i.i.ii. Production langagière et contexte

Nous avons vu que la litéracie linguistique (Ravid et Tolchinsky, 2000 et 2002) implique un trait spécifique, le contrôle des variations linguistiques, une condition, la familiarité et maîtrise de l’action d’écrire et du langage écrit et un processus, le métalangage.

Le contrôle des variations linguistiques et l’encodage des messages par le biais de structures linguistiques adaptées à divers contextes apparaissent comme un des objectifs principaux des systèmes d’éducation (Viguié et Jisa, 1999121). Les locuteurs/scripteurs deviennent experts (« linguistically literate », Ravid et Tolchinsky, 2000:1 ; Ravid et Tolchinsky, 2002:420) en ayant la capacité d’utiliser diverses structures adaptées aux contextes et aux buts communicationnels. Ils possèdent alors un répertoire de structures important et font preuve de flexibilité quant à leur utilisation. Ils deviennent conscients que, selon le contexte, ils ont à encoder un message différemment.

Par familiarité et maîtrise de l’action d’écrire et du langage écrit, nous entendons la maîtrise de deux aspects concernant la modalité écrite : (a) les individus doivent appréhender la production écrite comme un type de discours spécifique ; (b) les individus doivent apprendre à considérer l’écrit comme un système notationnel spécifique.

Le processusspécifique du métalangage réfère au développement des connaissances plus explicites et analytiques du langage par le biais de l’expérience.

Les résultats révèlent que les locuteurs de notre étude : (a) contrôlent les variations du contexte ; et (b) appréhendent la modalité écrite comme un discours spécifique. Selon le type de texte et la modalité de production, les choix linguistiques sont différents ; le message est adapté au contexte et au but communicationnel de la situation d’énonciation, comme le prédit le modèle de Levelt (1989).

En effet, les textes expositifs se caractérisent comme comportant plus de SNL qui sont plus variés et plus de SN introduisant une nouvelle information. Les choix linguistiques des individus de notre étude révèlent que les contraintes de ce type de texte, notamment la pression informationnelle et le registre académique, sont respectées. De plus, ce type de texte presse tant les locuteurs/scripteurs, qu’il contient plus d’utilisations non conventionnelles de pronoms. En effet, la macrostructure non linéaire et pas clairement identifié de ce type de texte est acquise tardivement. Les ressources cognitives sont allouées à la gestion de ce type de texte et donc, des utilisations non conventionnelles apparaissent. En revanche, le type de texte narratif est acquis relativement tôt ; en production narrative, les utilisations non conventionnelles de pronoms ont une proportion moins importante. Les textes narratifs contiennent davantage de pronoms, de SNL simples et d’ancienne information. En effet, ce type de texte n’exige pas un registre aussi académique que le type de texte expositif, ainsi les formes plus légères sont préférées. De plus, la narration n’implique pas une pression informationnelle importante, une fois un personnage introduit, il est maintenu par un pronom. Les caractéristiques de ces types de textes sont résumées dans le Tableau 11.

[Tableau 11 : Caractéristiques des textes expositifs et narratifs]
Tableau 11 : Caractéristiques des textes expositifs et narratifs
Textes expositifs Textes narratifs
Plus de SNL (et plus de SNL en position sujet) Plus de pronoms
Plus de SNL complexes/lourds Plus de SNL simples/légers
Plus de nouvelles informations Plus d’anciennes informations
Plus d’utilisations non conventionnelles de pronoms Moins d’utilisations non conventionnelles de pronoms

Les textes écrits se caractérisent comme contenant davantage de SNL (complexes de surcroît) que de pronoms qui sont plus utilisés en production orale. L’écrit comporte également plus de nouvelles informations que l’oral qui contient davantage d’anciennes informations. L’ancienne information est, par ailleurs, davantage encodée sous forme lexicale dans les textes écrits et sous forme pronominale en production orale. Ce maintien lexical se réalise en variant davantage les formes en production écrite qu’en production orale. Les caractéristiques des modalités du langage sont regroupées ci-dessous (Tableau 12).

[Tableau 12 : Caractéristiques des textes écrits et oraux]
Tableau 12 : Caractéristiques des textes écrits et oraux
Textes écrits Textes oraux
Plus de SNL (et plus de SNL en position sujet) Plus de pronoms
Plus de SNL complexes Plus de SNL simples
Plus de nouvelles informations Plus d’anciennes informations
Plus d’anciennes informations sous forme lexicale Plus d’anciennes informations sous forme pronominale

Les résultats montrent que les enfants, même les plus jeunes, savent distinguer l’écrit de l’oral et s’adapter à ces modalités du langage.122 Les individus de notre étude savent profiter du rythme de production lent de la production écrite : des formes dites plus coûteuses sont mobilisées, sans doute tirent-ils avantage d’un temps de planification plus long. L’utilisation de telles formes révèlent également que les enfants répondent aux contraintes rédactionnelles de l’écrit.

Notes
121.

Les ouvrages qui suivent sont notamment cités : La maîtrise de la langue au collège, Apprendre à lire et à écrire : dix ans de recherche sur la lecture et la production des textes dans la revue française de pédagogie, Les cycles à l’école primaire : Une école pour enfant des outils pour les maîtres, La maîtrise de la langue à l’école : Une école pour enfant des outils pour les maîtres, Lire et écrire à l’école primaire, Programmes à l’école primaire : Une école pour enfant des outils pour les maîtres, Le système éducatif de la France, ou l’ouvrage de Auduc et Bayard-Pierlot (1995).

122.

Les enfants de cette étude gèrent de mieux en mieux le système orthographique du français en faisant notamment moins de fautes d’orthographe et en se révisant de plus en plus (Maggio, 2007 ; Maggio, Jisa, Lété et Fayol, 2008 ; Maggio, Lété et Fayol, 2008 ; Cautain, Chenu et Jisa, 2008).