2.4.2.2. Spécificités et comparaison des deux types de textes

Ces deux types de textes s’opposent par leurs structures, leurs contenus et leurs buts communicationnels (Mosenthal, 1985) (Tableau 3).

[Tableau 3 : Présentation des oppositions entre le texte narratif et expositif]
Tableau 3: Présentation des oppositions entre le texte narratif et expositif
Narration Exposition
Macrostructure essentiellement linéaire Macrostructure non linéaire et moins identifiée
Organisation temporelle et causale Organisation thématique
Appel à des informations spécifiques Appel à des informations génériques
Forte implication du locuteur Forte abstraction du texte et distance du locuteur
Registre académique non exigé Registre académique
Forte mobilisation de la planification par connaissance rapportée Forte mobilisation de la planification par connaissance transformée
Acquise précocement Acquise plus tardivement

Les différences présentées dans le Tableau 3 peuvent être explicitées. Premièrement, le texte expositif se caractérise par une macrostructure non linéaire et moins clairement identifiée que celle du texte narratif (Gayraud, 2000). Cette absence d’une structure bien spécifiée a pour conséquence que la planification et l’organisation de ce texte sont assez coûteuses (Boscolo, 1990 ; Tolchinsly et al., 1999). Par ailleurs, il s’agit d’un des textes les plus difficilement réalisables par les locuteurs et également d’un des plus difficilement représentables par le lecteur (Britton, 1994). Ceci se reflète dans le texte en lui-même (avec, par exemple, un manque de cohérence), ce qui entrave la construction du modèle mental du lecteur.

L’organisation linéaire du type de texte narratif répond à l’aspect antinomique de la production langagière. Tout message est verbalement linéaire alors que le modèle mental sous-jacent est, par définition, multidimensionnel. Il n’est en effet « qu’exceptionnellement linéaire » (Fayol, 1997:146). Le texte narratif serait un des seuls types de textes à avoir un modèle mental pouvant être linéaire. C’est la raison pour laquelle les enfants maîtriseraient plus précocement ce type de texte que tout autre (Bourdin, 1994 ; Fayol, 1984 ; Gayraud, 2000 ; Jisa, 2000a, 2000b ; Ravid, 2000 ; Ravid et al., 2002 ; Wigglesworth, 1991).

Deuxièmement, le texte narratif se définit comme une suite de faits détaillés dans l’ordre chronologique (Aisenman et Assayag, 1999 ; Berman et Slobin, 1994a, 1994b ; Hickmann, 2003 ; Labov, 1978). Cette succession chronologique peut être définie comme « une méthode de récapitulation de l’expérience passée consistant à faire correspondre à une suite d’événements (supposés) réels une suite identique de propositions verbales […] Ce qui le (le récit) caractérise, c’est que les propositions y sont ordonnées temporellement » (Labov, 1978/1993:463). Cette organisation temporelle facilite la mise en texte d’un évènement (Fayol, 1997). Les propositions d’une production narrative sont certes majoritairement liées temporellement mais elles peuvent également l’être causalement (Aksu-Koç et Küntay, 2001 ; Coirier et al., 1996 ; Fayol, 2000 ; Jisa et Mazur, 2006).

En revanche, le texte expositif est une production dans laquelle les locuteurs créent une structure thématique, exposent des faits ou des idées théoriques et des interprétations de ces derniers (Boscolo, 1990 ; Britton, 1994 ; Katzenberger, 2004 ; Tolchinsky et al., 2000 ; Tolchinsky et al., 1999 ; Ravid et Berman, sous presse). Les individus peuvent procéder des faits aux interprétations ou vice versa. Ce type de texte, qui dérive de l’écrit académique (Mosenthal, 1985), requiert un déploiement de relations logiques, et non pas chronologiques, entre les arguments (Britton, 1994 ; Mosenthal, 1985 ; Ravid, 2005).

Troisièmement, lors d’une production narrative, les locuteurs/scripteurs se concentrent sur des gens, des actions, etc., spécifiques (Berman et Nir-Sagiv, 2004 ; Berman et Slobin, 1994a, 1994b ; Berman et Verhoeven, 2002 ; Coirier et al., 1996 ; Fayol, 1984, 1997, 2000 ; Peterson et McCabe, 1982). Le type de texte narratif sur lequel nous travaillons, sollicite un agencement de souvenirs personnels. Les locuteurs/scripteurs introduisent des référents spécifiques (un ou deux protagonistes) et les maintiennent tout le long de leur production.

Par opposition, le type de texte expositif fait appel à des informations d’ordre générique (Berman et Nir-Sagiv, 2004 ; Katzenberger, 2005 ; Mosenthal, 1985). Les locuteurs/scripteurs introduisent une information générique qu’ils développent, puis passent à d’autres thématiques, qu’ils maintiennent également. Ceci est lié à la pression informative de ce type de texte et son but communicationnel : développer des thématiques.

De par cette définition, le type de texte narratif exige, et ceci est notre quatrième point, que les locuteurs/scripteurs s’investissent personnellement dans leur narration (Adam, 1985) : nous parlons de discours orienté vers l’agent (Berman et Ravid, 2009 ; Berman et Nir Sagiv, 2007 ; Tolchinsky et al., 1999). En effet, une des caractéristiques de ce texte est aussi « la présence du sujet acteur qui se confond avec le narrateur dans le cas d’une narration personnelle » (Gayraud, 2000:90).

En revanche, lors d’une production expositive, le locuteur doit avoir la capacité de se distancer, de se détacher de son texte (Berman et Nir-Sagiv, 2007 ; Johansson, 1999 ; Mosenthal, 1985 ; Ravid, 2005). Nous parlons de discours orienté vers le topic (Berman et Nir-Sagiv, 2007 ; Mosenthal, 1985 ; Tolchinsky et al., 1999). Ceci implique une pression informative importante : le locuteur/scripteur doit nourrir la thématique abordée, ce qui peut se traduire par l’utilisation importante de lexique.

Cinquièmement, le type de texte expositif, beaucoup plus que le type narratif, exige la mobilisation du registre académique (type de registre utilisé, par exemple, dans les écrits scolaires et universitaires) (Johansson, 1999). Ce registre se caractérise par la mobilisation de diverses relations rhétoriques de haut niveau telles que la gestion de l’agencement des idées (Bosocolo, 1990 ; Coirier et al. 1996 ; Mosenthal, 1985). Ce type de texte dispose alors de formes linguistiques complexes et plus coûteuses cognitivement, comme des sujets lourds (Ravid, 2005). Il requiert la mise en relation de deux niveaux : le niveau du contenu et celui de la rhétorique (Britton, 1994 ; Katzenberger, 2004 ; Mosenthal, 1985). De ce fait, sa planification et son organisation sont beaucoup plus exigeantes que celles du texte narratif (Boscolo, 1990).

Ainsi, et ceci est notre sixième point, les locuteurs/scripteurs, en contexte expositif, mobilisent sans doute davantage la planification par connaissances transformées que par connaissances rapportées, qui est davantage mobilisée lors d’une production narrative. Ces notions de planification sont davantage développées dans la Section 2.6 (p. 79).

En septième lieu, toutes ces particularités impliquent des différences de traitement et donc des différences de gestion selon le niveau scolaire des locuteurs/scripteurs. Les informations, dans un texte narratif, sont organisées selon un schéma bien connu, appris relativement tôt et travaillé dès les premières années de scolarisation.43 Les enfants connaissent très tôt certaines étapes de cette macrostructure narrative, telles que la situation initiale et le déclencheur, qui sont de surcroît travaillées à l’école (De Weck, 1991). Le locuteur/scripteur novice, dès 9-10 ans, est capable de produire une narration constituée de tous ces composants (Berman et Nir-Sagiv, 2007 ; Berman et Slobin, 1994a, 1994b ; Hickmann, 1995 ; Jisa, 2000 ; Peterson et McCabe, 1982).

En revanche, le type de texte expositif n’est abordé que très tard dans le cursus scolaire. Ce type de texte serait maîtrisé assez tardivement par rapport au texte narratif (Berman et Katzenberger, 2004 ; Tolchinsky, Johansson et Zamora, 2002). Avec l’âge et l’évolution scolaire, le texte expositif est de mieux en mieux géré, les individus apprennent à passer des généralités à l’abstraction (Biber, Conrad et Reppen, 1998 ; Gayraud, et al., 2000 ; Katzenberger, 1999, 2005). La structure du type de texte expositif est acquise plus tard par les enfants. Si l’introduction et le corps du texte sont en général produits, la conclusion apparaît plus sporadiquement dans les productions (Katzenberger, 2005). Ceci est surtout vrai pour les locuteurs/scripteurs les plus jeunes.

Notes
43.

Ce type de texte a été longuement travaillé (entre autres, Adam, 1985, 1992 ; Adam et Revaz, 1996 ; Berman et Slobin, 1994a, 1994b ; Berman et Verhoeven, 2002 ; Coirier et al., 1996 ; De Weck, 1991 ; Fayol, 1984, 1997, 2000 ; Gayraud, 2000 ; Jisa, 1998, 2000 ; Katzenberger, 1994 ; Katzenberger, 1999 ; Peterson et McCabe, 1982).