10.1.2. Discussion de la Section 10.1

Dans ce chapitre, nous voulions voir si les facteurs de notre étude –niveau scolaire, type de texte, modalité et ordre – faisaient varier la proportion des SN introduisant une nouvelle information et des SN maintenant une information.103

Une de nos attentes et prédictionsétait un effet significatif du niveau scolaire sur ces VD. Nous pensions que l’introduction de nouveaux référents, qui est considérée comme exigeant plus de ressources cognitives que l’ancienne information (Chafe, 1994 ; Khorounjaia et al., 2004), augmentait avec les années de scolarisation, d’autant plus qu’introduire une nouvelle information implique l’utilisation de lexique. Et, comme nous l’avons déjà mentionné, la mobilisation et la production de SNL augmentent les années de scolarisation. Ainsi, la proportion de SN introduisant une information augmenterait avec la longueur des textes et donc avec les années de scolarisation. Cependant, même si l’introduction d’information dans un texte est un aspect essentiel, un autre principe guide le développement d’un texte : le maintien des informations introduites (Charolles, 1978 ; Reinhart, 1980 ; Schneuwly, 1988). Introduire de l’information sans la maintenir n’est pas satisfaisant : le locuteurs/scripteur doit, en effet, également la maintenir pour la développer. Ainsi, nous supposions également que la proportion de SN maintenant une ancienne information est plus importante chez les locuteurs plus experts, reflétant qu’ils développent leurs idées.

L’analyse des données confirme un effet significatif du niveau scolaire sur la proportion de SN introduisant et maintenant une information. La proportion de SN introduisant une nouvelle information est moins importante dans les textes des individus les plus âgés que dans les textes des CM2. En revanche, la proportion de SN maintenant une information est plus élevée dans les textes des individus les plus âgés que dans les textes des CM2. Les individus les plus avancés dans le cursus scolaire introduisent de nouvelles informations puis les développent, leurs textes sont plus longs, les idées plus travaillées. Sur la totalité des SN, il y en a davantage qui servent à maintenir qu’à introduire ; ceci se confirme avec l’avancée dans le cursus scolaire. Nous pouvons nuancer notre propos en regardant le nombre moyen de SN introduisant une nouvelle information et le nombre moyen de SN maintenant une information par texte. Ces analyses révèlent que les participants de notre étude maintiennent de plus en plus avec le niveau scolaire mais qu’ils introduisent également de plus en plus de nouvelle information (Tableau 10).

[Tableau 10 : Nombre moyen de SN introduisant une nouvelle information et maintenant une information par texte]
Tableau 10 : Nombre moyen de SN introduisant une nouvelle information et maintenant une information par texte
  CM2 5 ème 3 ème  
Nouvelle information 104 5,03 8,93 11,89
Ancienne information 105 5,35 10,99 14,67

Ces résultats montrent alors que les textes des 5ème et des 3ème sont de plus en plus riches informationnellement et qu’ils maintiennent également de plus en plus leurs idées en les développant. De plus, nous voyons que, pour les CM2, le nombre moyen de SN introduisant une nouvelle information et celui des SN maintenant une information par texte sont quasi-similaires. En revanche, pour les 5ème, le nombre moyen de SN introduisant une nouvelle information est inférieur à celui des SN maintenant une information par texte et cette différence s’accentue chez les 3ème. Les collégiens introduisent de plus en plus de nouveaux référents dans leur production, mais ils assurent également plus la continuité référentielle de leur texte.

Le maintien de l’information n’est pas si évident. Insérer de nouveaux référents dans une production est certes une des règles assurant la cohésion d’un texte (Clark et Haviland, 1974, 1977 ; Khorounjaia et Tolchinsky, 2004), mais une autre règle est la continuité référentielle, la progression. Si l’analyse qualitative des productions montre que les plus jeunes tendent à énumérer de nouvelles informations sans pour autant beaucoup développer les thématiques (135).

(135) Le racisme est par exemple des gens qui n’aiment pas certaines personnes car elles ne sont pas comme eux. Le vol est attendre qu’une personne sorte pour lui voler son goûter ou quelque chose de ce genre. La bagarre est quelqu’un qui est énervé par quelqu’un et qui veut se battre. (CM2 n°24, expositif écrit, E/O)

Dans cet exemple, nous voyons que l’élève introduit trois informations principales sans les maintenir et les discuter davantage. Son texte est court et n’est pas développé. Les collégiens font des textes beaucoup plus longs, développent les idées introduites, et ceci se voit à travers le maintien de l’information (136).

(136) Les bagarres   commencent par des regards bizarres entre les personnes concernées en général. Puis, elles se fixent jusqu’à se dire « qu’est-ce que tu chaab ?». Ensuite, ils se rapprochent et Ø s’expliquent en s’insultant. Puis tout le monde vient pour les chauffer jusqu’à qu’ ils en viennent aux mains. Pendant la bagarre , les gens autour savatent celui qu’ils n’aiment pas et les personnes intelligentes essayent de les séparer. Les bagarres sont aussi dues à la race, la nationalité et l’origine (Arabes et Arméniens se bagarrent beaucoup). Le collège punit ce comportement mais les parents, eux, disent que les pelos ont eu raison. (3 ème n°20, expositif écrit, E/O)

Une autre de nos attentes et prédictions était l’effet significatif du contexte de production (type de texte et modalité) sur ces deux variables – la proportion des SN introduisant une nouvelle information, quiserait plus importante dans les textes expositifs et écrits et la proportion des SN maintenant une information, qui serait plus élevée dans les textes narratifs et oraux.

Les résultats confirment un effet significatif du type de texte : la proportion des SN maintenant une information est plus importante dans les textes narratifs alors que celle des SN introduisant une nouvelle information est plus élevée dans les textes expositifs. Ce résultat n’est guère surprenant si nous nous fions aux définitions de ces types de textes. Le texte expositif impose aux locuteurs/scripteurs une forte pression informationnelle. Les individus répondent à cette contrainte en ayant une proportion des SN introduisant une nouvelle information importante (137). Le texte narratif n’impose pas une telle pression informationnelle mais au contraire appelle à un maintien des référents principaux (138).

(137) Dans un collège les sujets tels que la triche, les mises à l' écart (envers certaines personnes), les bastons, etc., sont plutôt fréquents. (3 ème n°06, expositif écrit, O/E)

(138) Je connu un garçon qui , dès qu’ il parlait ou dès qu ’il arrivait au collège, Ø souffrait et Ø subissait des moqueries incessantes et blessantes. (3 ème n°06, narratif écrit, O/E)

Dans ces extraits, le locuteur/scripteur introduit davantage de SN avec une nouvelle information dans son texte expositif que dans son texte narratif. Dans sa narration, une fois introduit le référent principal est maintenu.

Les analyses confirment également un effet significatif de la modalité de production et vont dans le sens de nos attentes. À l’oral, les individus ont une proportion plus importante de SN maintenant une information qu’à l’écrit, modalité dans laquelle, à l’inverse, ils ont une proportion plus élevée de SN introduisant une nouvelle information. De plus, le nombre moyen de SNL introduisant une nouvelle information par clause est plus élevé dans les textes écrits (139) que dans les textes oraux (140). Ce résultat peut être expliqué si nous nous en référons à Chafe (1994) qui propose qu’introduire un nouveau référent est sans doute plus coûteux que d’en maintenir un déjà connu. Les individus doivent activer le nouveau référent et de plus l’introduire sous un SNL pour assurer la bonne compréhension du destinataire ; nous avons vu, par ailleurs, au chapitre précédemment que la production de SNL caractérise davantage les textes écrits que les textes oraux. Ainsi, les locuteurs/scripteurs introduisent davantage de nouveaux éléments dans leur production écrite dans la mesure où la modalité écrite offre aux scripteurs un temps de planification facilitant cette tâche.

Pour illustrer ces différences entre les deux modalités, les exemples suivants, qui sont deux extraits de deux productions expositives, une écrite (139) et une orale (140), d’un même individu, sont proposés.

(139) Le recopiage pendant un contrôle peut poser beaucoup de problèmes . (5 ème 17, expositif écrit, O/E)

(140) On n’a pas à copier. (5 ème 17, expositif oral, O/E)

Pour encoder la même idée, ce même individu, en production écrite, préfère utiliser des SNL introduisant une nouvelle information alors qu’à l’oral il tend à pronominaliser son message.

(141) Pendant un cours de maths lors d’un contrôle de géométrie , le professeur passait dans les rangs . (5 ème n°25, expositif écrit, O/E)

(142) euh et ben y a des gens / euh i(ls) trichaient en classe / euh c’est / quand l(e) prof i(l) passait derrière eux. (5 ème n°25, expositif oral, O/E)

Les exemples (141) et (142) sont également deux extraits d’une production expositive, une écrite (141) et une orale (142), d’un même individu de 5ème. À l’écrit, dans une seule clause, plus d’un SNL introduisant une nouvelle information sont comptabilisés (un cours de maths, lors d’un contrôle de géométrie, le professeur, dans les rangs) ; à la différence de l’oral où un seul SNL introduisant une nouvelle information (le prof) est utilisé par clause.

Le résultat concernant le nombre moyen de SNL introduisant une nouvelle information par clause engendre une réflexion liée à la quatrième contrainte de la PAS (Du Bois, 1987, 2003) selon laquelle une seule nouvelle information par clause est énoncée.106 Nos résultats coïncident certes avec cette idée, cependant cette contrainte, reflétant la transmission de l’information à l’oral, est moins caractéristique de l’écrit. Dans les productions écrites, le nombre moyen de SNL nouvelle information par clause est supérieur à celui de la modalité orale.

Ces analyses nous révèlent d’intéressants faits. Mais qu’en est-il si nous observons la proportion des SN maintenant et introduisant une information en prenant en considération les positions syntaxiques ? Est-ce que les analyses en prenant en considération la fonction syntaxique peuvent compléter les résultats, comme cela a été le cas pour la proportion des SNL et des pronoms au Chapitre 8 ainsi que pour le degré de lexicalité des SNL au Chapitre 9 ? Est-ce que la proportion des SN maintenant et introduisant une information dans les différentes positions varie également selon les variables niveau scolaire, type de texte, modalité et ordre ? Afin de répondre à ces questions, nous allons, dans la prochaine section, présenter les analyses des proportions des SN maintenant et introduisant une information en position sujet, objet et autre.

Notes
103.

Les attentes, hypothèses et problématiques sont davantage explicitées au Chapitre 3 (Section 3.2.2.3, p.102).

104.

Les différences entre les populations sont significatives (F (2,504) = 55,659, p < 0,0001). Les individus de CM2 produisent significativement moins de SN introduisant une nouvelle information que les 5ème (p = 0,0001), ces deux groupes en produisent moins que les 3ème(p = 0,0001).

105.

Les différences entre les populations sont significatives (F (2,504) = 46,682, p < 0,0001). Les individus de CM2 produisent significativement moins de SN maintenant une information que les 5ème (p = 0,0001), ces deux groupes en produisent moins que les 3ème(p = 0,0001).

106.

Cette réflexion est à mettre également en lien avec la notion de the one new idea constraint de Chafe (1994).