9.1.3. Discussion des résultats de la Section 9.1

Le but de cette partie était de voir si le degré de lexicalité des SNL variait selon les facteurs : niveau scolaire, type de texte, modalité et ordre.95

D’un point de vue général, les individus produisent, en général, en plus grande proportion des SNL composés d’un seul nœud lexical ; l’encodage des messages par des SNL de plus d’un nœud est plus rare.

Une de nos attentes concernant le degré de lexicalité des SNL était que celui-ci augmentait avec le niveau scolaire, ce qui irait dans le sens des résultats du Chapitre 8 révélant que la proportion des SNL augmentait avec les années de scolarisation. Ceci est confirmé par nos analyses. Les écoliers de CM2 produisent plus de SNL constitués d’un nœud lexical que les deux populations de collèges. Ce résultat, à première vue insolite, se comprend du fait que les SNL de plus d’un nœud, bien que plus rares et plus complexes, augmentent avec les années de scolarisation. Les adolescents de 3ème produisent moins de SNL constitués d’un nœud lexical pour produire davantage de SNL plus complexes (127).

(127) Il provoque aussi de nombreux conflits entre les gens racistes et les gens visés par ce problème . (3 ème n°13, expositif écrit, E/O)

L’individu de 3ème produit un SNL complexe de plus de deux nœuds lexicaux (de nombreux conflits entre les gens racistes et les gens visés par ce problème).

L’interprétation concernant la proportion de SNL constitués de plus d’un nœud peut être nuancée. En effet, si les CM2 semblent produire autant de SNL constitués de plus d’un nœud que les 5ème (Figure 59), la raison en est due à la forte fréquence d’un SNL spécifique dans les productions des CM2 : les problèmes entre les gens. Ce SNL était présent dans la consigne du texte expositif. Les CM2 n’ont fait que s’approprier ce SNL. Les individus plus âgés (5ème) produisent des SNL en faisant preuve d’une plus grande flexibilité quant aux choix des lexèmes.

Dans nos attentes et problématiques (Chapitre 3), nous avions mentionné que nous nous attendions également à un effet du contexte de production (modalité et type de texte). Plus précisément, les participants de notre étude pourraient produire des SNL composés de plus d’un nœud lexical davantage en production expositive et écrite qu’en production narrative et orale.

L’effet significatif de la variable type de texte surle degré de lexicalité des SNL est confirmé par nos résultats. Les SNL constitués d’un nœud sont plus une caractéristique des textes narratifs que des textes expositifs, ces textes se définissant comme ayant plus de SNL complexes (constitués de plus d’un nœud). Ceci va dans le sens de nos prédictions. Les exigences du type de texte expositif sont suivies par les locuteurs/scripteurs ce qui se traduit par plus de SNL plus complexes. Nos sujets, même les plus jeunes, ont la capacité de s’adapter au contexte de production, ce qui est une preuve de leur cheminement vers l’expertise et vers le statut de proficient speaker (Berman, 2008). Les exemples ci-dessous, sont deux extraits de deux productions écrites, une narrative (128) et une expositive (129), d’une même adolescente de 3ème.

(128) Elle l’a mal pris et s’est énervée en employant des mots vulgaires . (3 ème n°39, narratif écrit, O/E)

(129) En effet, un élève attardé ou mal formé subira des moqueries de ses camarades et se fera taper dessus. (3 ème n°39, expositif écrit, O/E)

En contexte expositif, la jeune fille produit un SNL complexe alors qu’en contexte narratif elle pronominalise davantage son message et utilise un SNL contenant un nœud lexical.

L’effet de la modalité est confirmé par les analyses. Les individus produisent davantage de SNL constitués d’un nœud à l’oral qu’à l’écrit. En revanche, en production écrite, ces mêmes individus réalisent plus de SNL complexes composés de plus d’un nœud lexical. La modalité écrite, de par son temps de planification important et son absence de pression communicative, permet aux locuteurs/scripteurs de produire des formes demandant plus de ressources cognitives (donc des SNL complexes). L’oral, en revanche, exerce une pression communicative telle que les sujets ne peuvent accéder à ce type de forme, d’autant plus que le temps de planification est réduit. Les deux exemples présentés ci-dessous sont des extraits de deux productions expositives, une orale (130) et une écrite (131), d’un adolescent de 3ème.

(130) Y a des gens / i(l) s’aiment pas. (3 ème n°12, expositif oral, O/E)

(131) On ne peut pas vivre dans la haine des cultures . (3 ème n°12, expositif écrit, O/E)

Nous remarquons qu’à l’écrit, l’individu utilise un SNL complexe composé de deux nœuds alors qu’à l’oral, l’utilisation de SNL est moindre.

Pour finir, nous avions également supposé un effet de l’ordre de production sur la proportion des SNL composés d’un nœud lexical et celle des SNL constitués de plus d’un nœud. Les résultats dévoilent, en effet, que les locuteurs/scripteurs appartenant au groupe de passation écrit/oral produisent davantage de SNL constitués de plus d’un nœud que ceux appartenant à l’ordre de passation oral/écrit, qui produisent davantage de SNL composés d’un nœud. Le fait de produire un texte écrit puis un texte oral favorise la production de SNL complexes. En effet, une fois ce type structure activée et appliquée à l’écrit, l’individu le transfère à l’oral. Néanmoins, si le sujet commence par faire un texte oral, il tend à utiliser davantage de SNL simples du fait des contraintes de cette modalité ; ce choix est ensuite maintenu lors de la production écrite. Les exemples ci-dessous illustrent cette différence.

(132) Les problèmes entre les gens se focalisent particulièrement sur les scènes de racisme . (CM2 n°16, expositif écrit, E/O)

(133) Les gens se cherchent trop. (CM2 n°17, expositif écrit, O/E)

L’écolier appartenant à l’ordre de passation écrit/oral (132) produit des SNL de deux nœuds alors que le second appartenant à l’ordre de passation oral/écrit (133) en produit un contenant un seul nœud.

Nos résultats vont dans le sens des travaux de Jisa et Mazur (2005) et Mazur (2005) sur des classes socio-professionnelles plus favorisées. En effet, le fait que la production de SNL complexes (à savoir constitués de plus d’un nœud lexical) augmente avec les années de scolarisation, et que les SNL sont plus complexes en production expositive et écrite est l’une des conclusions de ces travaux. Bien que nous ne puissions pas comparer les proportions,96 nous pouvons tout de même dire que nos participants ont un comportement guère différent des enfants favorisés.

Dans cette partie, nous avons décidé de nous concentrer sur une des mesures permettant d’observer la complexité linguistique du SNL : le nombre de noms lexicaux. Il a été vu au Chapitre 1 (Section 1.3, p. 40) que la complexité du SNL pouvait également se calculer par rapport aux nombres de modifieurs différents le constituant. Des analyses concernant le nombre de modifieurs différents constituant les SNL ont été effectuées. Les résultats révèlent que les individus, avec les années de scolarisation, produisent de plus en plus de SNL constitués d’au moins deux modifieurs différents. Ces SNL ont une proportion plus importante dans les productions expositives et écrites.97

Nous pouvons nous demander ce qu’il en est du degré de lexicalité des SNL en prenant en considération les positions syntaxiques. Est-ce que les analyses en prenant en considération la fonction syntaxique peuvent compléter les résultats, comme cela a été le cas pour la proportion des SNL et des pronoms au Chapitre 8 ? Est-ce que le degré de lexicalité des SNL dans les différentes positions varie également selon les variables niveau scolaire, type de texte, modalité et ordre ? La fonction syntaxique influence-t-elle le degré de lexicalité des SNL ?

Afin de répondre à ces questions, nous allons, dans la prochaine section, présenter les analyses du degré de lexicalité des SNL en position sujet, objet et autre.

Notes
95.

Les attentes, hypothèses et problématiques sont davantage explicitées au Chapitre 3 (Section 3.2.2.2, p. 100).

96.

En effet, dans les travaux sur la population favorisée, les analyses n’étaient pas faites de la même manière.

97.

Les analyses de variance montrent que les différences observées selon le niveau scolaire (F (2,501) =8,090, p < 0,0003), le type de texte (F (1,501) = 11,749, p < 0,0007) et la modalité (F (1,501) = 20,266, p < 0,0001) sont significatives. Ces analyses concernent la proportion des SNL constitués d’au moins deux modifieurs différents selon le nombre total de SNL.