1.1.2. Questionnaire destiné aux enseignants.

Notre seconde source de données fut une enquête par questionnaire destinée à recueillir des informations auprès de deux échantillons d’enseignants de l’enseignement élémentaire, un en France et l’autre au Brésil.(Tome II Annexe) Notre objectif était que par cette technique, nous puissions relever un maximum d’informations sur la formation, l’expérience, les défis affrontés dans la salle dans le moment même de la réalisation de leur travail, en particulier ceux en lien avec le domaine des mathématiques. Celui nous a permis de dévoiler quelques-uns des impacts des réformes sur le développement de l’activité enseignante.

Le choix de cette technique pour construire les données nous a semblé tout à fait adapté. Régnier (2004) parle de l’importance de cet outil en mettant en avant quelques aspects que nous devons prendre en considération avec rigueur tels que l’élaboration de son contenu et de sa forme, l’anticipation de son application et de son traitement. Nous avons choisi des questions fermées et ouvertes. Dans ce processus d’élaboration de cet instrument, nous avons pris soin de respecter quelques recommandations de Régnier (2004), en particulier les trois étapes importantes :

  1. Forme : sa structure, comment le questionnaire doit être représenté ; la formulation, le nombre, l’ordre et le format des questions ; son adaptation à des traitements assistés par ordinateur.
  2. Contenu : pertinence de l’objet des questions
  3. Passation : mode, échantillonnage des sujets, coût.

Notre questionnaire est composé de 8 questions ouvertes, 6 questions fermées et 4 mixtes. Ces trois formats sont requis pour obtenir les informations dont nous avons besoin relatives aux caractéristiques des individus et aux variables qui modélisent notre objet d’étude. Les deux modalités de questionnaires, à savoir la modalité brésilienne et celle française, comportent les questions générales qui se réfèrent aux contenus suivant :

  1. Données personnelles et expériences professionnelles: formation générale, professionnelle, continuée, statut du travail, lieu de travail.
  2. Curriculum : disciplines étudiées dans la formation professionnelle comme fondements de l’éducation (psychologie, sociologie, philosophie), didactique générale et didactique des mathématiques.
  3. Difficultés rencontrées en tant qu’enseignant pour exercer son travail en salle de classe, en lien avec le contenu des mathématiques, avec la méthodologie et la structure de l’enseignement.
  4. Réformes éducatives : impacts positifs ou négatifs sur la pratique de l’enseignant.
  5. Recommandations des réformes éducatives: interdisciplinarité et technologie de l’information et de la communication (dans leur application à l’éducation) – TICE

Le questionnaire français fut une adaptation du questionnaire brésilien en respectant le contexte et les particularités du système scolaire français, principalement dans ce qui touche aux aspects de la formation de l’enseignant et aux aspects structurels qui constituent des différences entre la France et le Brésil. Les écoles brésiliennes rencontrent davantage de difficultés en termes de structure physique, de personnel de soutien spécialisé au travail de l’enseignant, dimensions qui furent explorées par des questions détaillées.

En ce qui concerne la passation en France, l’enquête par questionnaire fut administrée par nous-même en face à face, mais aussi, par courrier postal, courrier électronique à partir d’un formulaire Web en ligne.

En ce qui concerne la passation au Brésil, l’enquête fut réalisée intégralement sous la forme d’un questionnaire au format papier, distribué directement aux enseignants de l’échantillon. Nous avons paradoxalement eu plus de difficultés en France qu’au Brésil pour l’administration de ce questionnaire et surtout pour récupérer les questionnaires remplis. Au Brésil, nous avons eu recours à des intermédiaires et nous avons assuré le contrôle à distance par le moyen d’un protocole de passation. La durée de collecte au Brésil fut d’un mois [avril 2006]

Au Brésil nous sommes passée par l’intermédiaire du Secrétariat de l’Éducation du Pernambuco et celui de la municipalité de Recife afin que notre recueil de données se réalise dans la période d’une formation professionnelle (capacitação) pour des enseignants du réseau municipal. La contrainte temporelle tenait essentiellement à ce que, dans le cadre du programme ALBAN, notre sortie du territoire français était contrôlée et soumise à une suspension du versement de la bourse. Ayant réalisé cette sollicitation en la présentant dans le cadre des travaux de notre recherche doctorale, nous avons obtenu les autorisations nécessaires et nous avons pu réaliser, pour une part très importante, notre enquête lors d’une session de formation sur les mathématiques, réunissant environ 1500 enseignants des écoles primaires municipales de Recife durant les 17 et 18 avril 2006. Compte tenu du fait qu’il nous était impossible d’assumer seule la passation et que l’accès aux salles de cours était évidemment réglementé, nous nous sommes appuyée sur une équipe de 10 étudiants en Pédagogie du Centre d’Éducation de l’UFPE de Recife qui ont assuré la passation selon le protocole établi. 1200 questionnaires furent distribués, et 448 furent retournés. Cela nous donne un taux de retour de plus de 37%.

En France, nous avons rencontré quelques difficultés dans le processus de recueil des données par le questionnaire avec un retour plutôt faible relativement à notre attente. Nous avons distribué 300 questionnaires auprès d’enseignants et de directeurs d’écoles localisées dans les zones géographiques du Grand Lyon, de Saint-Étienne et de Chambéry, dans le Région Rhône-Alpes. Dans le même, nous avons diffusé une version électronique du questionnaire auprès d’autres écoles de l’académie de Lyon avec une recommandation d’un des directeurs adjoints de l’IUFM de Lyon. Nous nous sommes alors investie dans une troisième tentative, en nous appuyant une lettre d’appel auprès des enseignants dans les circonscriptions des académies de Lyon, de Grenoble et Paris ainsi qu’auprès de contacts personnels que nous avions par courrier électronique. Le résultat ne fut pas à la hauteur de nos attentes. Nous avons en fin de compte recueilli seulement 38 questionnaires, c’est à dire à peine plus de 13% si on s’en tient à la modalité papier comme référence, et bien moins si nous établissons le rapport avec l’ensemble des individus contactés. Quoi qu’il en soit, nous avons considéré ces données comme fiables, valides et pertinentes que nous avons traité dans notre approche quali-quantitative.

Pour essayer de mieux comprendre le faible taux de retour de notre échantillon en France, nous avons soumis à nouveau notre questionnaire à la critique externe en nous adressant à des spécialistes en éducation française. Il ne sortit rien de significativement attribuable à la forme et au fond de ce questionnaire. La question du coût temporel pour répondre aux questions a été évoquée, mais lors de l’étalonnage nous avions estimé à un durée de l’ordre de 15 à 30 minutes. Une interprétation plausible de cet état de fait peut être trouvée dans la méfiance générale à l’égard des questionnaires, mais aussi dans un état de saturation dans lequel les enseignants se trouvent dans la mesure où ils sont soumis à de nombreuses enquêtes par l’administration en lien même avec les réformes du système d’éducation, un des objets de cette thèse. Nous pourrions y voir là aussi un des impacts qui nous cherchons à identifier et à analyser. Les motifs fournis pour justifier la non-réponse tournent autour du manque de temps, des contraintes du calendrier scolaire, des contraintes imposées par la participations aux réunions du conseil d’école, etc.

En ce qui concerne l’exploration du concept d’interdisciplinarité et compte tenu de la polysémie du signifiant et de la complexité du concept qu’il est censé représenter, il nous a semblé que la technique du questionnaire à choix multiple – QCM était tout à fait pertinente pour situer les conceptions et les représentations dont sont porteurs les enseignants. Certes nous aurions pu procéder par l’intermédiaire d’une question du type :

Qbr = Você concorda que a interdisciplinaridade é uma questão importante para sua prática pedagógica?

Qfr = Êtes-vous d’accord sur le fait que l’interdisciplinarité est une question importante pour votre pratique pédagogique ?

Mais il y a fort à parier que nous aurions récupéré une majorité de oui en raison du fait que depuis plus de trente ans, cette question est largement discutée dans les milieux de l’éducation et qu’aujourd’hui l’interdisciplinarité est considérée comme un présupposé des programmes dans les politiques éducatives mondiales.

Nous aurions pu recourir à une formulation plus ouverte de la question:

Qbr = Que lugar et que papel tem a interdisciplinaridade na sua prática pedagógica?

Qfr = Quelle place et quel rôle, l’interdisciplinarité tient votre pratique pédagogique ?

Ou

Qbr = O que é, para você, a interdisciplinaridade relacionada à sua prática pedagógica?

Qfr = Qu’est pour vous l’interdisciplinarité en lien avec votre pratique pédagogique ?

Le problème aurait été celui qui caractérise les questions ouvertes avec l’éventail énorme de réponses dont on doit ensuite analyser le contenu pour que, finalement par la thématisation et la catégorisation, on retrouve une forme de données analogue à celle produite par le QCM. (Régnier, 2006b)

Dans ce cas, nous avons modélisé les 20 questions comme des variables qualitatives ordinales, nommées dans certains contextes, échelle de Likert. Les modalités de cette variable sont réparties sur l’échelle à quatre niveaux :

Modalités des variables qualitatives ordinales du QCM et leur codage numérique
1 2 3 4
concordo plenamente, concordo parcialmente discordo parcialmente discordo plenamente.
Tout à fait d’accord Plutôt d’accord Plutôt pas d’accord Tout à fait en désaccord

Les 20 énoncés proposés de telle sorte que 10 expriment une idée plutôt positive et 10, une idée plutôt négative. À titre d’exemple, nous rapportons deux énoncés :

Énoncé porteur d’une idée positive
1. Interdisciplinaridade é uma possibilidade de avanço no desenvolvimento do ensino
1. L’interdisciplinarité est une possibilité de progrès dans la réalisation de l’enseignement
Énoncé porteur d’une idée négative
15. Interdisciplinaridade não possibilita ajuda nas áreas de matematica e estatistica
15. L’interdisciplinarité ne constitue pas une aide dans les domaines des mathématiques et de la statistique.

Nous les avons présentés selon l’ordre : les 10 premiers (V14-1 à V14-10) renvoient à la positivité et les 10 derniers (V14-11 à V14-20) à la négativité. Après coup, il nous semble que nous aurions dû recourir à un ordre aléatoire.

Nous avons aussi posé la question en demandant de ranger par ordre croissant d’importance ces 20 items. Cette information permet d’appliquer les méthodes de statistique de rang qui sont des modèles non-paramétriques. (Régnier et Gras, 2005) (Régnier 2006b)

Au moment de la rédaction de cette thèse, il nous semble que nous aurions pu avoir recours à une méthode appuyée sur une technique connue sous le nom Q-Sort. Rappelons que cette technique est fondée sur le principe de la confrontation du sujet avec une série d’énoncés caractéristiques qu’il doit classer par groupe (par exemple, 20 énoncés à classer en 5 groupes d’effectifs respectifs 1-4-10-4-1, correspondant aux niveaux concordance-neutre-discordance). Elle fut proposée par le statisticien W. Stephenson dans les années 30. On la rencontre aussi sous les noms Q-Technique ou Q-Méthode. Ainsi dans cette technique, la répartition des choix réalisés par le sujet est représentée par une échelle de valeurs imposée (Régnier 2006, p.38). Nous pourrions modéliser cette variable comme le propose Régnier à la manière d’une variable de rang selon la méthode explicitée dans (Régnier et Gras, 2005)

Le document ci-après donne le QCM utilisé :

Tableau 11 :Technique du QCM appliquée à la question V14 du questionnaire.
Tableau 11 :Technique du QCM appliquée à la question V14 du questionnaire.