Chapitre V : L’œil au regard : de l’impressionnisme a l’expressionnisme

Avant de s’intéresser aux aspects visuels qui nous ont permis d’établir des relations entre, Flaubert, Conrad, l’impressionnisme et l’expressionnisme, il est nécessaire de mettre en évidence les raisons qui nous ont incités à négliger de considérer l’impressionnisme littéraire dans notre partie sur la voix.

On a souvent rattaché Joseph Conrad et Ford Madox Ford à ce courant littéraire487 qui, paradoxalement, a trouvé meilleure fortune auprès des écrivains britanniques et américains qu’auprès des écrivains français.

Pourtant, c’est un critique français, à savoir Ferdinand Brunetière, qui a le premier, dans un article sur Daudet écrit en 1879, défini ce courant comme « une transposition systématique des moyens d’expression d’un art, qui est l’art de peindre, dans le domaine d’un autre art, qui est l’art d’écrire »488. Mais peut-on véritablement transposer sur le plan de la narration littéraire les techniques picturales utilisées par les peintres impressionnistes ?

De nombreux critiques, et notamment, dans un ouvrage récent489, John G. Peters, ont mis l’accent sur l’influence de l’impressionnisme dans la narration des œuvres de Conrad. Il est malaisé de concevoir comment l’impressionnisme pourrait être lié à la narration alors que ce sont précisément les peintres impressionnistes qui, pour la première fois dans l’histoire de la peinture, ont remis en question, d’une manière radicale, les histoires que racontaient auparavant les tableaux. Est-il vraiment possible de comparer la série des nymphéas de Monet et la narration des œuvres flaubertiennes et conradiennes ? Je ne crois pas. Nous nous contenterons donc d’étudier l’aspect visuel de l’impressionnisme puisque, comme le dit Ezra Pound,« impressionism […] is of the eye »490.

Notes
487.

« The word Impressionism had been widely used to characterize the school of novelists to which Ford and Conrad both belonged. » Frank MacShane (éd.), Critical Writings of Ford Madox Ford, (Lincoln, University of Nebraska Press, 1964), p. 33. Si l’on a trop souvent associé ces deux écrivains à l’impressionnisme littéraire, c’est à cause de trois facteurs déterminants : la francophilie de ces deux écrivains, leur collaboration, l’article de Ford publié en 1914 (On Impressionism).

488.

Ferdinand Brunetière, Le roman naturaliste, (Paris, Calmann Lévy, 1883), p. 88.

On peut lire ce passage tiré du livre de Brunetièresur le site de la Bibliothèque Nationale de France (page consultée le 20 février 2009) :
< http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-80328&I=92&M=tdm>

489.

John G. Peters, Conrad and Impressionism, (Cambridge, Cambridge University Press, 2001).

490.

Ezra Pound, cité par Jesse Matz, Literary Impressionism and Modernist Aesthetics, (Cambridge, Cambridge University Press, 2001), p. 14.