côté du père, un développement dialectique est possible. Une rivalité avec le père est possible, un meurtre du père est possible, une éviration du père est possible. De ce côté, le complexe de castration est fécond dans l’Œdipe, au lieu qu’il ne l’est pas du côté de la mère. Et, pour une simple raison, c’est qu’il est impossible d’évirer la mère, parce qu’elle n’a rien que l’on puisse évirer (Lacan, 1994 : 367). ’

Même s’il y a, entre la mère et le père, de nombreuses nuances, il est important de noter que c’est sur le registre de l’imaginaire que s’appuient principalement les analyses de Lacan dans le Séminaire IV. En effet, bien qu’il soit patent que la dévoration par la mère relève de l’imaginaire, on pourrait croire que le rapport dialectique ressortit à un autre registre. Or, Lacan insiste sur le fait que ce rapport dialectique concerne avant tout le père imaginaire : « Le père imaginaire, nous avons tout le temps affaire à lui. C’est lui auquel se réfère le plus communément toute la dialectique, celle de l’agressivité, celle de l’identification, celle de l’idéalisation par où le sujet accède à l’identification au père. » (Lacan, 1994 : 220) Étant donné que le père imaginaire est omniprésent dans les Trois Contes et les Tales of Unrest, nous serons à même de saisir les subtilités du rapport dialectique qui fonde la problématique orale : dévorer-être dévoré.