2.5.4. L’approche pédagogique des savoirs spécifiques en salle de classe : l’enseignante G

À partir de cette analyse des éléments contextuels plus généraux, nous présenterons dans ce sous-chapitre, un cours de mathématiques sur le concept de fraction dans une classe de CM2 en France. L’analyse de l’organisation du travail pédagogique et l’approche pédagogique des savoirs en salle de classe (Freitas 2000, Frutuoso 2002) nous servira de fil conducteur à la réflexion sur les impacts des reformes éducatives sur les pratiques enseignantes.

La consigne donnée initialement a été la suivante :

Enseignante G
13 tartelettes sont à partager équitablement entre 4 personnes.
Quelle sera la part de chaque personne ?
Figure 17
Figure 17 : Situation-problème proposée aux élèves

Avant de communiquer aux élèves cette activité avec un support papier, l’enseignante a donné quelques directives sur les procédures à suivre :

Enseignante G : « Alors les enfants je vais vous distribuer une petite feuille, sur laquelle sont dessinées des petites tartelettes, d’accord ? En dessous des personnages il va falloir distribuer la même part de tartelettes pour quatre personnage. C’est bon ? ».

L’enseignante lève la feuille où sont écrites les consignes et la situation-problème pour s’assurer que tous les élèves suivaient les consignes données oralement. Puis, elle continue à donner plus de détails sur l’activité :

Enseignante G : donc vous dessinez …, vous faites vos recherches ici et vous donnez vous réponses dans la petite case un bas. (Figure 15 : modèle d’activité proposé aux élèves)

Pendant l’explication de l’enseignante, un élève demande :

Élève 1 : on a le droit de avoir des restes ?
Enseignante G : tout doit être partagé et chaque personne doit avoir la même part. D’accord ?
Élève 2 : on peut dessiner sur le cahier de brouillons ?
Enseignante G : Non ! Faites vos recherches ici ».

Elle désigne l’emplacement sur la feuille. Une autre élève lève le doit

Enseignante G  : Oui
Élève 3 : mais est-ce qu’on met plusieurs…
Enseignante G  : je n’entends pas, pardons «Elève 3 »

Geste de la main dans la direction de « Elève Y »

 Elève 3 : S’il y a plusieurs parts, est ce qu’on va relier les personnages avec les parts ?
Enseignante G: Alors vous faîtes un peut de couleur, vous faîtes ce que vous voulez, mais je veux savoir combien aura cette personne,…Enfin chaque personne aura la même part , d’accord ?c’est la seule consigne. Il faut partager équitablement toutes les tartelettes et pas de reste, d’accord ?

L’enseignante regarde la classe dans une tentative de se rassurer s’ils ont tous bien compris les consignes (regard qui balaye le groupe, attente de questions). Elle commence à circuler dans la salle en se mettant à la disposition des élèves pour les aider. À partir des fragments de dialogues entre l’enseignante et les élèves, nous avons pu identifier l’importance de la préparation de l’activité pour la pratique pédagogique. Cela nous renvoie à Vergnaud (2007) qui attire l’attention sur la nécessité de clarifier l’objectif de l’activité en mettant l’accent sur l’importance des processus interactifs dans la salle de classe et de l’importance du langage dans ce processus de médiation. (Vygotski cité par Vergnaud, 1994).

Nous avons pu observer à partir des dialogues entre les élèves et l’enseignante que certains élèves n’ont pas pu commencer à travailler avant de clarifier leurs doutes concernant l’activité elle-même. Vergnaud (2007) remarque l’importance de la prise d’information sur le développement de l’activité. Cette prise d’information peut avoir lieu à partir de différents gestes, informations perceptives ou langagières et enfin par le dialogue dans toutes ses manifestations. La situation de la figure 18 présente les procédures évoqués pour la résolution du problème mais aussi certaines difficultés de cet élève face à une situation-problème qui relève des structures multiplicatives dans le cadre de la théorie des champs conceptuels. Il ne nous semble pas pertinent ici d’aller plus loin dans l’exploitation fine des possibles schèmes et des niveaux de conceptualisation possibles d’être inférés dans cette activité. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

Figure 18 : Résolution du problème par l’élève A
Figure 18 : Résolution du problème par l’élève A

Nous pouvons observer ici que la présentation spatiale des tartelettes sur le papier peut constituer une aide au partage par quatre de trois ensembles, en restant une unité qui doit être partagé encore une fois en quatre parties « équitables ». La réponse est donnée en langage naturelle et non représentée en langage mathématique. Les consignes semblent produire autant des aides à la conceptualisation mathématique que des obstacles à une conceptualisation plus élevée. Nous parlons ici d’obstacle d’origine didactique ou pédagogique.

L’enseignement de fractions, est fréquemment introduit à l’école primaire comme une idée de partie-tout. Cette stratégie pédagogique induit certains obstacles car les situations ne font toujours pas sens pour les élèves. Il s’agit, dans la plupart des cas, des situations présentées par des figures représentant un tout qui doit être divisé en des parties « équitables ». Dans ce contexte, on demande souvent de colorier certaines de ces parties qui vont représenter le numérateur, en représentant le dénominateur par le nombre de parties dans lequel le tout a été divisé.

Un autre obstacle semble découler de la représentation construite par l’élève du concept de nombre et des attentes scolaires d’une « production conforme ». à l’école primaire, l’écriture classique des fractions est attendue comme deux nombres qui se superposent et qui sont divisés par un segment de droite. Cette représentation d’un nombre déstabilise les schèmes habituels des élèves, mais aussi ceux des certains enseignant(e)s. Face à la déstabilisation, l’enseignant(e) peut proposer des nouvelles situations d’étayage et de défis ou rester dans la stabilité d’un niveau de conceptualisation moins élevé.

Dans la production de l’élève de la figure 18, la réponse est donnée en langage naturelle. Ceci peut révéler un obstacle dans le traitement avec des signifiants mathématiques, ou alors être une réponse à la demande classique de l’école concernant les problèmes mathématiques, dont la résolution implique un calcul et ensuite une réponse en langage naturel. Cependant la présence des traces écrites montrent d’autres possibilités de représenter le concepts, en élargissant l’ensemble des signifiants.

Du côté de l’enseignante, il s’agit de voir si la situation proposée était effectivement pensée et réfléchie comme une progression des obstacles ou encore tout simplement la reproduction d’une séquence didactique classique rencontrée dans des manuels scolaires. Il s’agit, pour elle, d’être une simple exécutante d’une activité ou alors de comprendre finement la situation proposée et d’anticiper les obstacles des élèves pour des relances éventuelles et personnalisées ? Dans les deux situations, nous observons les impacts des réformes éducatives qui privilégient certains courants d’enseignement-apprentissage.

Dans l’observation de la pratique pédagogique elle-même, nous avons observé une certaine fragmentation dans la façon de penser l’activité, même si l’énoncé faisait référence à une situation plausible de la vie quotidienne. Nous n’avons pas identifié des prises d’information explicites sur la production des élèves, conduisant à des modifications de l’activité. Nous observons encore chez l’enseignante l’évocation des schèmes anciens pour le traitement de l’activité et un évitement de situations pouvant les déstabiliser, ce qui l’obligerait à construire de nouveaux schèmes ou alors à modifier les déjà existants.

Observons une autre production individuelle d’un élève pour la même situation-problème :

Figure 19 : Résolution du problème par l’élève B
Figure 19 : Résolution du problème par l’élève B

Dans cette production écrite, nous observons des traces de deux types de tentative de résolution : la première qui utilisait les ronds qui représentaient les tartelettes et une deuxième qui a consisté à dessiner les tartelettes à côté de chaque personnage. La première tentative a été abandonnée et transformée. Nous pouvons attribuer à des schèmes d’action plus efficaces par l’utilisation des signes plus facilement manipulables. Il en résulte que cet élève arrive à la bonne réponse avec trois entiers et une partie. Cependant, cette réponse ne se traduit pas en une réponse en langage naturel. Peut-on comparer les deux types de performance et inférer les niveaux de conceptualisation ? De façon apparente, les deux productions révèlent d’un même niveau de conceptualisation, ou chaque personne doit recevoir trois tartelettes et une partie. Dans la figure 18, la tartelette divisée en quatre parties peut faire penser à un niveau plus élevé de conceptualisation, mais nous considérons comme des représentations différentes d’un même niveau. Cependant et pour revenir à l’interconnexion des concepts et à l’interdisciplinarité, nous n’avons pas observé des relances concernant le langage et à la difficulté du dernier élève à représenter par écrit sa pensée.

Concernant les spécificités des productions écrites, la figure 20 semble montrer une conception erronée du problème. Dans ce cas le personnage rouge devrait recevoir seulement ¼.de tartelette. Une lecture plus attentive de la production associée à des observations dans la salle de classe semble indiquer seulement un abandon de l’activité, une fois qu’il avait eu la réponse. Il s’agit ainsi d’une compréhension qui n’a pas aboutit jusqu’à la réponse en langage naturel demandée par la consigne.

Figure 20 : Résolution du problème par l’élève C
Figure 20 : Résolution du problème par l’élève C

D’une manière générale, seulement 7 élèves parmi 22 ont réussi à accomplir l’activité en utilisant les trois types de signifiants (dessin, texte et langage mathématique formel°).

Cette même situation a été posée, dans un second moment, en travail de groupe. Dans ce cas, l’activité a été développée dans un climat d’interactions multiples et nous avons eu des difficultés pour retranscrire, de façon fidèle, toutes les interactions. Nous utiliserons ainsi des images pour rendre compte des scènes observées dont les interactions seront reconstituées par le biais de prise de notes immédiatement après la vidéographie.