3- La polysémie du concept de sida

Communiquer sur un concept nécessite que les protagonistes se mettent d’accord sur le contenu accordé à ce concept. Or, il nous est apparu que le concept de sida est différemment perçu par les acteurs de la communication au Cameroun. Pour les officiels, il renvoie à la positivité du test et aux maladies dites opportunistes, tandis que pour les chercheurs dits « dissidents », la positivité du test, n’a aucune signification (le sida n’étant pas, selon eux, le fait du vih). Pour certains acteurs, le sida est une maladie inventée par les Blancs pour nuire aux Noirs. Les religieux le conçoivent comme une punition divine, tandis que pour les tradipraticiens, il s’agit d’un sort. Les différentes significations accordées au concept de sida constituent autant de certitudes que les différents publics exposés aux discours se font du sida. Il apparaît que dans le cadre de la communication sur le sida, les acteurs ne s’accordent pas sur le contenu de l’objet de leur échange.

De manière générale, ces constats révèlent que la sensibilisation sur le sida (vih/sida) est caractérisée par la discordance des discours, véhiculant eux-mêmes des divergences symboliques. Ces divergences symboliques portent autant sur le concept même de sida, ses modes de contamination, que sur les méthodes de prévention.

Il apparaît, à travers ces constats, que la sensibilisation sur le sida (vih/sida), conçue comme processus d’information, s’est retrouvée happée dans un vaste processus de communication caractérisé par la discordance des discours. Cette mutation, du cadre de l’information vers celui de la communication nous sort de la perspective téléologique et rend inopérante toute recherche d’impacts ou des conditions d’efficacité de la sensibilisation, le discours dominant n’étant plus seul à rendre compte du sida. Le problème dès lors se trouve dans la relation entre l’objet de la communication (le sida) et les discours tenus sur cet objet.

Notre approche, parce qu’elle intègre aussi bien les discours dominants que les discours dominés, nous oriente vers l’analyse des contradictions soulevées par les différents discours développés dans ce processus. Pour le professeur Laurent-Charles BOYOMO ASSALA (cours de méthodologie à l’UFD, 2005) :

‘« Le discours situe le problème dans un champ symbolique et la symbolique peut devenir un problème en soi et changer la réalité ». ’

Pour Max WEBER, la réalité sociale est aussi un ensemble de rapports de sens et de ce fait, elle a une dimension symbolique.

La référence à ces deux penseurs nous oriente vers une approche phénoménologique. Peut-on avec une pluralité de discours divergents et inconstants, dans un contexte où une foule de questions sur le sida restent sans réponses pour un grand nombre d’acteurs, concevoir une communication qui permette de lutter contre cette pandémie ? Cette interrogation ne pose pas le problème de l’inefficacité de la communication qui a préoccupé bien des chercheurs. Elle relativise la pertinence de cette perspective. En effet, penser la communication en tant que moyen de lutte comme l’ont fait certains, revient à évaluer la communication à travers le comportement des acteurs. Or la communication et l’information procèdent de la production et de la transmission des connaissances, les comportements relevant plutôt de la personnalité des acteurs. La communication («  l’appareil de conversation ») comme l’affirment Thomas LUCKMANN et Peter BERGER (CORCUFF, 2002), rentre dans le processus de construction de la réalité. Il nous semble plus indiqué de rechercher l’interaction entre la communication et la réalité du sida au Cameroun.

Notre préoccupation majeure va se porter sur la relation entre le sida et les discours qui en rendent compte. Qu’est-ce qui explique la persistance de la pluralité des discours sur le sida malgré deux décennies de sensibilisation? Telle apparaît notre question principale de recherche. Decette question principale, nous tirons deux questions secondaires :

Le concept de sida se prête-t-il à une signification consensuelle et unique ou s’ouvre-t-il à des sens divers et multiples? En effet, si le sida est perçu dans une perspective objective comme une réalité ontologique, sur quoi reposent les débats entre hommes de sciences dont les canons de perception sont les mêmes ?

Qu’est-ce qui fonde les acteurs de la communication sur le sida à tenir tel ou tel autre discours ?