2.6.1. Analyse de situations et interdisciplinarité.

Nous allons ici aborder, par l’analyse, des situations où l’action des enseignantes semble inhiber un contenu qui aurait pu rendre possible une pratique pédagogique interdisciplinaire. Observons ci-dessous quelques éléments d’un cours de l’ enseignante B. Elle commence son cours avec la prière « Notre Père », en faisant ensuite la correction du devoir de géographie que les élèves avaient fait à la maison. Toute suite après, elle sollicite que les élèves ouvrent leur livre de mathématiques à la page 9. (Voir texte fig. 28.)

Figure 28 : Texte
Figure 28 : Texte

Un des élèves pose la question :

Maîtresse, où se trouve la mathématique dans ce livre ? Professora cadê a matemática neste livro ?

Pour cet élève, les mathématiques ne peuvent pas être exprimées par un texte. L’enseignante demande qu’ils lisent le texte à voix haute en sollicitant ensuite qu’ils répondent à l’activité proposée sur la notion de quantité. Cette donnée nous aide à comprendre les processus de changement auxquels sont confrontés les acteurs du système éducatif. Il s’agit de conflits de valeurs, de sens, des attentes et des associations des concepts ou des champs disciplinaires à une seule forme de représentation. Le changement observé dans des manuels scolaires brésiliens qui présentent plusieurs manières de représenter et de travailler les concepts semblent troubler autant les enseignantes que les élèves.

Le texte présenté ci-dessus (figure 28) rendait possible des interrelations entre les contenus disciplinaires de la langue portugaise (exploration des aspects grammaticaux, orthographiques, littéraires) et la problématisation impliquant des concepts mathématiques (développement du concept de nombre) et une exploitation de l’environnement naturel et même esthétique. La prise en compte de cette situation de forme interdisciplinaire aurait pu promouvoir une dynamique différente dans le cours par le travail des concepts en étroite connexion et de façon contextualisée.

Le cours de cette enseignante obéit des rituels de pratiques prototypiques à l’école primaire au Brésil et identifiés dans un travail précèdent (Frutuoso, 2002), tels que : correction de devoirs faits à la maison, cours magistral sur un nouveau concept, activité en salle de classe, correction de cette activité et enfin la proposition d’un nouveau devoir pour la maison.

Observons à suivre quelques éléments du cours donné par l’ enseignante D. Il s’agit d’un cours de mathématiques sur le contenu d’ordre et de classe. Au début du cours, l’enseignante salue les élèves et annonce qu’elle va travailler les contenus de portugais et de mathématique, en posant ensuite la question :

Enseignante D : quelle est la différence entre ordre et classes ? Qui se souvient ? Professora D : Qual é a diferença entre ordem e classes ? Quem lembra ?

Les élèves ne répondent pas. Elle écrit alors au tableau le nombre 126 en disant :

Enseignante D : Regardez bien, si j’agroupe les trois ordres je forme une classe Professora D : vejam, se junto 3 ordens formo uma classe

Elle dessine le tableau ci-dessous

Tableau 30 : QLV ( à expliciter) table de valeurs numériques
3ème Classe : Millions 2ème Classe : Milliers 1èmeClasse : Unités simples
C D U C D U C D U
            1 2 6

L’enseignante a écrit ensuite au tableau plusieurs exemples avec des indicateurs de quantités en demandant aux élèves de les placer correctement au tableau.

Observons les questions posées par l’enseignante :

Enseignante D :
Quel est le diamètre de la lune ?
Quelle est la vitesse de la lumière ?
Quelle est l’extension du Brésil ?
Combien d’enfants naissent chaque jour dans le monde entier ?
Professora D 
Qual é o diâmetro da lua?
Qual é a velocidade da luz?
Qual é a área do Brasil?
Qual é a população do Brasil?
Quantas crianças nascem num dia no mundo
todo ?

L’enseignante a écrit quelques réponses et a entamé un dialogue avec les élèves comme une façon d’exposer le contenu du cours. Ensuite elle a invité quelques élèves au tableau pour répondre par écrit les réponses numériques suivantes sur la table de valeurs numériques

Figure 29 :
Figure 29 ::l’élève résout le problème au tableau

Dans une deuxième phase, les élèves reçoivent des questions de la même nature sur chaque cahier. Elle corrige les réponses en passant à côté de chaque élève en observant les réponses pour leur demander ensuite d’écrire leurs réponses au tableau noir.

Les situations présentées dans ce cours offrent des éléments importants pour un travail interdisciplinaire avec les contenus de la géographie et des mathématiques. Cependant, l’observation de la manière comme cette enseignante conduit son cours montre que son objectif principal a été le travail de la table de positions de valeurs (quadro de valor de lugar QVL) . Elle n’apporte aucun élément du contexte extra-mathématique censée donner du sens aux valeurs travaillées.

Elle aurait pu, par exemple, situer Brasilia comme la capitale du Brésil, fondée en 1960, en étant dans cette ville que sont concentrées toutes les décisions politiques du pays, etc. Rappelons encore qu’au début du cours elle a annoncé qu’ils allaient travailler les mathématiques et le portugais. Nous pouvons observer qu’aucune référence n’est faite aux contenus de la langue dans le fragment présenté. De même, la situation sur le taux de naissance des enfants dans le monde, aurait pu être accompagnée d’autres éléments contextuels pour enrichir le sens des nombres écrits, comme par exemple identifier l’indicateur de développement d’un pays au travers le taux de natalité et de mortalité infantile.

Nous avons analysé les situations présentées ici à partir des catégories crées dans un travail précédent (Frutuoso, 2002)

  1. procédures de recherche pédagogique des élèves (participation aux activités proposées, réponse aux questions posées par l’enseignante par la résolution de problèmes sur le QVL au tableau ou dans le cahier individuel ;
  2. organisation de la connaissance par les élèves (par le biais de la copie du tableau, procédures d’écriture, réalisation des activités en rapport avec le contenu étudié)
  3. évaluation (correction de l’activité proposée)

Ces deux fragments ont eu pour but celui d’illustrer la façon d’aborder les connaissances mathématiques dans l’enseignement primaire au Brésil, dans une classe de CM2. Nous observons la fragmentation de la connaissance, qui est maintenue avec le travail des concepts isolées, malgré l’interdisciplinarité apparente des situations proposées et les objectifs annoncés par les enseignantes. L’impact des réformes semble alors avoir un impact de surface. Il s’agit d’une recommandation des Paramètres Curriculaires au Brésil, que les enseignant(e)s connaissent Dans cette perspective, les mathématiques se constituent comme une discipline dynamique, dont le traitement implique une intégration avec une série de connaissances et de savoirs de différentes disciplines.

Nous présenterons maintenant des fragments d’un cours de l’ enseignante E, d’une classe équivalente au CM2 d’une école privée au Brésil. Nous rappelons que le système d’enseignement privé au Brésil, dispose, en principe, d’une meilleure structure physique et matérielle car elle est financée par les parents par des prestations souvent très élevées pouvant largement dépasser des multiples du salaire minimum brésilien. Les élèves qui fréquentent ces écoles sont pour la plus part issue de classes sociales les plus privilégiées du point de vueéconomique. Ils sont aussi mieux préparés pour les examens nationaux que les élèves des écoles publics qui se confrontent à des problèmes socio-économiques plus importants.

Dans ce contexte, les enseignant(e)s sont très contrôlé(e)s par les parents et par l’école et doivent répondre d’une manière satisfaisante à leurs exigences. Nous ne voulons pas dire ici que les enfants des écoles privées sont plus « intelligents » et que les enseignant(e)s sont plus performants, mais surtout qu’ils disposent de conditions privilégiées et que les écoles reçoivent une « clientèle » avec des problèmes sociaux moins importants. Ces éléments contextuels nous semblent importants pour guider notre regard sur le prochain fragment présenté et analysé.

Dans ce cours notre attention a été centrée notamment sur la dynamique de la salle de classe et la relation professeur-élève-connaissance.

Au début du cours, l’enseignante a mis sous quelques tables, de situations-problème que les élèves devraient trouver et ensuite essayer de les résoudre.

Problème 1
Un homme vient de faire un voyage de Rio de Janeiro à Salvador en 4 jours. Il a passé 4 jours en voyage. Pendant ce temps il a roulé en tout (dans les 4 jours) 1692 Km, en parcourrant la même distance à chaque jour. Combien de Km il a roulé par jour ?
Problema 1
Um senhor acabou de fazer uma viagem do Rio de Janeiro à Salvador em 4 dias, ele passou 4 dias viajando. Na viagem ele rodou ao todo, nos 4 dias, 1692 km, percorrendo a mesma distância cada dia. Quantos Km ele rodou por dia ?
Problème 2
Un bus était bondé avec 88 passagers, plusieurs passagers voyageaient debout. Au premier arrêt, 14 passagers sont descendus et 23 sont montés. Au deuxième arrêt, 45 sont descendus et 32 sont montés. Ensuite le bus est tombé en panne. Combien de passagers étaient dans le bus à ce moment là ? Quelles sont les opérations ou l’opération qu’on doit effectuer ?
Problema 2:
Um ônibus ia lotado com 88 passageiros , muitos em pé, na primeira parada desceram 14 passageiros e subiram 23, na segunda desceram 45 e subiram 32, depois disto o ônibus quebrou. Quantos passageiros estavam no ônibus ? Quais são as operações ou a operação que devemos fazer ?

L’enseignante a demandé aux élèves de lire ces deux énoncés et de résoudre les problèmes posés dans les deux situations. Nous n’allons pas rentrer dans les détails de la résolution des problèmes en attirant l’attention seulement sur les aspects plus généraux de la pratique pédagogique de cette enseignante. La phrase suivante semble illustrer les principes de sa pratique pédagogique :

Elle dit :

« Vous savez quel est l’objectif de cette activité ? Prêtez bien attention » (…) D’habitude, quand on doit résoudre un problème, on sait faire l’addition, soustraction, multiplication, mais on n’arrive pas à le résoudre. Je vais alors vous poser des questions plus difficiles. » “Vocês sabem qual é o objetivo desta atividade ? Preste atenção!” (...) “Muitas vezes a gente vai resolver um problema, a gente sabe fazer adição, subtração, multiplicação , mas a gente não consegue resolver. Eu vou fazer outras questões mais difíceis”.

Après la résolution de ces deux situations-problème, l’enseignante présente un autre contenu mathématique : exponentiation. Observons dans la figure 29 la façon comment l’enseignante présente ce concept.

Figure 30 :
Figure 30 ::présentation de la situation-problème

En disant aux élèves de regarder le bonhomme dessiné au tableau elle explique :

Aujourd’hui on va travailler un nouveau contenu qui s’appelle exponentiation, mais avant on doit réfléchir à ce garçon ici (en référence au dessin). Comme il est assez affaibli, l’enseignante d’éducation physique et sportive lui a proposé le défi suivant :
Regarde bien, mon garçon, tu as besoin de faire quelques exercices physiques pour devenir plus fort, tu es très sédentaire et tu as besoin de travailler ton corps.
“hoje agente vai trabalhar um novo conteúdo que se chama potenciação, mas antes a gente vai pensar neste rapaz aqui forte”, se referindo ao desenho: “como ele está muito debilitado a professora de educação física fez um desafio para ele:
Olha, seu fulaninho, você vai precisar fazer alguns exercícios para que você tenha mais vigor físico, você está muito sedentário, precisa exercitar seu corpo.

L’enseignante a proposé ainsi l’activité suivante : il devait faire deux tours du gymnase dans la première semaine, dans la deuxième, 2.2 et dans la troisième 2.2.2 et enfin dans la quatrième 2.2.2.2.

Elle continue l’explication :

Prêtez bien attention ! Pour se calculer des multiplications avec des exposantes égaux, il y a une autre procédure dénommée exponentiation. C’est exactement ce contenu qu’on va travailler. C’est pareil d’utiliser le signe de multiplication ou le point, c’est lamême chose (…) Ceci signifie : quand je dis qu’il a fait deux fois le tour du gymnase dans la première semaine, et dans la deuxième il a fait 2.2, je peux représenter cette multiplication sous la forme d’un exposant, d’une puissance. Ceci signifie qu’il s’agit de facteurs égales. » Prestem atenção! Para se calcular multiplicações com fatores iguais existe um outro processo chamado potenciação que é justamente isto que a gente vai trabalhar. Tanto faz usar o sinal de multiplicação como um ponto é a mesma coisa. (...) Isto significa.. “Quando eu disse que ele deu duas voltas na primeira semana, e na segunda deu 2.2 eu posso representar esta multiplicação em forma de potência. Isto significa que eu tenho aqui fatores iguais”
Figure 31 :: cours sur l’exponentiation
Figure 31 :: cours sur l’exponentiation

L’enseignante continue :

Combien de fois j’ai répété cet indice ?” (…) Les mathématiques possèdent leur propre langage. Nous allons observer ce nombre, je peux l’appeler 2 élevé à 2 ou encore 2 au carré. Ici j’ai une puissance (…) ce nombre ici, le facteur de la multiplication, je l’appelle base de la puissance et le petit numéro ici indique combien de fois je l’ai répété ; J’ai multiplié ce nombre , je l’appelle un exposant.  Quantas vezes eu repeti este fator ?” (...) “A matemática têm sua própria linguagem vamos observar este numero, eu posso chamar este número 2 elevado a 2 ou 2 ao quadrado. Aqui eu tenho uma potência”(...)“Este número aqui o fator da multiplicação eu chamo de base da potência e o número pequeno indica quantas vezes eu repeti, eu multipliquei este número eu chamo de expoente”.

L’enseignante renforce l’explication :

« La base est le facteur et l’exposant indique combien de fois il a été multiplié. Y a t il des doutes ? Tout le monde a compris qu’est-ce qu’une puissance ? » A base é o fator e o expoente indica quantas vezes ele foi multiplicado. Alguém têm duvida ? Entenderam o que é uma potência ?”

Elle continue :

Pour comprendre l’exponentiation, il faut de connaissances de multiplication. Ceux qui ne connaissent pas les tables de multiplication ont besoin d’apprendre potência exige conhecimento de multiplicação, quem não têm habilidades com a tabuada precisa aprender

Un des élèves demande :

Jusqu’à quel nombre peut-on trouver un exposant ?  Até que número pode ser expoente ?

L’enseignant et répond :

Jusqu’à l’infini, ainsi que la base. N’importe quel numéro peut être exposant, dès qu’il indique combien de fois la base doit être multipliée.  infinito, a base também, qualquer número pode ser expoente, desde que ele indique quantas vezes está sendo multiplicado

L’enseignante a rendu une copie pour que les élèves répondent, elle a lu à voix haute l’énoncé de l’activité aux élèves en expliquant les consignes pour demander ensuite que les élèves commencent le processus de résolution.

Figure 32 : activité mathématique sur l’exponentiation
Figure 32 : activité mathématique sur l’exponentiation

Après avoir donné des consignes décrites précédemment, elle a rajouté que les élèves pouvaient lever la main s’ils éprouvaient des difficultés. Certains élèves font signe à l’enseignante qui se déplace jusqu’à leurs tables.

En reprenant quelques éléments d’analyse pour mieux comprendre ce cours nous observons les catégories suivantes :

  1. procédures de recherche pédagogique des élèves
  2. lecture, compréhension et résolution des problèmes mathématiques ;
  3. organisation de la connaissance par les élèves par le biais des activités écrites sur leur cahier.

L’évaluation des connaissances développées par les élèves a été faite par l’enseignante au travers une activité sur le contenu de exponentiation.

En analysant, d’une manière générale, les cours des enseignantes B, D et E nous pouvons constater que le niveau de participation des élèves et les activités proposées ont été de nature très différente. Cependant, face à la diversité de procédures, nous observons que l’interrelation entre les plusieurs domaines de connaissances n’a pas eu lieu.

Mais quels sont les éléments qui semblent différencier le cours de l’école privée de ceux des écoles publics ? S’agit-il de la manière d’organiser le cours ? Nous avons constaté qu’il y a eu une préparation un peu particulière de l’enseignante de l’école privée pour présenter les concepts mathématiques. Les problèmes présentées impliquaient parfois un jeu, une discussion entre les pairs et différentes façons de présenter le concept. Nous pensons que l’enseignante en tant que médiatrice du processus d’enseignement-apprentissage a pu contribuer dans l’organisation de l’activité des lèves pour faire émerger des concepts et théorèmes et que, dans ce cas, l’organisation de l’activité a été un élément différenciateur. (Vergnaud, 2007)

Du côté des similitudes, nous pouvons constater un élément commun dans des pratiques pédagogiques observées en France et au Brésil. Il s’agit du rapport aux savoirs mathématiques et à leurs formes de transmission en salle de classe. Ces savoirs apparaissent encore pris de façon isolée par les enseignantes comme nous l’avons déjà constaté en recherche antérieure (Frutuoso, 2002). Ceci semble vrai même quand les conditions matérielles et les connaissances de l’importance d’un travail interdisciplinaire se trouvaient présentes autant dans certaines conditions concrètes de matérialisation d’un travail de cette nature que dans les discours des enseignant(e)s.