3.2.2.4. L’utilisation non conventionnelle des pronoms

Le Chapitre 11 présente une analyse de l’utilisation non conventionnelle des pronoms. En effet, lors du codage des données, nous avons été confrontée à quatre catégories d’utilisation non conventionnelle des pronoms. La première catégorie, la réintroduction pronominale est l’utilisation d’un pronom pour réintroduire un référent déjà présent dans le texte mais trop loin pour que l’utilisation d’un pronom n’entrave pas la compréhension. La réintroduction d’un tel référent se réalise sous forme lexicale. La deuxième catégorie, référent manquant, concerne l’utilisation de pronoms anaphoriques qui apparaissent sans mention d’un référent au préalable. La troisième catégorie, référents multiples, correspond à l’utilisation d’un pronom pouvant se rapporter à plus d’un référent mentionné au préalable. Enfin, la quatrième catégorie, problème d’accord, est celle des pronoms anaphoriques qui sont accordés de manière non conventionnelle ; l’accord en genre et en nombre du pronom avec son référent s’écarte de la norme de la langue de scolarisation.

Ces types d’utilisation devraient diminuer avec le niveau scolaire et être plus fréquents dans les textes expositifs que dans les textes narratifs. Nous ne faisons pas d’hypothèses concernant la modalité et l’ordre étant donné certaines limites de codage. En effet, en production orale, nous ne pouvions pas détecter certaines erreurs notamment celles de nombre. De plus, l’oral n’engendre pas forcément un respect de l’accord en genre et en nombre du pronom avec le SNL avec lequel il entretient une relation de coréférence (Berrendonner, 1994 ; Reichler-Béguelin, 1989, 1993).

L’utilisation non conventionnelle des pronoms (et notamment, réintroduction pronominale, référent manquant et référents multiples) peut montrer deux choses. Premièrement, si les résultats de nos analyses montrent une proportion importante de ces utilisations, cela peut être l’indice que les enfants, submergés de tâches cognitives, ne prennent pas encore tout à fait en compte les connaissances de leur destinataire. En effet, la communication implique un effort coopératif constant entre les participants d’un discours ; il doit y avoir un partage des connaissances (entre autres, Levelt, 1989 ; Haviland et Clark, 1974). Les enfants ont alors trop de choses à faire en même temps, ce qui se traduit par l’utilisation non conventionnelle de pronoms. Deuxièmement, si les participants de notre étude ont une faible proportion d’utilisation non conventionnelle des pronoms, cela peut laisser entendre qu’ils respectent les principes du traitement de l’information, c’est-à-dire que s’il y a ambigüité, ou encore introduction d’une nouvelle information, ils utilisent le lexique plutôt que les pronoms.

Partons de l’idée que les trois populations de notre étude obéissent aux principes de transmission de l’information, et notamment à celui d’introduire une nouvelle information sous forme lexicale. Si ce cas s’avère confirmé par nos résultats, cela reflète qu’introduire une nouvelle information sous forme lexicale est acquis relativement tôt. Il est alors sans doute plus intéressant de se concentrer sur les formes linguistiques relatives aux anciens référents pour lesquelles la langue offre deux possibilités : les pronoms et les SNL. En effet, même si le maintien de l’information semble réalisé préférentiellement sous forme pronominale, ce qui est un des principes de transmission de l’information à l’oral, la langue permet également le maintien sous forme lexicale. Si l’introduction d’une nouvelle information sous forme pronominale est considérée comme une entrave à la compréhension, le maintien sous forme lexicale est tout autrement envisagé. En effet, maintenir un référent sous forme lexicale, en faisant preuve de variabilité quant aux lexèmes choisis, est une des caractéristiques des productions écrites d’experts.