7.6. Discussion du Chapitre 7

Le but de ce chapitre était de voir si le nombre moyen de mots, de clauses et d’UT par texte ainsi que le nombre moyen de mots par clause et celui de clauses par UT variaient selon les facteurs : niveau scolaire, type de texte, modalité et ordre.81

Nous nous attendions à ce que ces variables, d’une manière générale, augmentent avec le niveau scolaire dans la mesure où les enfants, avec l’expérience de l’école, produiraient des textes de plus en plus longs. L’analyse des données confirme ces attentes. Le nombre de mots, de clauses, d’Unités Terminales par texte ainsi que le nombre moyen de clauses par UT augmentent significativement non seulement entre les enfants de CM2 et les collégiens de 5ème mais aussi entre les individus de 5ème et ceux de 3ème. Seul le nombre moyen de mots par clause ne varie pas selon le niveau scolaire.

Nous nous attendions également à un effet du contexte de production (type de texte et modalité) sur certaines de ces VD. Ainsi, les deux mesures – nombre moyen de mots par clause et de clauses par UT – seraient plus élevées dans les textes expositifs et écrits que dans les textes narratifs et oraux. Néanmoins, les nombres moyens de mots, de clauses et d’UT par texte seraient surement plus importants dans les textes narratifs et oraux que dans les textes expositifs et écrits. En effet, rappelons que le nombre moyen de mots par clause et de clauses par UT sont les mesures reflétant la complexité d’un texte (Berman, 1998 ; Ravid, 2005 ; Viguié-Simon, 2001).

Les résultats révèlent que le type de texte affecte seulement le nombre moyen de clauses par UT, qui est plus important dans les textes expositifs que dans les textes narratifs. Le nombre moyen de clauses par UT est une des deux mesures reflétant au mieux la complexité, la seconde étant le nombre moyen de mots par clause. Ce résultat est compréhensif. En effet, le type de texte expositif implique une pression importante ce qui a pour effet de produire des UT possédant plus de clauses. Les deux exemples représentatifs sont deux extraits de productions écrites, une expositive (96) et une narrative (97), d’un même individu.

(96) Il y a des personnes / qui ignorent d’autres personnes / parce qu ’ils ne les apprécient pas / ou Ø trouvent / que leur comportement n’est pas normal de par leurs tenues vestimentaires, leurs habitudes, ou leurs goûts / ou peut être parce qu 'ils n'ont tout simplement pas envie de rester avec elles. / // (3 ème n°23 expositif écrit, E/O)

(97) Mon père avait dû appeler des dizaines de fois à «  SFR » / et Ø dû leur envoyer plusieurs courriers électroniques. / // (3 ème n°23 narratif écrit, E/O)

En exposition (96), l’individu produit une UT plus complexe (constituée de 6 clauses), impliquant des subordonnées et des coordinations avec ellipse du sujet. En revanche, en narration (97), le même individu produit une UT composée de deux clauses. Les enfants s’adaptent au contexte académique du texte expositif en produisant des UT plus complexes, impliquant des relations syntaxiques telles que les subordonnées.

La modalité de production entraîne également des différences significatives. Les nombres de mots, de clauses et d’UT par textes sont plus importants dans les textes oraux. Ceci se comprend dans la mesure où la modalité orale impose un rythme de production rapide, ne possède pas la contrainte de la transcription que l’écrit implique. L’oral se caractérise également par des répétitions d’une même idée sous un encodage linguistique différent et une proportion importante de marqueurs de discours. En revanche, les nombres moyens de mots par clause et de clauses par UT, mesures reflétant plus fidèlement la complexité d’un texte (Ravid, 2005), sont plus importants dans les textes écrits. Ce résultat va dans le sens d’études précédentes (Berman et Slobin, 1994 ; Ravid, 2005). Ces comportements reflètent les circonstances de transmission de l’information et de production bien spécifiques des deux modalités du langage. Les deux exemples représentatifs ci-dessous sont deux extraits de productions expositives, une écrite (98) et une orale (99), d’un même individu de 3ème.

(98) Je vais parler des rapports sociaux / qu'ont les adolescents / quand ils sont au collège./ // (3 ème n°01, expositif écrit, O/E)

(99) Y a les rapports euh entre les personnes au collège euh classe par exemple./ // (3 ème n°01, expositif oral, O/E)

Pour exprimer une même idée, le sujet choisit d’empaqueter son message différemment selon la modalité de production. À l’écrit, le locuteur/scripteur produit une UT complexe de trois clauses (98), alors qu’à l’oral (99), il produit une UT constituée d’une seule clause. La modalité écrite permet aux enfants, par le temps de planification important qu’elle offre et par l’absence de pression communicative, de produire des textes plus longs en mots et des UT impliquant plusieurs structures dépendantes d’une clause principale.

L’ordre de production entraîne des différences significatives seulement pour le nombre moyen de mots par texte qui est plus élevé dans les textes ayant été produits par des individus appartenant à l’ordre de passation écrit/oral. Les exemples suivants illustrent ce phénomène.

(100) Les histoires commencent quand des gens ne s’aiment pas, ils s’insultent et ça dégénère et ils se bagarrent. (CM2 n°11, expositif écrit, O/E)

(101) La tricherie pour les contrôles ou pour d’autres choses n’est jamais bien parce qu’on n’apprend rien après et qu’on pourrait toujours tricher. Pour pas que ton camarade de classe ne te dise les réponses, dis lui non ou si il veut te faire montrer les réponses, dis lui non parce que peut-être il a faux, mais il ne faut jamais tricher parce que on n’arrivera rien à la vie. (CM2 n°15, expositif écrit, E/O)

Le texte de l’individu appartenant à l’ordre oral/écrit (100) compte 20 mots. En revanche, le texte de l’enfant appartenant à l’ordre écrit/oral (101) compte 72 mots.

Sans entrer dans le débat langue/CSP,82 nos résultats peuvent en partie être comparés aux analyses effectuées sur la population francophone native plus favorisée du projet Spencer (classe moyenne supérieure). Quatre groupes sont observés : des enfants de 9/10 ans (scolarisés en CM2), de 12/13 ans (scolarisés en 5ème), de 15/16 ans (scolarisés en 2nde) et des adultes. Viguié-Simon (2001) montre que les nombres de clauses et d’UT par texte ainsi que le nombre de clauses par UT augmentent également avec les années de scolarisation.83 Le Tableau 8 résume ces informations selon l’âge et les met en comparaison avec notre population ReFlex défavorisée.

[Tableau 8 : Indicateurs généraux selon l’âge et la Classe Socio-Professionnelle]
Tableau 8 : Indicateurs généraux selon l’âge et la Classe Socio-Professionnelle
  Clauses par texte UT par texte Clauses par UT
  Spencer favorisée ReFlex défavorisée Spencer favorisée ReFlex défavorisée Spencer favorisée ReFlex défavorisée
9/10 ans et CM2 11,34 11,42 6,83 7,37 1,78 1,65
12/13 ans et 5 ème 14,30 18,94 8,10 11,58 1,9 1,71
15/16 ans et 3 ème 18,21 24,99 10,03 14,35 1,88 1,84
Adultes 38,07 / 19,57 / 2,1 /

Nos participants produisent autant voire davantage de clauses et d’UT par texte. Pour le nombre de clauses par UT, les participants ReFlex produisent des UT un peu moins longues que les enfants du projet Spencer. Nos participants de 3ème se rapprochent des adultes ; en sachant que nos 3ème ont une année de scolarisation de moins que les 15/16 ans du projet Spencer, qui sont en classe de 2nde. Cette comparaison montre que la courbe développementale des locuteurs/scripteurs défavorisés de notre recherche n’est pas différente de celle des individus favorisés du projet Spencer.

Néanmoins, concernant le nombre de clauses par UT, mesure reflétant la complexité syntaxique d’un texte (Berman, 1998 ; Ravid, 2005 ; Viguié-Simon, 2001), les résultats de Viguié-Simon révèlent que la complexité des UT n’est pas « un développement progressif […] mais plutôt un développement par palier, […] un développement extrêmement tardif » (Viguié-Simon, 2001:124). Concernant notre population, nous notons des différences significatives entre les trois groupes d’enfants. Notre conclusion est alors que la complexité des UT relève certes d’une capacité maîtrisée totalement tardivement mais qu’il s’agit tout de même d’un développement progressif.

Le fait que le nombre de clauses par UT soit plus important dans les textes expositifs que dans les textes narratifs est également révélé par Viguié-Simon (2001). De ce résultat, Viguié-Simon (2001) confirme une de ses hypothèses de travail selon laquelle cette VD varierait selon le type de texte mais pas selon la modalité ; ceci irait dans le sens des travaux antérieurs d’O’Donnell, Griffin et Norris (1967) et Loban (1976).

Concernant l’impact de la modalité, nous ne pouvons comparer le nombre de mots, de clauses et d’UT par textes ainsi que le nombre moyen de mots par clause avec la population des travaux de recherche de Viguié-Simon (2001). En effet, les tests sur ces VD ne sont pas effectués. Néanmoins, elle teste le nombre de clauses par UT. La chercheuse montre que la modalité de production n’a pas autant d’impact sur le nombre de clauses par UT pour ses participants que pour les nôtres. Sa conclusion confirmerait les données d’O’Donnell et al. (1967) et Loban (1976) selon lesquelles le nombre de clauses par UT ne varierait seulement par le type de textes. Néanmoins, Viguié-Simon (2001) nuance en disant que la modalité de production interagit avec le type de texte.

Les résultats de ce Chapitre 7 confirment en partie nos hypothèses : toutes les VD varient en fonction des facteurs de notre étude. Néanmoins, selon la VD, les facteurs impliquant des variations ne sont pas les mêmes. Ainsi, si pour le nombre de mots par texte, le niveau scolaire, la modalité et l’ordre ont un impact, pour le nombre moyen de clauses par texte seuls les facteurs niveau scolaire et modalité de production ont un effet significatif.

Notes
81.

Les attentes, hypothèses et problématiques sont davantage explicitées au Chapitre 3.

82.

Rappelons que CSP correspond à la Catégorie Socio-Professionnelle.

83.

Le nombre de mots par texte ainsi que le nombre de mots par clause ne sont pas testés.