1.1.1. Cohérence et cohésion : différenciation

L’étude psycholinguistique du texte dans sa globalité trouve sa pertinence dans la mesure où certains domaines syntaxiques, tels que le SN, un des centres de préoccupations de cette recherche, ne peuvent s’expliquer seulement par l’observation de phrases isolées mais exigent la prise en considération du texte tout entier. Dans cette optique, nous travaillons sur le texte dans sa globalité et, comme le disent Kail et Fayol (2000) en parlant des travaux de Hickmann (2000), nous mettons en relation la phrase et le discours. Il semble alors essentiel de travailler les notions de cohérence et de cohésion, dans une optique n’intégrant pas seulement l’organisation du texte narratif comme cela l’a beaucoup été (Berman et Slobin, 1994 ; Hickmann, 2002, 2004) mais également d’autres types de textes, tels que l’expositif. En effet, nous verrons à la Section 2.4 (p. 70), dans quelles mesures les types de textes peuvent être différents et avoir des exigences variées.

La structuration du texte fait appel aux notions de cohésion et de cohérence, distinction ayant émergé des années 70-80. Définir ces termes n’a pas été chose aisée. Ces deux concepts ont posé problème dans la mesure où la littérature regorge de positions et de définitions différentes (Hickmann, 1995, 2003 ; Salles, 2006) et où ces deux notions ont été amalgamées (Hickmann, 1995, 2003). La section qui suit cherche à définir ces concepts.

La cohésion renvoie aux outils linguistiques et à leur organisation (Bosch, 1985 ; Charolles, 1988 ; Charolles et Ehrlich, 1991 ; Favart, 2005 ; Halliday et Hasan, 1976/1989 ; Hickmann, 1995, 2000, 2002, 2003, 2004 ; Karmiloff-Smith, 1993/1995 ; Reinhart, 1980 ; Zammuner, 1986) et « concerne les manifestations grammaticales exprimant les mises en relation relevant de la cohérence » (Favart, 2005:306). Halliday et Hasan (1976/1989) définissent la cohésion comme le phénomène impliqué lorsque l’interprétation d’un élément du discours dépend de celle d’un autre si bien que le présupposant et le présupposé sont potentiellement intégrés dans un texte. Ces marques de cohésion ont « des qualités fonctionnelles dans la structuration du texte » (Favart, 2005:306). Pour réguler le flux de l’information et réussir un message, les locuteurs/scripteurs sont face à de nombreuses contraintes. Premièrement, ils doivent assurer l’interprétation du discours, à savoir le statut de l’information, en gérant les paramètres personnels et spatio-temporels (Favart, 2005 ; Hickmann, 2000, 2004). Les locuteurs/scripteurs doivent appréhender les statuts informationnels des référents (ancien/nouveau) pour utiliser les outils cohésifs adaptés ; ainsi pour une information connue, les individus ne font pas appel aux mêmes outils linguistiques que pour introduire un nouveau référent. Deuxièmement, ils doivent prendre en considération les connaissances des destinataires du message (c’est-à-dire procéder à une évaluation des connaissances mutuelles) (Hickmann, 2000, 2004). Enfin, troisièmement, ils doivent différencier les informations essentielles des informations secondaires (foreground versus background) (Favart, 2005 ; Hickmann, 2000, 2004). Notre travail de recherche se penche principalement sur le premier principe en se focalisant sur le statut informationnel des SNL et des pronoms.

Si la cohésion concerne les marques de relation entre les énoncés, la cohérence a plus « à voir avec l’interprétabilité des textes » (Charolles, 1988:53 ; Charolles et Ehrlich, 1991) et elle est en fort lien avec les représentations cognitives associées à la structuration des textes (Favart, 2005). Lors de la production d’un texte, le locuteur/scripteur fait référence à des situations, des personnages, des lieux, etc. qu’il doit encoder de manière à permettre au destinataire de se créer une représentation mentale du message – un modèle mental (Johnson-Laird, 1980, 1983), un modèle de situation (Van Dijk et Kintsch, 1983) ou encore un scénario (Sanford et Garrod, 1981a, 1981b) – (Fayol, 1997). En effet, « comprendre un récit, c’est construire un modèle mental de la situation décrite » (Fayol, 2002:184, selon Bower et Morrow, 1990). Le locuteur/scripteur sélectionne des informations selon l’objectif de son message et les organise selon le type de production qu’il a à réaliser. Ce modèle mental a la caractéristique d’être multidimensionnel (Fayol, 2002). Lorsque le locuteur/scripteur souhaite émettre un message, il doit passer d’un modèle mental multidimensionnel à un message linéaire. Pour cela, il a recours, entre autres, aux outils cohésifs que nous présentons dans la partie suivante.