III. Une réponse perverse à la castration : Théâtralisation et fétichisme

A. La théâtralisation

Le fait que le champ lexical sémantique de la théâtralité prévale dans la description du monde de Karain, n’est sans doute pas anodin. En effet, si l’on s’intéresse à la psychanalyse, on ne tarde pas à découvrir que la théâtralisation joue un rôle décisif pour deux types de sujet : le sujet hystérique et le sujet pervers. Ainsi, l’apport de la psychanalyse d’orientation lacanienne va nous permettre de jeter des lumières nouvelles sur le monde de Karain.

Dans The Sublime Object of Ideology, Slavoj Žižek décrit en détail le fonctionnement du théâtre hystérique :

‘Imaginary identification is always identification on behalf of a certain gaze in the Other. So, apropos of every imitation of a model-image, apropos of “every playing role”, the question to ask is : for whom is the subject enacting this role ? Which gaze is considered when the subject identifies himself with a certain image ? The gap between the way I see myself and the point from which I am being observed to appear likeable to myself is crucial for grasping hysteria (and obsessional neurosis as its subspecies) — for so-called hysterical theatre : when we take the hysterical woman in the act of such a theatrical outburst, it is of course clear that she is doing this to offer herself to the Other as the object of its desire, but concrete analysis has to discover who — which subject — embodies for her the Other. Behind an extremely “feminine” imaginary figure, we can thus generally discover some kind of masculine, paternal identification : she is enacting fragile femininity, but on the symbolic level she is in fact identified with the paternal gaze, to which she wants to appear likeable600.’

Il ressort de ce passage qu’il existe un lien entre le théâtre hystérique et le regard. Ce dernier est, certes, fantasmé par le sujet, mais il occupe une place centrale dans le processus d’identification du sujet.

C’est en portant notre attention sur ce lien entre le regard et l’identification que nous pouvons établir une distinction entre le théâtre hystérique et le théâtre pervers. Le regard auquel l’hystérique s’identifie est, comme l’a noté Žižek, le regard paternel tandis que, dans la perversion, il s’agit d’un « procès d’identification massive à la mère phallique » (Castanet, 1996 : 59).

Si le trait pervers que constitue le voyeurisme n’est pas sans importance dans le récit du narrateur intradiégétique, à savoir Karain, l’autre trait pervers que constitue le fétichisme permet de rendre raison de certains éléments du monde de Karain, si du moins l’on s’en tient à la description que nous en donne le narrateur extradiégétique.

Notes
600.

Slavoj Žižek,The Sublime Object of Ideology, (London, Verso, 1989), p. 106. Les italiques sont de l’auteur.