1.1.3. Règles cohésives et principes de cohérence

Dans l’exemple (7) qui suit, l’enfant introduit la nouvelle information par le biais d’une forme lexicale. Dans (7), la violence, puis la triche et enfin le vol, sont trois nouveaux référents introduits mais ni maintenus ni développés.

(7) La violence n’est pas bien du tout. La triche en classe ne sert à rien. Le vol est très mal.

Ce message est-il satisfaisant ? L’individu renouvelle certes l’apport de nouvelle information dans son texte mais il ne maintient pas ces référents.

En effet, un message doit comporter deux types d’informations : de nouveaux et d’anciens référents (Clark et Haviland, 1974, 1977 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004) qui ont des dispositions préférentielles dans la clause. Clark et Haviland (1974, 1977) proposent la terminologie de given/new contract. L’ancienne information apparaîtrait avant la nouvelle information dans la clause (Clark et Haviland, 1974, 1977 ; Branigan, McLean et Reeve, 2003). Deux principales explications à ce principe sont proposées (Branigan et al., 2003). Premièrement, le locuteur respecterait cet ordre (ancienne/nouvelle dans la clause) car il serait conscient qu’il facilite la transmission de l’information ; ainsi par souci de collaboration, il tendrait à concrétiser le given-new contract. Deuxièmement, cet ordre serait en lien avec le degré d’accessibilité de l’information. Ainsi, au plus une information serait accessible, au plus elle serait destiné à être en position sujet.

Les locuteurs/scripteurs doivent alors effectuer un travail de conservation/progression (Schneuwly, 1988:41) des syntagmes nominaux pour produire un texte cohérent, ce qui implique deux analyses : (a) celle de l’anaphore et (b) celle de l’organisation de l’information. Le premier aspect suppose trois phénomènes : l’introduction de nouveaux référents, la reprise de ces référents et enfin la différenciation de ces référents. Le second aspect concerne l’organisation de l’information, à savoir le statut informationnel.

Ainsi, produire un message cohérent ne résulte pas seulement de l’introduction de nouveaux éléments. Un locuteur expert introduit une nouvelle information, la développe en la maintenant, fait des prédications puis passe à une nouvelle information, qu’il développe, etc.. Le fait de maintenir dans le but de développer son texte est une aptitude à acquérir. Dans tout texte, le locuteur doit jongler entre apport de nouvelles informations et maintien d’informations connues à partir desquelles des prédications sont faites.

La cohérence textuelle est basée que quatre règles principales : la méta-règle de répétition (Bellert, 1970 ; Charolles, 1978 ; Reinhart, 1980), la méta-règle de progression (Charolles, 1978 ), la méta-règle de non-contradiction (Charolles, 1978 ; Reinhart, 1980) et la méta-règle de relation (Charolles, 1978 ; Reinhart, 1980). Ces règles ont une visée micro/macrostructurelle et relèvent à la fois du domaine de la linguistique et de celui de la pragmatique.

Pour qu’un texte soit cohérent, la méta-règle de répétition doit être respectée. Le texte doit comporter « dans son développement linéaire des éléments à récurrence stricte » (Charolles, 1978:14). Afin de respecter cette première règle, la langue comporte différents moyens, divers outils cohésifs, vus précédemment. La pronominalisation peut permettre la répétition comme l’illustre l’exemple qui suit (8) (de Charolles, 1978:15).

(8) Une vieille femme a été assassinée la semaine dernière à Besançon. Elle a été retrouvée étranglée dans sa baignoire.

La méta-règle de progression implique que pour assurer la cohérence d’un texte « il faut que son développement s’accompagne d’un apport sémantique constamment renouvelé » (Charolles, 1978:20). Ainsi la première règle ne se suffit pas à elle-même ; un texte ne concernant qu’un seul référent sans cesse répété avec des prédications de même sémantisme ne remplit pas les conditions d’un texte cohérent (9).

(9) Les veuves ne reçoivent que la moitié de la retraite de leur feu mari. Les femmes non mariées perçoivent une pension égale à la moitié de celle que percevait leur mari défunt. Elles n’ont que cinquante pour cent des indemnités que touchait leur mari quand il était vivant. Du temps qu’il était en retraite les épouses des retraités partageaient avec leur mari la totalité de leur pension.

Dans cet exemple, non seulement un seul référent est introduit, mais en plus les informations le concernant sont toujours le même. Produire un texte cohérent exige alors un équilibre entre « une continuité thématique et (une) progression sémantique (…) une telle performance exige donc que soient conjointement maitrisées les méta-règles de répétition et de progression » (Charolles, 1978:21).

Néanmoins, l’introduction de nouveaux référents ne peut se faire aléatoirement, ce qui implique la nécessité de la troisième méta-règle, celle de non-contradiction. En effet, pour que le texte produit soit cohérent, « il faut que son développement n’introduise aucun élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par une occurrence antérieure ou déductible de celle-ci par inférence. » (Charolles, 1978:22), comme l’illustrent les exemples qui suivent (empruntés à Charolles, 1978:24).

(10) Ma tante est veuve. Son mari collectionne les machines à coudre.

(11) Pierre n’a pas de voiture . Il vend la sienne pour en acheter une neuve.

Pour finir, une dernière règle est énoncée : la méta-règle de relation, introduisant l’idée que pour avoir un texte cohérent, « il faut que les faits qu’ils dénotent dans le monde représenté soient reliés » (Charolles, 1978:31). Charolles (1978:31) schématise en disant qu’ « on dira que, dans un monde représenté « M », deux états de choses « p » et « q », sont congruents si et seulement si « p » est pertinent pour « q » ». Un énoncé comme (12) ne respecte pas cette règle.

(12) Marie a acheté une armoire Louis XV. Elle a des migraines épouvantables.

Introduire, maintenir, développer, ne pas se contredire, etc. : le locuteur/scripteur, pour réaliser ce travail, doit également déterminer et prendre en considération les connaissances que son (ses) destinataire(s) possède(nt), et vice versa. Dans l’optique du langage en tant qu’action partagée (Clark, 1996), pour assurer la cohérence et pour qu’il y ait intercompréhension entre un locuteur/scripteur et son (ses) destinataire(s), les individus doivent partager des connaissances communes. C’est ce que nous appelons le common ground (Clark, 1996 ; Clark et Murphy, 1982 ; Clark et Schaefer, 1989 ; Clark et Wilkes-Gibbs, 1986 ; Schober et Clark, 1989).15 Un contrat implicite est établi entre le locuteur/scripteur et les interlocuteurs ; la communication implique un effort coopératif constant entre les participants à une conversation (Haviland et Clark, 1974). Le locuteur/scripteur doit énoncer de nouvelles informations que le destinataire extrait du message et intègre dans sa mémoire comme étant des informations anciennes. Le locuteur/scripteur peut alors les considérer comme telles et utiliser les formes linguistiques relatives à ce statut d’ancienne information. Selon l’estimation du locuteur/scripteur du degré de connaissances communes, les formes linguistiques sont différentes. Ainsi, avant et pendant la conception de son message, le destinateur se doit d’identifier son interlocuteur (visée vers l’auditoire, Clark et Murphy, 1982 ; Clark et Wilkes-Gibbs, 1986).16 Les auteurs proposent trois sources principales permettant au locuteur/scripteur d’un message d’évaluer ce common ground : la coprésence physique (la connaissance partagée de l’environnement et du contexte) ; la coprésence linguistique (la connaissance partagée des messages émis préalablement) ; l’appartenance à une même communauté (une connaissance commune d’un ensemble de savoirs).

Clark, Traxler et Gernsbacher (1995) émettent l’idée que la communication orale propose un cadre plus collaboratif que la communication écrite. À l’oral, les locuteurs peuvent signaler un manque de connaissance partagée (Hickmann, Kail et Roland, 1995) et agir en conséquence. Plus les locuteurs collaborent et possèdent un haut degré de common ground, plus la communication est facilitée et, donc, plus la cohérence est assurée (Traxler et Gernsbacher, 1995).

Notes
15.

Notion introduite pour la première fois par Stalnaker (1978).

16.

De la traduction « audience design ». (Clark et Murphy, 1982 ; Clark et Wilkes-Gibbs, 1986).