2.4.3. Types de textes : choix linguistiques différents ?

La reconnaissance des types textuels semble une acquisition tardive ne se mettant pas en place avant 12/13 ans (Benoît et Fayol, 1989 ; Coirier et Marchand, 1994 ; Fayol, 1991). Néanmoins, les enfants savent reconnaître des types textuels plus tôt que d’autres (Benoît et Fayol, 1989). Très tôt, ils font la différence entre les textes relevant de la narration et ceux n’en relevant pas. Lors de tâches de reconnaissance, il semble, qu’à 9 ans, les individus distinguent relativement bien les textes des non-textes. À 11 ans, ils savent isoler la description des narrations et des argumentations, ce dernier type étant seulement différencié des autres à 13 ans (Benoît et Fayol, 1989). Cependant, dès 9/10 ans, en production, les jeunes locuteurs/scripteurs, anglais, espagnol et israéliens, marquent eux-mêmes la différence entre un texte narratif (personnel) et un texte expositif (Berman et Nir-Sagiv, 2004 ; Reilly et al., 2005).

Nous supposons que, pour les participants de notre étude, même les plus jeunes, le type de texte est source de variation. Nous nous attendons à ce que même les CM2 font des choix linguistiques différents selon le type de texte.

Par définition, ces deux types de textes impliquent des caractéristiques très différentes ayant des répercutions sur les choix linguistiques des locuteurs/scripteurs (Bruner, 1986 ; Ravid et Berman, sous presse). Le texte narratif se caractérise, entre autres, par l’utilisation de formes spécifiques (pronoms personnels), de noms concrets, de clauses simples et courtes (entre autres, Berman et Nir-Sagiv, 2007 ; Berman et Nir-Sagiv, 2004; Ravid, 2005, 2006).

En revanche, le texte expositif fait appel à des formes génériques (pronoms impersonnels et génériques), à des noms abstraits, à des clauses plus longues et à des structures syntaxiques dites plus complexes (passif, subordination non finie, par exemple) (entre autres, Berman et Nir-Sagiv, 2007 ; Berman et Nir-Sagiv, 2004 ; Johansson, 1999 ; Ravid, 2005, 2006).

Deux exemples illustrent ces différences : (58) est un texte narratif et (59) un texte expositif.

(58) Un jour, j’étais partie chez ma grand-mère avec ma petite sœur qui avait deux ans (j’en avais six à l’époque). Là-bas, j’ai retrouvé mes deux cousines Ismat et Shaïna. Elles sont toutes les deux plus âgées que moi. Comme nous sommes très complices, nous avions prévu une partie de cache-cache. Au bout d’un quart d’heure, je n’ai plus voulu jouer. Mes cousines ont alors arrêtée de me parler et j’étais très chagrinée. Puis, je me suis effondrée et je leur ai demandé de faire la paix. J’ai alors vu qu’elles étaient contentes. Elles se sont alors excusées pour leur comportement et tout s’est bien arrangé. Je sais que c'est peut-être banal mais, lors de cette scène, j’ai vraiment senti un sentiment d’abandon, de solitude. (5 ème , n°06, narratif écrit, E/O)

(59) La dispute éclate lorsque plusieurs personnes ne sont pas d’accord. Le meilleur moyen de résoudre ce problème est la paix ou l’ignorance de l’autre. Parfois, les gens concernés font appel à la violence qui a plutôt tendance à envenimer la situation. Verdict : la violence ne résout rien. Lorsque je me dispute avec quelqu’un, j’essaye d’abord de faire en sorte que mon « adversaire » se calme. Alors après, j’utilise le système de la parole : chacun parle à son tour sans que l’autre intervienne comme ça, on a moins de mal à s’exprimer au lieu de crier tout en même temps. De cette manière, on comprend mieux l’idée de cette personne. On peut donc se disputer calmement. Voilà. Voilà ce que je sais de la dispute et comment l’éviter ou « l’alléger ». (5 ème , n°06, expositif écrit, E/O)

Dans sa narration, l’enfant raconte une histoire personnelle en faisant appel à des informations spécifiques. Il s’agit d’un évènement spécifique (une dispute), ayant eu lieu dans un endroit spécifique (chez sa grand-mère), avec des personnes spécifiques (ses deux cousines, Ismat et Shaïna), qui participent à une action particulière (une partie de cache-cache). Le discours est orienté vers l’agent, le scripteur s’investit dans son texte ; ceci se voit clairement à travers l’utilisation du déictique je et du pronom personnel elles faisant référence aux cousines. Les clauses sont également simples et la majorité des noms représentent des entités concrètes (sœur, grand-mère, cache-cache).

Ce même enfant, en production expositive, se penche sur la thématique de la dispute d’une manière objective. L’adolescente fait appel à des structures traduisant l’aspect général et impersonnel de son texte. Le discours est orienté vers le contenu. Ceci se voit notamment à l’utilisation de formes génériques (personnes, gens, chacun, etc.), de noms abstrait (dispute, moyen, paix, ignorance, violence, idée), de structures impersonnelles (on), de clauses complexes (par exemple, subordonnée non finie, le meilleur moyen de résoudre ce problème). Le déictique je est également beaucoup moins utilisé, le locuteur oriente son discours vers le topic, et se distancie donc de sa production en utilisant, entre autres, le pronom générique on.

Nous pouvons voir, à travers l’observation très rapide de deux exemples, que ces types de textes, narratif et expositif, engendrent des choix linguistiques très différents. Nous nous attendons alors à ce que des différences ressortent également quant au traitement du SN et de l’information. Ainsi, par exemple, le texte expositif de l’adolescente (58) contient davantage d’items lexicaux que le texte narratif (58).