1.1.5 Le processus de construction des données à partir de l’observation en salle de classe.

La troisième source de données fut les observations conduites en salle de classe dans les cours de mathématiques de l’école élémentaire. Dans un premier temps notre regard s’est porté sur la dynamique générale de la leçon, sur la forme d’organisation de l’activité de l’enseignant et sur les relations établies dans le processus pédagogique (relation enseignant – élève – connaissance).

Les observations en salle de classe avaient comme objectif de connaître les réalité concrète du travail de l’enseignant, et c’est pourquoi nous avons délimité le champ par les aspects suivants :

  1. La dynamique générale de la leçon, sa forme d’organisation, son déroulement général, comment elle commence, quelles sont les activités développées et comment elle se termine.
  2. Les interactions effectives dans le processus pédagogique, comment l’enseignant interagit avec les élèves dans la salle de classe, comment les élèves interagissent avec lui et entre eux.
  3. Le rapport à la connaissance mathématique scolaire et son traitement, dans le sens de quelle forme prend la présentation des contenus, quels aspects revêtent la contextualisation, la problématisation et la systématisation de la connaissance.

Pour analyser ces aspects nous avons pris comme référence la théorie des champs conceptuels et la perspective ouverte par la didactique professionnelle comme référentiel de l’analyse de l’activité enseignante. Nous avons limité notre analyse à cette question du rapport et du traitement de la connaissance mathématique en appuyant sur les apports de la théorie de champs conceptuels de Vergnaud et de la didactique professionnelle en nous appuyant sur des travaux de Vergnaud (2006) Pastré (2006, 2007) et enfin sur la conception de l’interdisciplinarité selon Lenoir , Freitas et Frutuoso (2002). Le modèle de la relation ternaire enseignant – élève – connaissance est aussi pris en référence pour l’analyse des dialogues qui surgissent dans la salle de classe.

Nous avons centré notre intérêt sur l’organisation du travail dans la classe en élargissant notre regard au-delà de l’organisation générale du travail pédagogique à l’école, étudié par Freitas (2000), vers une organisation générale des programmes scolaires qui matérialisent les politiques publiques de l’éducation en France et au Brésil. Pour ceci, dans la première partie de ce travail, notre objectif fut de connaître les facteurs qui sont implicites dans la formulation de ces politiques publiques d’éducation comme c’est le cas de la globalisation.

Freitas (2000) met l’accent sur la nécessité de conduire des recherches sur la pratique pédagogique à l’école et dans la salle de classe en vue d’établir des catégories fondamentales, dans les quelles les didactiques spécifiques ont un rôle important. Il dit que la didactique est un terme qui doit est soumis à l’organisation du travail pédagogique. Le travail pédagogique est divisé en deux niveaux :

  1. Le travail pédagogique qui se développe dans la salle de classe ;
  2. L’organisation générale du travail pédagogique dans l’école, incluant son projet politico-pédagogique.

Vergnaud (2007) considère que l’enseignant est un médiateur dans la salle de classe, dont l’activité est de mettre en scène des situations pertinentes pour faciliter l’apprentissage de l’élève. L’enseignant doit donc être à même de comprendre ce que l’élève est en train de faire et quelles sont ses doutes pour pouvoir lui apporter une aide à chaque phase de son activité. Cet auteur évoque aussi l’importance du processus de communication dans la salle de classe. Nous donnerons aussi une attention au sens et l’usage de cette de communication.

Cette optique choisie par nous, nous permet de mieux situer l’importance de la mise en pratique de l’interdisciplinarité comme possibilité de traiter la connaissance scolaire. Nous rappelons que l’un des présupposés de l’interdisciplinarité selon Luck (1994) est le dialogue.

Selon Vergnaud (2007), l’étude de la formation des compétences complexes en éducation et le travail en l’éducation demandent de porter une grande attention au contenu des dialogues en raison des différences de compétences et de points de vue des interlocuteurs. L’enseignant ne peut perdre de vue les processus interactifs que se réalisent dans le temps des cours dans la salle de classe. Enseignants et élèves y interagissent mutuellement et ces interactions dépendent aussi du sens que ces acteurs y mettent chacun de leur côté. Dialogue et processus interactifs sont d’une extrême importance pour l’école et pour la salle de classe.

Considérant que le regard à l’œil nu ne rend pas compte de l’appréhension de la dynamique de la salle de classe, de par sa complexité, nous avons choisi de recourir à des enregistrements audio-vidéographiques au format numérique. Nous avons eu recours à deux caméras : une dirigée vers l’enseignant et l’autre vers les élèves. Les enregistrements ont été traités avec un banc de montage afin de produire un corpus adapté aux procédures d’analyse que nous avons choisies. Il s’agit de réaliser une segmentation des images dynamiques afin de déterminer les unités d’analyse. Nous avons eu recours au programme informatique Pinnacle Studio 8 19 dont nous n’exposerons pas les fonctionnalités ici mais que nous pouvons résumer à celles d’un banc de montage. Nous aurions pu nous inspirer de la méthode du méta-récit mise au point par Patrick Chignol (2007), (Chignol, Régnier 2008) dans sa thèse de doctorat en sciences de éducation. Mais en la circonstance, nous avons choisi une méthode plus légère.

Nous avons, tant au Brésil qu’en France, filmé intégralement des séances de cours complète avec comme objectif de saisir la dynamique de la classe, la relation ternaire enseignant – élève – connaissance, et le traitement de la connaissance mathématique. Il s’agissait de construire des séquences audio-vidéographiques qui représentent les thématiques que nous avions pré-sélectionnées pour organisation l’observation en relation avec notre question de recherche.

Dans ce qui concerne la segmentation des vidéographies, les objets thématiques furent ainsi défini :

  1. La dynamique générale de la classe : capture des épisodes permettant de repérer la temporalité de la leçon (début, déroulement, fin).
  2. L’interaction ternaire enseignant – élève – connaissance : capture d’épisode de dialogues entre l’enseignant et les élèves.
  3. Le rapport et le traitement de la connaissance mathématique : organisation des séquences vidéographiques en fonction des questions spécifiques aux contenus (présentation, problématisation, systématisation)

Dans le tableau ci-dessous, nous présentons un synoptique des enregistrements videographiques réalisés en France et au Brésil. Nous avons réalisé des captures vidéographiques dans 9 classes en impliquant 7 enseignants du niveau que nous avons désigné la dernière classe du cycle que nous avons nommé sous le terme générique d’enseignement élémentaire, c’est à dire la classe CM2 en France et la 4ème série de Enseignement fondamental au Brésil qui concerne les enfants âgés d’environ 10-11ans. Il y a eu 563 min et 63 s de capture vidéographique et 119 min et 41 s d’enregistrement d’entretien avec les enseignants.

Tableau 12 :Leçon de mathématique en CM2 de l’école élémentaire et 4ème série de Ensino fundamental
COURS DE MATHEMATIQUE DANS L’ECOLE PRIMAIRE – 4a SÉRIE /5O ANO DE ESCOLARIZATION DU BRESIL et CM2 EM FRANCE.




Natal
Brasil
Ecole Professeur Cours de mathematique/ Interfaces Contenu Temps Entretien

Ecole publique 1
A Cours 1 Littérature 92 min
43 s

12min 34 s
A Cours 2 Addition e Soustraction 72 min
58s
B Cours 3 Numéro 72 min
58 s

22min 47 s
B Cours 4 Quartier 83 min
29 s

Recife
Brasil
Ecole publique 2 C Cours 5 Ordre et Classe QVL Problème d’enregistrement 42 min65 s
D Cours 6 Ordre et Classes 50 m
57 s
26 min
8 s
Ecole privée 1 E Cours 7 Exponentiation 35 min
98 s
5 min
Problème d’enregistrement
  Ecole privée 2 F Cours 8 Exponentiation 35 min
95 s
10 min
87 s
França Ecole publique G Cours 9 Fraction 60’ 55’’  

Freitas (2000) énonce trois points importants pour justifier l’utilisation d’enregistrement audio-vidéographiques en salle de classe : le premier est que l’action se déroule rapidement, ce qui la rend insaisissable par d’autres moments plus traditionnels ; le second est que, quand l’action se produit, elle est tellement complexe que la fixation de l’attention sur un unique aspect empêche d’appréhender d’autres d’égale importance pour l’étude ; le troisième est en lien avec la saisie de transformations séquentielles dans des comportements complexes qui doivent pris en considération.

Tant pour l’orientation de la construction des données que pour leur analyse, nous avons aussi tenté d’intégrer la perspective ethnographique basée sur l’approche de Geertz (1973) en considérant que l’action humaine est riche en contenus sémantiques, et en actions (cognitives, communicatives , gestuelles) qui assument un sens particulier en fonction des contextes socioculturels spécifiques.

Toutefois il ne suffit pas d’avoir une caméra numérique pour que cet instrument devienne une aide explicite dans la compréhension des phénomènes étudiés. D’autres conditions sont aussi à respecter, dont celles qui relèvent du cadre théorique.

L’approche proposée par Geertz (1973) implique une description dense et minutieuse des aspects interactionnels de l’activité de dialogue entre les participants ou de celle de la production commune durant la résolution de problèmes. L’examen détaillé d’une situation spécifique doit être réalisé sans compromettre la compréhension de l’activité dans sa globalité. Geertz présente deux perspectives selon lesquelles ces analyses doivent effectuées : du point de vue êmico, qui considère les sujets comme des êtres culturels en fonction du cadre théorique plus qu’en fonction de la compréhension du contexte ; du point de vue ético qui vise la compréhension du contexte à partir du point de vue de l’observé.

En ce qui concerne le travail proprement dit de l’appréhension des enregistrements, nous avons dû visionner de multiples fois ces supports filmiques avec des prises de notes, chaque fois plus ciblées. Grâce à la technologie numérique, il est possible d’indexer les segments afin de rendre les accès plus rapide. Il existe à ce jour de nombreux travaux sur le traitement des données audio-visuelles dont nous ne rendrons pas compte ici. Nous avons aussi procédé aux transcriptions avec le plus de détails possible mais en orientant celle par les questions de recherche que nous nous posons. La transcription se remplace pas la vidéographie mais elle sert de support à une analyse minutieuse (Gumperer, 1982). Enfin il s’agit de trouver des formes de représentation qui rendent à la fois traitables et communicables les informations produites, dans une thèse et au-delà à une communauté qui n’a pas accès direct au corpus d’images, afin de trouver des espaces de débats scientifiques propices à faire surgir les multiples interprétations, ce que nomme l’argumentation compétitive.

Le problème de base consiste à répondre à « comment » et « pourquoi » un individu s’engage dans des actions déterminées durant la résolution d’un problème de mathématique, par exemple, et comment ses actions (communication, gestualité, cognition) ont évolué durant l’activité.

L’étude ethnographique est extrêmement importante pour les analyses, au niveau micro, de situations de classe et d’école car elle permet de prendre en compte des points de détails que l’analyse, au niveau macro, n’autorise pas.

Dans le cadre de la didactique professionnelle, le contenu revêt une importance capitale, toutefois s’il est nécessaire, il est loin d’être suffisant pour expliciter la dynamique. Ainsi plus les aspects liés au contenu, à la méthodologie utilisée par l’enseignant sont pris en compte, plus les aspects plus généraux de la dynamique de la classe et de la dynamique de l’école seront considérés.

Nous avons choisi comme des contenus mathématiques d’enseignement, ceux qui portent sur la notion de fraction , sur celle d’exponentiation en CM2 de l’école élémentaire en France et au Brésil. Partant de là, notre objectif ne fut pas de comparer des pratiques mais bien d’apporter des données de terrain issues de la salle de classe. Chaque leçon a été considérée dans sa singularité. Dans l’analyse générale des leçons, nous avons aussi été attentive aux tentatives d’interrelations entre les contenus de différents domaines de connaissance dans le but d’identifier le degré d’approche par l’interdisciplinarité dans la salle de classe.

Notes
19.

Pinnacle Studio 8. Copyright 1998-2002. Pinnacle Systems Inc.