1.2.3. Statut informationnel, le français et la Preferred argument structure

La grande majorité des études développementales préalables sur le SN se centrait principalement sur l’adéquation référentielle (par ex. chaînes anaphoriques) (Bamberg 1986, 1987 ; Kail et Hickmann 1992 ; Karmiloff-Smith 1981 ; Wigglesworth 1991). Pour cette étude, nous nous basons aussi bien sur le statut informationnel des SN que sur leurs distributions, leurs organisations syntaxiques et leur constitution lexicale dans une optique intégrant syntaxe et pragmatique. C’est dans cette mesure que nous basons notre étude sur la notion de PAS de Du Bois (1987) qui prend en considération les différentes sphères de la linguistique, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. En travaillant sur le sacapultec Du Bois (1987) oriente ses travaux autour d’une question principale : parmi les différentes structures argumentales offertes par la langue, existe-t-il des structures que les locuteurs préfèrent ? À travers la PAS, le linguiste cherche à répondre à cette question et à explorer la connexion existant entre les formes et les fonctions. La PAS reflèterait les contraintes de la transmission de l’information et notamment de la langue orale. La transmission de l’information façonnerait le langage, la syntaxe émergerait du discours. De nombreuses langues ont été observées : par exemple, Du Bois (1987) travaillant sur le sacapultec (première présentation en 1981) et les travaux de nombreux linguistes dont Du Bois énumère les études (1987).24

Du Bois (1987) émet l’hypothèse que la PAS apparaîtrait comme un principe universel. La PAS correspond alors à une convergence entre le choix lexical, la forme référentielle et le rôle grammatical (Clancy, 2003). La PAS reprend des concepts essentiels du flux informationnel du discours tels que ceux abordés par Chafe (1994) (par exemple, the one new idea per clause ou le light subject constraint), Charolles (1978) ou encore Hickmann (1995) (par exemple, la nouvelle information en fin de phrase/l’ancienne information en début de phrase).

La PAS présente quatre contraintes (Du Bois, 1987 ; Du Bois, Kumpf et Ashby, 2003a et 2003b). La première contrainte A, la contrainte de l’argument unique (the one lexical argument constraint) sous-entend qu’une clause est constituée au maximum d’un élément lexical (21). 25

(21) a. Il a frappé le chien versus b. L’homme a frappé le chien

Les locuteurs préfèrent dire la version a. de(21) que la version b., cette dernière possibilité contenant plus d’un élément lexical.

Selon la contrainte B, la contrainte du sujet transitif non lexical (the non-lexical A constraint) cet élément lexical n’apparaît pas en position sujet d’un verbe transitif (22).

(22) a. Il a frappé la femme versus b. L’homme a frappé la femme.

Les locuteurs penchent également plus pour la version a. de (22) que pour la version b., étant donné que, dans la seconde proposition, un élément lexical se trouve en position sujet.

La contrainte C, la contrainte de l’argument unique introduisant une nouvelle information (the one new argument constraint), laisse entendre qu’une clause est constituée d’un seul nouvel élément (23).

(23) a. Il a frappé une femme versus b. Un homme a frappé une femme.

Les locuteurs encodent plus un message du type de (23) que (23); cette deuxième possibilité contenant plus d’un nouvel élément (contrainte C).

Selon la contrainte, D, la contrainte de l’ancienne information en position sujet transitif (the given A constraint), l’ancienne information se trouve en position sujet de verbe transitif (24).

(24) a. Il a frappé une femme versus b. L’homme a frappé une femme.

Produire la version a. de (24) au lieu de la version b. semble plus évident, étant donné que, dans la version a., la position sujet est réservée à l’ancienne information (sous forme pronominale).

La PAS présente donc quatre contraintes parmi lesquelles deux concernent la forme et deux autres la pragmatique (statut référentiel) (Du Bois, 1987 ; Du Bois, Kumpf et Ashby, 2003a, 2003b). De plus, deux des contraintes sont également en lien avec des notions syntaxiques. Ces quatre contraintes et leur interaction avec la forme, la pragmatique et la syntaxe sont présentées dans le Tableau 1.

[Tableau 1 : Les contraintes de la Preferred Argument Structure]
Tableau 1 : Les contraintes de la Preferred Argument Structure
Contraintes sur la forme Contraintes pragmatiques
Un seul élément lexical par clause
(contrainte A)
Un seul nouvel élément par clause
(contrainte C)
Contraintes syntaxiques
L’élément lexical en position non sujet
(contrainte B)
L’ancienne information en position sujet
(contrainte D)
Notes
24.

Les études des langues maya mam (England, 1986) et rama (Craig, 1987), la langue australienne chamorro (Scancarelli, 1985), le malay (Hopper, 1987), l’acehnese (Durie, 1985), le quetchua (Stewart, 1984), le papago (Payne, 1987), l’hébreu (Smith, 1987 et 1996), l’anglais (Iwasaki, 1985), l’allemand (Schuetze-Coburn, 1987), le portugais brézilien (Dutra, 1987), le japonais (Downing, 1985), le français (Lambrecht, 1987), etc., montrent la pertinence de cette PAS (Du Bois, 1987:838-839).

25.

Les versions a. des exemples (21) à (24) sont, selon les contraintes de la PAS, les possibilités les plus naturelles et les moins coûteuses.