2. Contribution de la théorie des champs conceptuels pour la formation des enseignant(e)s

2.1. L’évolution des pratiques pédagogiques de l’enseignant(e) à l’école primaire au Brésil et en France

Les pratiques pédagogiques des enseignant(e)s constituent un champ de questionnements permanent autant chez des chercheurs en éducation que chez des responsables des politiques publiques au niveau national et même au niveau mondial. Il nous semble que ceci est dû à certains obstacles inhérents à la complexité des pratiques éducatives mais aussi aux changements de modalités de formation des enseignant(e)s imposés par les nécessités de la société actuelle.

Ces demandes sociétales associées à d’autres facteurs qui nous développerons plus loin semblent être à l’origine des nombreuses reformes éducatives qui fragilisent et remettent en cause l’identité professionnelle de l’enseignant(e).

Dans des recherches menées au Brésil, Pires (2000) identifie une « crise identitaire » des enseignant(e)s qu’il attribue à l’élaboration des nouvelles politiques d’éducation, que ne se traduisent pas par des mesures concrètes dans les processus de formation.

Nous attirons l’attention que, du côté brésilien, une expansion rapide du réseau des écoles primaires qui doivent recevoir un nombre croissant et varié d’élèves pour tenir compte de la scolarisation de tous les élèves en âge de scolarisation obligatoire, bouleverse les pratiques pédagogiques habituelles. Du coté de la France, nous observons que les transformations subies par l’école dans les dernières années confrontent les enseignant(e)s à une nouvelle professionnalité qui déstabilise les dimensions de leur “identité professorale”. (Acioly-Régnier et Monin, 2008). Ainsi, face à ces changements et à l’implantation des nouvelles politiques et reformes éducatives, la formation semble constituer un enjeu important dans l’évolution des pratiques enseignantes.

Les processus de formation des enseignant(e)s n’arrivent pas à suivre à la même vitesse les besoins de la pratique en salle de classe et les changements rapides de politiques d’éducation, parce que cela implique un ensemble de faits en interaction, tels :

  1. L’élaboration et la mise en œuvre des programmes qui reflètent cette nouvelle réalité sociale ;
  2. La structuration de nouveaux espaces formatifs adaptés aux nécessités requises ;
  3. La mobilisation de ressources économiques pour que les politiques établies au travers les processus de réformes éducatives soient mise en place effectivement

Par ailleurs, dans des écoles, les changements technologiques ne s’actualisent pas non plus au même rythme que les changements qui ont lieu dans la société concernant les technologies de l’information et communication. Ceci génère un fonctionnement à deux vitesses. Cette « arythmie » est due aux points cités ci-dessus mais aussi aux fonctions même de l’école qui a des valeurs propres et un devoir de réflexion critique face aux connaissances et aux changements. Cette culture s’oppose à celle des nouvelles technologies qui présuppose une conception rapide pour la consommation des nouveaux instruments de plus en plus efficaces. Dans cette tension, la culture scolaire doit prendre en considération la transmission des valeurs sociales et de construction de la citoyenneté et l’utilisation de ces instruments dans une perspective éthique de formation.

Le terme former implique des ruptures comportementales et intellectuelles donnant lieu à des nouvelles restructurations conscientes de la pensée professionnelle qui intègre des références d’ordre sociologique, psychologique, épistémologique et didactique. Il n’existe pas une logique linéaire dans les interactions établies dans le processus pédagogique car il dépend aussi des croyances des sujets en formation qui sont matérialisées au moment même de leur activité professionnelle. Dans ce cadre, quand on réalise une analyse des difficultés rencontrées par les enseignant(e)s dans le développement de leur pratique pédagogique quotidienne, on ne peut pas négliger ces aspects.

Maroy (2005), en commentant les données de Eurydice, affirme qu’une des grandes problématiques qui émerge des débats politiques dans des pays européens est celle du changement du référentiel des compétences attendues des enseignant(e)s. Celui-ci se configure notamment par une manière générale de traiter des questions administratives concernant l’école; par une maîtrise des outils de la technologie de l’information et de la communication; et enfin par la promotion des droits de l’Homme et de l’éducation civique et de la formation dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie.

La compétence concernant la maîtrise des technologies, encore parfois dites nouvelles, est une demande mondiale qui peut être identifiée dans des rapports officiels (UNESCO, EURYDICE,OCDE) entre autres.

En prenant comme exemple la partie initiale du document officiel des propositions (curriculaires) nationales pour l’enseignement primaire au Brésil (PCN) nous observons les propositions suivantes concernant le travail de l’enseignant(e) :

  1. le travail en salle de classe doit aller au-delà des frontières de la connaissance ;
  2. l’enseignant(e) doit être préparé(e) à aborder les nouvelles technologies et langages ;
  3. l’enseignant(e) doit répondre aux nouveaux rythmes du processus éducatif ;
  4. l’enseignant(e) doit prendre en considération la perspective de complexité et le sens provisoire de la connaissance ;
  5. l’enseignant(e) doit définir des objectifs clairs pour les situations didactiques ;
  6. le traitement d’un domaine et des contenus associés doivent être intégrés à une série de connaissances de différentes disciplines ;
  7. la notion de contenu scolaire est élargie et doit inclure en plus de faits et des concepts, des procédures, des valeurs, des normes et des attitudes.

Il s’agit ici des attributions complexes qui nous renvoient à des questionnements sur la formation des enseignant(e)s, le rapport avec ce référentiel de compétences et les contenus disciplinaires qu’ils doivent maîtriser, problématiser et contextualiser dans la salle de classe pour jouer le rôle de médiateur préconisé par les orientations officielles. Bien qu’intéressée plus particulièrement dans cette recherche par les activités d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques à l’école primaire, nous ne pouvons pas négliger les aspects plus généraux de l’activité de l’enseignant(e).

Tardif et Lessard (1999) considère que l’organisation du travail concret de l’enseignant se développe surtout au travers d’un rituel de préparation des activités de salle de classe mais aussi du contrôle des actions non prévisibles du processus pédagogique, de la gestion de l’ensemble et de la dynamique scolaire. Enfin, l’enseignant(e) doit assurer un environnement stable et propice à l’apprentissage.

Selon Muniz (2004), la formation des enseignant(e)s doit prendre en considération les connaissances essentielles sur les schèmes mentaux et sur les algorithmes mais aussi sur les principes de recherche dans les activités proposées en salle de classe. Dans ce cas, cette dernière devient un espace de recherche ayant pour but la construction du savoir mathématique et c’est seulement dans cette condition que l’enseignant(e) se constitue comme un médiateur de l’apprentissage.

Le travail de l’enseignant(e), de par sa complexité, requiert une solide formation initiale qui soit capable de lui offrir des éléments pour continuer son processus de formation tout au long de sa trajectoire professionnelle par le biais de la formation continuée, de la recherche concernant sa propre pratique, des actualisations théoriques des discussions produites dans des contextes de formation. Ces éléments peuvent ainsi instrumentaliser l’enseignant et constituer des éléments de réflexion sur sa pratique professionnelle quotidienne.

Abou et Giletti (2000) considèrent que l’absence d’une prise de distance de l’enseignant par rapport à sa pratique professionnelle épuise sa possibilité de réfléchir et conduit à des pratiques basées sur le sens commun. Dans ce sens, Dierkens (2005) affirme que la recherche est pour l’enseignant(e) un instrument de la pédagogie active qui encourage à comprendre, clarifier et découvrir les mécanismes cachés et les relations d’interdépendance de causes présentes dans l’activité d’enseignement.

Face à la complexité de l’activité professionnelle des enseignant(e) qui requiert le développement de compétences professionnelles, scientifiques et sociales, nous considérons que la théorie des champs conceptuels de Gérard Vergnaud et la perspective interdisciplinaire peuvent constituer des instruments utiles à la compréhension de notre problématique de recherche.

La théorie des champs conceptuels englobe à la fois le concept à être travaillé dans la salle de classe, les schèmes des élèves et des enseignant(e)s. La perspective interdisciplinaire peut nous aider par rapport aux connaissances scolaires et permettre un dialogue entre les différents champs disciplinaires visant à rompre la fragmentation dans les processus enseignement-apprentissage. Cette perspective nous semble d’ailleurs en cohérence avec la perspective d’interconnexion des concepts développée dans la théorie des champs conceptuels. Nous présenterons ensuite quelques concepts-clé de cette théorie que nous utiliserons comme outils pour la compréhension de notre problématique.