A. Du pastiche manifeste...

Concernant le style de Flaubert, Albert Thibaudet a mis l’accent sur l’importance de « la période ternaire, dont les trois membres sont souvent rangés dans un ordre de grandeur, soit croissante, soit décroissante » (Thibaudet, 1982 : 231). Effectivement, les périodes ternaires constituent un véritable trait stylistique flaubertien, elles sont très fréquentes dans l’œuvre de Flaubert et notamment dans les Trois Contes. Ainsi, dans « Un cœur simple », on peut lire la phrase suivante : « Elle se pencha sur la carte ; ce réseau de lignes coloriées fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre ; et Bourais l’invitant à dire ce qui l’embarrassait, elle lui pria de lui montrer la maison où demeurait Victor » (41). Ou bien dans « La légende de saint Julien l’Hospitalier » : « Julien, dénouant ses longes, le lâchait tout à coup ; la bête hardie montait droit dans l’air comme une flèche ; et l’on voyait deux taches inégales tourner, se joindre, puis disparaître dans les hauteurs de l’azur » (91). Ou encore dans « Hérodias » : « Des sicaires de Jérusalem escortaient les prêtres ; ils avaient sous leurs vêtements des poignards ; et le Tétrarque ne doutait pas de la science de Phanuel » (179).

Dans ces trois exemples, on peut remarquer que le troisième membre de la période ternaire commence par la conjonction de coordination « et ». On associe souvent cette conjonction à la période ternaire flaubertienne.

Albert Thibaudet et Marcel Proust ont mis l’accent sur l’importance de la conjonction « et » dans le style de Flaubert. Tout d’abord, Albert Thibaudet a attiré l’attention sur le fait que lorsque « le dernier membre de la phrase ternaire est le plus long des trois, il est presque toujours réuni au second par un et de mouvement » (Thibaudet, 1982 : 234). Quant à Marcel Proust, il écrit :

‘La conjonction “et” n'a nullement dans Flaubert l'objet que la grammaire lui assigne. Elle marque une pause dans une mesure rythmique et divise un tableau. En effet partout où on mettrait « et », Flaubert le supprime. C'est le modèle et la coupe de tant de phrases admirables. » (Proust, 1971 : 590)’

En fait, les trois périodes ternaires que nous avons citées précédemment montrent bien que le« et de mouvement » est très fréquent dans le troisième membre des périodes ternaires flaubertiennes. Il est souvent suivi d’une virgule comme c’est le cas dans l’exemple suivant tiré de « La légende de saint Julien l’Hospitalier »  : « On y mangea les plus rares épices, avec des poules grosses comme des moutons ; par divertissement, un nain sortit d’un pâté ; et, les écuelles ne suffisant plus, car la foule augmentait toujours, on fut obligé de boire dans les oliphants et dans les casques » (81).

Il appert que le pastiche de Flaubert est plus évident dans le premier récit de Tales of Unrest, à savoir « Karain: A Memory », que dans les autres. Effectivement, lorsqu’on lit la phrase suivante, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : « He shared his food, his repose and his thoughts; he knew his plans, guarded his secrets; and, impassive behind his master’s agitation, without stirring the least bit, murmured above his head in a soothing tone some words difficult to catch » (68). À l’instar de la période ternaire flaubertienne, les trois membres sont séparés par des points-virgules et le troisième membre commence par le« et de mouvement ».

Même si le pastiche de Flaubert n’est pas aussi patent dans les autres récits de Tales of Unrest, il existe néanmoins. En fait, Yves Hervouet a mis en évidence le pastiche de Flaubert dans les deux premiers récits, à savoir « Karain: A Memory » et « The Idiots ». Cependant, il y a bel et bien un pastiche de Flaubert dans les autres récits.