1.3.2. Les unités linguistiques observées

Cette partie se consacre à la présentation des variables dépendantes de notre travail de thèse c’est-à-dire aux catégories d’analyses observées qui sont susceptibles de varier en fonction des variables indépendantes de notre étude.

Nous avons décidé de travailler sur la catégorie des SN en distinguant les SN pronominaux et les SNL, unités appartenant à la catégorie des mots variables. Le SN se définit comme un groupe d’unités consécutives de dimensions variables et constitue un niveau intermédiaire entre le niveau supérieur, la proposition et le niveau inférieur, les morphèmes. Le SN possède un élément central, qui « peut être un nom, mais il peut également être constitué par toutes sortes de mots » (Herslund, 2003:105), et un ou plusieurs éléments qui lui sont subordonnés.

Nous pouvons analyser le SN (a) d’un point de vue externe et également (b) d’un point de vue interne ou distributionnel (Ravid et al., 2002 ; Riegel et al., 1994/2002).

Du point de vue externe, le SN peut être constituant facultatif, constituant du verbe, constituant d’un syntagme prépositionnel, constituant facultatif détaché derrière un autre SN. Nous nous intéressons alors à sa fonction syntaxique.

Du point de vue interne, nous examinons la structure et la décomposition syntaxique du SN. Il peut être minimal (déterminant+nom) ou étendu (c’est-à-dire avec l’adjonction de modifieurs). Le SNL peut prendre différentes formes (Riegel et al., 1994/2002). La forme canonique est bien sûr déterminant+nom à laquelle nous pouvons ajouter plusieurs modifieurs tels que des groupes prépositionnels, adjectivaux ou des subordonnées relatives (voire complétives dans certains cas). Cependant cette définition peut être assouplie et élargie si nous voulons introduire des éléments ne répondant pas aux critères du nom : les noms propres, les pronoms, les relatives substantives et les groupes infinitifs, qui n’ont pas forcément comme tête la structure prototypique déterminant+nom (Leeman-Bouix (1994 ; Riegel et al., 1994/2002). En effet, les noms propres et les pronoms ne sont jamais précédés de déterminants (38) et (39) ; les infinitifs peuvent l’être mais pas systématiquement comme dans l’exemple (40) ; les relatives substantives ne sont jamais précédées de déterminant (41).

(38) Charles est sympa.

(39) Lui-même l’avoue.

(40) Se battre est complètement immature.

(41) Celui qui casse les verres les paie. (Riegel et al., 2002 : 486)

Nous retenons la catégorisation de Ravid et al. (2002) ou encore de Riegel et al. (1994/2002) dans la mesure où elle prend en compte deux aspects intéressants pour notre étude. En effet, du point de vue externe, nous observons la fonction du SN (sujet, objet direct ou autre) et, du point de vue interne, nous avons examiné sa complexité syntaxique (nombre de nœuds lexicaux, nombre de modifieurs, nombre de modifieurs différents).

La considération et la distinction de la fonction syntaxique sont essentielles à la bonne compréhension de la production textuelle, notamment de la production des pronoms et des SNL. C’est dans cette mesure que nous introduisons la notion de sujet léger versus sujet lourd.27 Les locuteurs/scripteurs combleraient la position syntaxique sujet, le plus souvent, sous la forme d’un pronom, un sujet léger, et laisseraient aux positions non sujet les SN lourds, à savoir les SNL. Parmi les SNL, certains sont plus lourds que d’autres. Ainsi, par exemple, ceux constitués de modifieurs (un chat noir courant à travers le champ versus un chat) et/ou de plus d’un nœud lexical qu’un (Le problème soulevé par la presse versus le problème) sont plus lourds. Nous pouvons alors parler d’un continuum (Figure 3).

Figure 3 : Continuum SN légers/SN lourds

François (1974) dans l’étude d’un long corpus de conversation entre les membres d’une famille appartenant à la classe ouvrière, avait trouvé un total de 1500 noms parmi lesquels seulement 46 (soit 3%) occupaient la position de sujet alors que tous les autres sujets étaient des clitiques (Lambrecht, 1987). Lambrecht (1987) parle même de preferred clause pattern en disant qu’il y a une préférence pour un type de construction spécifique soit un sujet pronominal et un complément post verbal sous forme nominale (ceci n’est pas sans rappeler la subject light constraint de Chafe, 1994). Jeanjean (1980) confirme cette tendance de la langue française en trouvant, sur la base d’un corpus d’une conversation fortuite, une moyenne de seulement 11% de SNL en position sujet. Lors de la comparaison de différents types de discours issus d’un large éventail de locuteurs, Blanche-Benveniste (1990) révèle qu’une augmentation des SNL en position sujet est associée à un discours plus élaboré ; plus le registre est soutenu, plus les SNL sont nombreux. À la suite de cette observation, Blanche-Benveniste (1995) compare deux types différents d’histoires sur le thème des accidents, le premier consistant à raconter une histoire à l’oral, le second présentant des accidents rapportés dans la presse. Les deux types d’histoires contiennent des noms mais, dans la presse, il y avait plus de SNL (dont de nombreux types de nominalisations). Si les histoires orales se caractérisent par des verbes avec un simple argument comme par exemple, il y a un homme, il est tombé et il est mort les histoires écrites, quant à elles, peuvent encoder une information équivalente en une seule phrase telle que un homme a fait une chute mortelle.

Les formes pronominales et lexicales, sur lesquelles nous travaillons, sont présentées dans cette partieet sont mises en relation avec les concepts de statut informationnel et PAS. Après avoir travaillé ces notions, nous exposons une rétrospection des travaux menés dans ces différentes thématiques.

Notes
27.

Concept à lier à la notion de light subject constraint (Chafe, 1994), Cf. ci-dessous.