1.1.1. Quelles conceptions de l’éducation sont exigées afin d’étayer la pratique des enseignants aujourd’hui ?

Nous pourrions répondre qu’il s’agit de la conception qui considère l’éducation comme un acte de déposer, de transférer, de transmettre des valeurs et des connaissances. Mais il s’agit aussi de donner accès aux connaissances disponibles véhiculées par les ressources technologiques sophistiquées, car l’être humain ne pourrait supporter une telle accumulation d’informations et de connaissances. Paulo Freire (1994) recourt pour désigner ce type de procédure, à une métaphore faisant ainsi référence à une perspective bancaire de l’éducation dans laquelle les svoirs est une donation de la part de ceux que se jugent plus savants. L’éducation devient un acte de dépôt dans lequel les élèves sont les dépositaires et les enseignants sont ceux qui déposent. Au lieu de mettre en place la communication comme le requiert le processus d’interaction entre lui et les élèves dans l’acte pédagogique, l’enseignant fait des communiqués. Le dialogue n’existe pas et le savoir reste une donation de ceux qui s’estiment détenteurs du savoir envers ceux qui sont considérés comme ne sachant pas. Ce fait paraît se produire encore de nos jours avec la société de la connaissance, et bien que les sujets changent, la perspective de la conception bancaire perdure. Rappelons que cette forme de concevoir l’éducation fut toujours critiquée par les courants qui croient en le potentiel transformateur de l’éducation. (Freire, 1994). Changer de sujets ne résout pas le problème en apportant maintenant des moyens plus attractifs qui contribuent à dissimuler ou à camoufler ses effets.

La réalité qui se présente à nous aujourd’hui, est celle de l’"hégémonie" des savoirs qui est chaque jour davantage incorporée par l’entreprise, par les moyens de communication. Ce fait concourt à fragiliser la pratique pédagogique dans la salle de classe dans la mesure où l’entreprise dispose de ressources sophistiquées qui nécessitent beaucoup d’efforts pour les comprendre, car le spectacle des images, des couleurs, des effets génère admiration et passivité. Ce va jusqu’à faire oublier de se demander d’où vient cette information, de se questionner sur son utilité sociale, sur les intérêts sous-jacents, sur les relations qui existent entre notre réalité subjective et celle qui se présente à nous sous forme de connaissances. Nous écoutons toujours les critiques des perspectives promues par les encyclopédistes et les philosophes des Lumières, sur la formulation de la connaissance, et il nous semble que ce fait est en train de se répéter aujourd’hui sans la qualité de la période des Lumières. L’enseignant dans l’éducation bancaire selon la perspective « freirienne », est celui qui éduque, qui sait, qui pense, qui formule le discours, qui domine, qui est apte et prescrit l’action, qui agit, qui choisit le contenu dans les programmes scolaires, qui identifie l’autorité du savoir avec l’autorité fonctionnelle. L’enseignant est le sujet du processus. Les élèves, ceux qui sont en formation, sont ceux qui ne savent pas, ceux qui sont pensés, qui écoutent docilement le discours du maître, ceux qui sont soumis à la discipline par l’enseignant, ceux qui ont l’illusion d’agir, ceux qui jamais ne sont écoutés dans le choix des contenus, ceux qui doivent s’adapter aux déterminations de l’enseignant. Les élèves sont les objets du processus. Une telle perspective minimise ou même annule le pouvoir des sujets en formation et leur créativité n’est nullement stimulée.

En contrepoint à cette perspective éducative de l’éducation "bancaire" est la perspective freirienne qui se fonde sur la problématisation, éducation "problématisatrice", et qui pose comme exigence le dépassement de la contradiction enseignant-apprenant. Elle est basée sur une relation de dialogue indispensable au développement de la compréhension de l’objet d’étude, entre les deux sujets connaissants qui communiquent, interagissent dans le processus pédagogique. Dans l’éducation "bancaire", ce qui se produit est communiqué en sens unique par l’enseignant, au contraire, dans l’ éducation "problématisatrice", ce qui se produit, est le dialogue, la communication. La nature des processus d’enseignement et d’apprentissage est focalisée sur la réflexion, sur le questionnement, sur les défis, sur l’Homme et ses relations avec le monde, sur la recherche du sens et de la signification des choses dans la quête de la compréhension de la réalité. C’est pourquoi dans cette perspective freirienne, il est affirmé que les enseignants doivent être et exister pour agir.

Nous ne pouvons, comme nous l’avons déjà dit, former en ne donnant priorité qu’au langage de la nécessité et de la vérité qui nie l’ambiguïté, le désir et délégitime le différent que ne se moule pas dans les critères pré-établis. Nous ne pouvons former en postulant que la connaissance est acquise linéairement, renforçoant la conception fragmentée de la connaissance. S’il est formé de cette manière, il ne sera pas capable d’introduire des innovations dans sa pratique pédagogique. Ceci nous conduit à réaffirmer l’importance de la question de l’interdisciplinarité comme possibilité de dialogue et de contextualisation de la connaissance.