2.5.2.1. Les enseignantes

Les enseignant(e)s des cours observés n’ont pas les mêmes formations initiales . Les enseignantes observées au Brésil sont issues :

  • de l’équivalent de l’école normale primaire en France,
  • d’un niveau Bac + 4 ( licenciatura) en Mathématiques ; en Lettres, ou en Pédagogie

En France, l’enseignante observée a été formée dans le cours de formation de maîtres à l’IUFM. Nous pouvons déjà annoncer que le premier élément d’observation peut être l’effet de la formation sur la nature des activités menées en salle de classe. Par exemple, l’enseignant(e) A de formation en Lettres au Brésil commence son cours en analysant des fragments d’un poème ; les enseignant(e)s E et F qui possèdent une licence en mathématiques, proposent des contenus des mathématiques de façon plus approfondie et pas seulement comme un accessoire comme dans le cas de la première enseignant(e) ici citée. Nous anticipons déjà l’influence de la formation pour le développement pédagogique des concepts scientifiques spécifiques de chaque discipline. Nous anticipons encore que parfois l’interdisciplinarité conduit à négliger certaines disciplines qui deviennent accessoires dans des activités proposées. Nous avons observé ainsi les contradictions liées à la polyvalence du professeur des écoles et à la spécificité de la formation initiale autant au Brésil qu’en France.

Dans l’actualité de la pratique enseignante, la polyvalence est sollicitée de plus en plus comme une caractéristique de la nouvelle professionnalité, demandée par un modèle industrielle d’efficacité. Acioly-Régnier et Monin (2008) identifient des chocs entre une spécialisation universitaire dans la formation des enseignant(e)s et une demande institutionnelle de polyvalence dans leurs pratiques professionnelles. En illustrant avec un exemple de recherche concernant la didactique professionnelle pour la formation des enseignant(e)s, ces auteures montrent les difficultés présentées par un stagiaire professeur des écoles, dont la formation initiale était en mathématiques, pour mener une séquence didactique de géographie. Elles commentent aussi, à partir de l’analyse des pratiques pédagogiques de ce même stagiaire, l’apparition de nouveaux schèmes plus larges et plus flexibles lors d’une mise en pratique d’une séquence didactique en technologie. Ici, des concepts scientifiques et mathématiques ont été convoqués de façon aisée, révélant des aspects d’une polyvalence ou d’une interdisciplinarité suggérées dans des politiques des réformes éducatives. Cependant, il paraît, dans ce cas, que le stagiaire a pu convoquer des concepts d’autres matières quand l’activité était ancrée dans un domaine familier. Dans des cours observés dans la recherche actuelle, nous avons pu observer le même type de phénomène dans les pratiques de salles de classe.

En considérant que le regard (dans le sens ethnographique) est nécessaire mais non suffisant pour expliciter la complexité de la salle de classe, nous avons aussi réalisé des entretiens avec les enseignantes aussitôt après les cours pour connaître les difficultés ressenties par celles-ci concernant leurs pratiques. Nous présentons ensuite quelques fragments de ces entretiens.

Tableau 25 :Extrait de l’entretien Enseignante BBrésil
Enseignante B

“On travaille avec l’évaluation continue. Dans l’évaluation continue on n’attribue pas une note, on travaille avec des rapports mais je ne suis pas habituée avec cette façon de faire de rapports, il faut évaluer l’élève tant au niveau de l’écrit qu’au niveau de l’oral, la participation de l’élève, son niveau de l’autonomie …Il y a eu un changement dans la loi concernant les cycles, je crois que c’est mieux comme ça, on se sent plus proche de nos élèves »
“Je n’ai pas encore une position ferme sur les mathématiques dans cette classe. Je travaille surtout au niveau de la lecture et de l’écriture ; en mathématiques j’observe déjà beaucoup des difficultés concernant les tables … »
“Actuellement, on dit qu’il ne faut plus utiliser des tables, et qu’il s’agit plutôt des opérations mathématiques qui sont une manière de développer les mathématiques par le biais de jeux etc. Mais, moi, je continue à faire faire des calculs, il faut savoir résoudre une opération d’addition, soustraction … »
Professora B

“A gente trabalha com avaliação continua; Avaliação continua não tem nota, a gente trabalha com relatórios, ainda não me acostumei com o relatório ,você tem que avaliar o aluno desde a escrita, a oral, participação do aluno, nível de autonomia...”
Foi uma mudança nova na lei a questão de ciclo, eu acho melhor, você fica mais perto do aluno”
“Eu ainda não tenho uma posição sobre a matemática nesta turma, venho trabalhando mais a questão da leitura e da escrita, em matemática eu vejo muita dificuldade na questão de tabuada”
“Hoje em dia dizem que a gente não usa mais tabuada, agora são as questões das operações matemáticas que é uma maneira de desenvolver a matemática através de jogos, mas eu também costumo desenvolver conta mesmo, saber resolver uma operação de adição, subtração...”

L’enseignante B montre ainsi une certaine connaissance des modifications qui ont lieu dans le domaine de l’enseignement des mathématiques et des instructions officielles. Cependant, elle préfère maintenir une posture traditionnelle concernant ses pratiques pédagogiques. Sa façon de concevoir les réformes semble être encore loin de se concrétiser dans sa pratique.

Tableau 26 : .Extrait de l’entretien Enseignante CBrésil
Enseignante C

“La classe est très hétérogène : nous avons des élèves qui travaillent commevendeur sur les marchés, ils ne sont même pas alphabétisés car ils sont souvent absents pour des besoins du travail.
Professora C

“ A turma é muito ecléctica tem um aluno na turma que trabalha como “camelô” ele não esta alfabetizado perde muita aula para trabalhar”

En analysant ce fragment, nous pouvons identifier qu’il y a un idéal de l’élève qui doit fréquenter l’école. Elle apprécie l’élève idéalisé et l’habitus conforme, et dénonce l’hétérogénéité des élèves. Dans la perspective de Bourdieu et Passeron (cité par Acioly-Régnier et Monin, 2008) l’habitus est une structure « structurante » qui organise les pratiques et la perception des pratiques, mais il s’agit aussi d’une structure « structurée ». Il est ainsi soumis à l’expérience et transformé par cette même expérience. Dans cette perspective, les enseignant(e)s sont des agents sociaux formatés par l’habitus culturel de l’école qui développe les schèmes perceptifs particuliers définissant leur relation avec l’institution, l’élève et l’école.

Tableau 27 : .Extrait de l’entretien Enseignante E Brésil
Enseignante E

“Les élèves ont des difficultés en interpréter des situations mathématiques. Parfois ils savent faire, mais ils ne comprennent pas le langage mathématique et quand ils arrivent en 6 ème ils ont des difficultés. Certains ont des problèmes de base concernant les algorithmes, mais cette difficulté me paraît plus facile de travailler avec eux. C’est l’interprétation qui pose un vrai problème car s’ils n’arrivent pas à comprendre et peuvent créer des vrais blocages. Comme ils interprètent mal, ils font par conséquent des calculs erronés.
Professora E

“Os alunos tem dificuldades em interpretar as situações matemáticas”
“As vezes eles sabem fazer, mas não conseguem compreender a linguagem matemática, quando chegam na 5
a série tem dificuldades”
“Alguns tem dificuldades básicas de algoritmos, mas isto é mais fácil de conseguir, agora a interpretação não, se eles não conseguem, criam dois bloqueios, eles não interpretam e consequentemente fazem os cálculos errados”
Tableau 28 : .Extrait de l’entretien Enseignante GFrance
Enseignante G

“Je travaille souvent avec des situations de recherche en salle de classe et ensuite avec un exercice d’application et seulement après on revient au cours. C’est comme ça, je travaille de façon individuelle pour ensuite faire une comparaison avec le groupe … »

Nous observons ici, la présence d’un rituel dans la façon de procéder dans la salle de classe. Ce rituel obéit relativement aux instructions officielles. Cependant, nous pensons que cette « obéissance» peut être due aussi aux procédures d’évaluation des enseignant(e)s qui semblent enlever un peu de leur liberté pédagogique. Nous observons surtout une préoccupation avec les programmes et les « Instructions Officielles » en détriment d’une compétence réflexive. Ainsi pour que l’enseignant(e) soit perçu(e) comme compétent(e), il abandonne des pratiques innovantes pour se soumettre à des « recettes » établies par un consensus professionnel. Si, par exemple, on fait référence au socle commun de connaissances en France, nous mettons en évidence que les compétences identifiées apparaissent plutôt comme une nécessité pratique de reconnaissance des compétences du point de vue européen que des besoins concrets de l’école.

Nous pouvons identifier aussi dans le fragment ci-dessus, que l’enseignante connaît les exigences imposées par les politiques éducatives en ayant conscience des implications des processus d’évaluation sur sa pratique pédagogique. Ceci peut conduire à des schèmes d’action qui évitent les changements et apparaissent plutôt comme des stéréotypes mais en assurant une évaluation positive et le maintien de leur emploi.