1.2. Le statut informationnel

1.2.1. Nouvelle et ancienne information : définitions

Produire un message implique l’énonciation de diverses informations qui peuvent être nouvelles ou anciennes (Khorounjaia et Tolchinsky, 2004). Tout acte communicationnel exige des locuteurs la capacité de manipuler ces deux types d’information. La nouvelle information se caractérise comme un référent qui n’a pas été mentionné jusque-là dans le discours et qui n’est pas accessible par l’interlocuteur dans la situation d’énonciation (Allen, Skarabela et Hughes, 2008 ; Chafe, 1994 ; Halliday et Hasan, 1976/1989). Ce référent est alors réalisé par une forme de type SNL (« high information form », Allen et al., 2008:108-109).

L’ancienne information correspond à une information retrouvable par l’interlocuteur dans le discours ou dans le contexte (Allen et al., 2008 ; Halliday et Hasan, 1976 ; Chafe, 1994). Le continuum nouvelle/ancienne information implique des choix de structures linguistiques spécifiques. Selon le statut référentiel d’un référent, le locuteur/scripteur fait des choix spécifiques. Levelt place le statut informationnel parmi les cinq aspects majeurs de la « microplanification » (Levelt, 1989:144). Un locuteur coopératif18 marque syntaxiquement l’accessibilité19 d’un référent ; par exemple, l’individu a tendance à pronominaliser un ancien référent, à savoir un référent accessible pour le destinataire.

Entre la nouvelle et l’ancienne information, nous pouvons avoir un statut informationnel intermédiaire : l’information dite accessible (Chafe, 1976, 1994 ; Du Bois, 1987) ou inferrable (Prince, 1981, 1992). Il s’agit d’un référent activé et rendu accessible alors qu’il était précédemment semi-activé (Chafe, 1976, 1994) que nous pouvons retrouver également sous la dénomination d’information accessible dans le discours (Levelt, 1989). Levelt (1989) va au-delà en proposant quatre degrés d’accessibilité d’un référent : il peut être inaccessible, accessible, accessible dans le discours et accessible en tant que focus (Levelt, 1989:145). Ces informations sont schématisées dans la Figure 2.

Figure 2 : Les statuts d’accessibilité des référents (Levelt, 1989:145)

L’information inaccessible est l’équivalent de la nouvelle information. L’information accessible mais hors du discours est une information inférée par le biais de l’information générale et qui se base donc sur les connaissances communes d’un groupe de pairs. L’information accessible à partir du discours représente un référent accessible par le biais d’un référent déjà introduit précédemment et qui lui est étroitement lié. Enfin, l’information « in focus » correspond au référent prototypiquement ancien et activé à un moment donné.

Pour introduire et maintenir une information, les locuteurs/scripteurs ont recours à des outils linguistiques et cohésifs. Selon le statut informationnel d’une information, cette dernière est encodée préférentiellement sous différentes formes et distribuée différemment dans la clause (entre autres, Ariel, 1990, 1996 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004 ; Levelt, 1989 ; Sanford et Garrod, 1981a, 1981b). Le statut informationnel aurait un fort impact sur les formes linguistiques choisies (Allen et al., 2008). L’encodage d’un référent sous forme de SNL, qui est de faible accessibilité (« low accessibility » Khorounjaia et Tolchinsky, 2004:88, notion d’Ariel, 1990, 1996),20 est utilisé pour introduire une nouvelle information (Allen et al., 2008). En revanche, les pronoms, qui sont de haute accessibilité (« high accessibility », Khorounjaia et Tolchinsky, 2004:88), sont utilisés pour encoder des référents actifs donc anciens (Allen et al., 2008). Comme le dit Fox (1987), en parlant du pattern basique de l’anaphore dans les textes expositifs écrits, un pronom est utilisé afin de référer à une information mentionnée précédemment, dans les autres cas un SNL est préféré. L’anaphore, constituant un des outils assurant la cohésion d’un texte, est un aspect syntaxique dont nous nous sommes préoccupée en observant notamment les pronoms et SNL maintenant une information. Elle permet la continuité référentielle entre les clauses d’un texte, aspect essentiel pour assurer des représentations mentales cohérentes (Seigneuric et Megherbi, 2008). Le fait que le pronom encode préférentiellement l’ancienne information et le SNL une nouvelle information semble être un principe universel : il s’agit du traitement naturel de l’information.

Des principes universaux semblent régenter les langues. Le premier principe universel est celui selon lequel l’ancienne information se situerait préférentiellement au début d’une clause alors que la nouvelle information se situerait plutôt en fin de proposition (Du Bois, 1987 ; Hickmann, 1995 ; Jisa, 2000 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004 ; Lambrecht, 1994). Le choix d’introduire la nouvelle information en position non sujet est gouverné par des contraintes discursives pesant sur les choix linguistiques (Du Bois, 1987, 2003 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004). C’est dans cette optique qu’une des parties de nos analyses porte sur la Preferred Argument structure (PAS)21 de Du Bois (1987), qui intègre beaucoup de concepts abordés précédemment tels que les statuts référentiels mais également les positions syntaxiques. La PAS, comme nous le verrons plus tard, reflète les contraintes de la transmission de l’information de la langue orale. À cet universel une seconde tendance, la contrainte du sujet léger(the light subject constraint),s’ajoute (Chafe, 1994). Les locuteurs/scripteurs en production combleraient la position syntaxique sujet avec de l’ancienne information qui serait de plus encodée, le plus souvent, sous la forme d’un pronom.22

La décision d’encoder un référent sous une forme particulière dans une position syntaxique spécifique relève de facteurs syntaxiques, pragmatiques, discursifs mais également cognitifs (Khorounjaia et Tolchinsky, 2004). En termes de cognition, la nouvelle information exige plus de ressources cognitives que l’ancienne information dans la mesure où cette dernière est active et donc plus ou moins immédiatement accessible (Chafe, 1994 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004). C’est ainsi, étant donné le coût cognitif que mobilise l’introduction d’une nouvelle information, qu’une contrainte conversationnelle existe : la contrainte d’une seule nouvelle idée par clause (the one new idea constraint, Chafe, 1994:119). Les locuteurs/scripteurs ne transmettraient au maximum qu’une nouvelle information par clause (Du Bois, 1987, 2003 ; Chafe, 1994 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004).

Notes
18.

De la traduction de l’expression de Levelt (1989:99) « cooperative speaker ».

19.

Dans le sens de “givenness” (Levelt, 1989:99).

20.

The accessibility marking scale of Ariel (1990, 1996:21) : « zero < reflexives < agreement markers < cliticized pronouns < unstressed pronouns < stressed pronouns < stressed pronouns + gesture < proximal demonstrative (+NP) < distal demonstrative (+NP) < proximal demonstrative (+NP) + modifier < < distal demonstrative (+NP) + modifier < fisrt name < last name < shot definit description < long definite description < full name < full name + modifier »

21.

Le concept de la PAS est présenté dans la Section 1.2..3 (p. 36).

22.

La contrainte du sujet léger est définie dans la Section 1.3 (p. 40).