2.1. Les impacts des politiques éducatives sur le profil de formation des enseignants au Brésil et en France.

Autant au Brésil qu’en France, nous pouvons observer la mise en œuvre de processus de réformes successives dans les systèmes scolaires. Au Brésil, la dernière réforme de la loi de l’éducation a eu lieu dans l’année 1996 (LDB 9496/96) et progressivement elle a été réglementée par un ensemble de décrets, de circulaires et autres documents complémentaires comme le PCN, qui est une proposition de programme national. Les PCNs ont été élaborés pour chaque domaine d’enseignement visant à établir des paramètres nationaux pour le programme de l’éducation de base – Educação básica. Nous approfondirons cette discussion dans le sous-chapitre qui traite de la reformulation des programmes et du processus de formation des enseignant(e)s.

En France, le dernier code de l’éducation en vigueur a été promulgué en 1989 (loi° 89-486/1989), et a été l’objet de modifications par la loi de l’éducation et de programmes pour l’avenir de l’école de 2005. Actuellement, le système d’éducation scolaire français est régit par ces deux lois et par un ensemble de documents complémentaires que rendent viables le processus de réglementation.

L’élaboration des lois d’éducation dans chaque pays fait partie d’un processus plus large de réformes éducatives qui est issu des besoins émergents, soit dans le système d’éducation local, soit dans les différents secteurs de la société.

Le mouvement des réformes actuelles fait partie des ajustements structurels de la « société de la connaissance » et du processus de la mondialisation qui sollicite des systèmes scolaires, de nouvelles « compétences » en ce qui concerne la gestion de l’école, les financements et la co-responsabilité avec d’autres secteurs de la société (partenariats), en plus de nouvelles compétences d’action pour la pratique de salle de classe.

Ces changements curriculaires exigent aussi un nouveau profil d’enseignant(e) et des mutations dans leurs propositions de travail, car ces enseignant(e)s doivent matérialiser dans leurs pratiques pédagogiques ce qui a été pensé au niveau des politiques éducatives. L’absence de la prise en compte de ces exigences peut conduire à des formes de pénalités lors des évaluations nationales et internationales, générant parfois des processus de résistance. Selon Agnès Van Zanten(cité par Noël et Depover, 2005), ces réformes sont parfois planifiées dans des conditions peu favorables, ce qui rend difficile leur concrétisation et leur faisabilité dans les salles de classe, mettant en échec le travail des enseignant(e)s.

La première partie de notre travail de thèse avait consisté à expliciter le profil de la formation des enseignant(e)s présent dans les politiques internationales d’éducation tel que décrit dans les rapports internationaux (UNESCO, EURYDICE) et qui s’est matérialisé dans les lois de l’éducation au Brésil et en France.

L’identification de ce profil nous a permis de porter un regard différent sur l’organisation du travail de l’enseignant(e) en salle de classe. Cet aspect est central dans notre travail et nous a aidé à réfléchir sur les impacts de ces réformes. Nous discuterons ceci de façon plus approfondie plus loin dans le sous-chapitre 2.4 qui aborde la formation et la pratique des enseignant(e)s, les défis rencontrés et leur dépassements.

Maroy (2005) attire notre attention sur les changements prescrits dans les politiques de modernisation, qui modifient autant l’organisation des établissements d’enseignement que les activités des enseignant(e)s qui se complexifient de plus en plus.

Nous présentons dans les tableaux 13 et 14 les attributions des enseignant(e)s décrites dans les lois d’éducation en vigueur et dans les documents complémentaires au Brésil et en France. Nous partons des compétences générales décrites dans ces lois concernant le profil souhaité d’un enseignant en mettant un accent particulier sur le domaine des mathématiques qui nous exploiterons dans des observations de salle de classe.

Tableau 13 : Profil de formation exprimé dans les politiques d’éducation brésiliennes
Tableau 13 : Profil de formation exprimé dans les politiques d’éducation brésiliennes
Tableau 14 : Profil de formation exprimé dans les politiques d’éducation françaises
Tableau 14 : Profil de formation exprimé dans les politiques d’éducation françaises

Le tableauqui résume les attributions décrites dans les lois de l’éducation au Brésil, donne à voir les compétences concernant le profil de l’enseignant mais de façon très générale et ouverte. Cependant, les compétences générales décrites dans les PCNs et dans les documents spécifiques aux mathématiques expriment, d’une certaine manière, le sens des politiques de l’éducation élaborées au niveau mondial et sont comme des effets de ces dernières. Les exemples suivants illustrent la question de l’interdisciplinarité :

Exemple 1: interdisciplinarité
O trabalho de sala de aula deve extravasar as fronteiras do conhecimento
Le travail de salle de classe doit aller au –delà des frontières de la connaissance
Exemple 2 : interdisciplinarité
O tratamento da área e de seus conteúdos devem ser integrados a uma série de conhecimentos de diferentes disciplinas
Le traitement du domaine et de ses contenus doivent être intégrés à un ensemble de connaissances de différentes matières

Un autre élément qui apparaît dans les PCNs est la question des TIC et l’intégration (assimilation) des nouvelles valeurs sociales. Observons les exemples suivants :

Exemple 1 : TIC et intégration de nouvelles valeurs sociales
O professor deve estar preparado para lidar com as novas tecnologias e linguagens
L’enseignant doit être préparé pour faire face aux nouvelles technologies et langages
Exemple 2 : TIC et intégration de nouvelles valeurs sociales
O professor deve responder aos novos ritmos do processo educacional
L’enseignant doit répondre aux nouveaux rythmes du processus éducatif
Exemple 3 : TIC et intégration de nouvelles valeurs sociales
A noção de conteúdo escolar se amplia para além de fatos e conceitos, passando a incluir procedimentos, valores, normas e atitudes
La notion de contenu scolaire s’élargit et va au-delà de faits et de concepts en passant à inclure des procédures, des valeurs, des normes et des attitudes

Des six éléments listés dans le document général des PCNs, un seul est en rapport avec la question spécifique des contenus et de la didactique, les autres abordent des orientations générales de la philosophie des programmes ou encore des demandes issues de la société actuelle, comme dans le cas des technologies de l’information et de la communication, des nouveaux codes et langages. L’exemple suivant illustre bien ce principe :

O professor deve definir objetivos claros para as situações didáticas
L’enseignant doit définir des objectifs clairs pour les situations didactiques

Les prescriptions de la loi d’éducation en vigueur en France à partir de 1989 sur le profil de l’activité des enseignants est aussi très générale, comme nous pouvons observer dans l’exemple suivant : « les enseignants sont responsables d’une ensemble d’activités scolaires ». Cette donnée est aussi présente dans la circulaire n° 97-123/1997 qui traite du référentiel de compétences de formation des enseignants dans les IUFM. Cependant, il nous semble que dans la loi française, l’enseignant est plus appuyé par une équipe de spécialistes. L’exemple suivant illustre ce propos : « ils travaillent au sein des équipes pédagogiques constituées des enseignants et des spécialistes. » Dans le même sens, la responsabilité dans l’aide individualisée à l’élève est aussi présente dans la loi française. Nous ne voyons aucun item relatif à ce support dans la loi brésilienne.

La loi de l’éducation pour l’avenir de l’école de 2005 présente une ouverture à ces nouveaux éléments suggérés dans les curriculums mondiaux (voir l’exemple au tableau sur les compétences décrites au cahier de charges des IUFM pour la formation des enseignants et relatif à la maîtrise des technologies, de l’information et de la communication).

Maroy (2005) parle des constantes transformations que subissent les pays développés dans le processus de globalisation. Ces transformations sont relatives à une nouvelle économie du savoir confrontée à un nouveau contexte de compétition économique. Pour cela, quelques conditions semblent s’imposer à la société comme le développement du niveau général de compétences de la population active, l’efficacité et l’efficience des systèmes d’éducation et de formation (adéquations et qualifications). Ces conditions sont aussi imposées aux institutions éducatives.

À partir des analyses des documents cités, nous avons constaté que, dans les textes généraux de l’éducation, il y a une prédominance des compétences considérées comme traditionnelles. Cependant, dans les textes complémentaires à la loi, comme les PCNs au Brésil et le cahier des charges pour la formation des enseignants en France, nous observons quelques spécificités apparaître notamment celles liées aux nouvelles technologies de l’information et l’innovation.

Cortesão et Stephen (2002) en analysant les impacts de la globalisation dans le contexte portugais, attirent l’attention sur les conséquences du processus de globalisation. Ils observent que celles-ci présentent un processus de transnationalisation de politiques éducatives. Notre analyse des textes officiels français et brésiliens va dans le sens de cette remarque. Dans cette perspective, Santos (2002) fait référence aussi aux « globalismes locaux » pour désigner les pressions externes pour l’élaboration des programmes selon un monde qui se modernise.

Ces pressions modifient, de façon substantielle, la structuration des systèmes éducatifs au niveau des politiques d’éducation, la structuration des programmes et l’établissement des compétences générales de base. Celles-ci sont contrôlées par des évaluations internationales comme par exemple PISA (2006). Ainsi, élargir notre regard au-delà de l’école rend possible une meilleure compréhension de ses réels problèmes.