Revue de la littérature

La lutte contre le VIH/SIDA fait aujourd’hui l’objet d’une abondante production littéraire. Divers aspects de cette pandémie sont abordés dans cette intense réflexion. Dans le domaine de la communication, outre les travaux estudiantins, la plupart des ouvrages que nous avons consultés sont des revues internationales essentiellement produites par ou avec la collaboration du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) et de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS). A ces revues s’ajoutent des ouvrages généraux dont l’objet d’étude apporte un éclairage dans la construction théorique de notre problématique.

Parlant directement du sida, Cadre de communication sur le VIH/SIDA Nouvelle Orientation, un ouvrage produit avec la collaboration du Pennsylvania State University, part du même postulat que nous, à savoir que la communication sur le vih/sida pose problème. Mais à notre différence, ce document pose par hypothèse que la logique et la théorie des stratégies sur le VIH/SIDA doivent évoluer à partir des convictions et des valeurs de la population affectée  Cette hypothèse qui suppose la résistance des publics, est justement celle que nous avons évitée. Du fait de cette hypothèse, l’ouvrage tire comme conclusion que :

‘« Cinq domaines contextuels influencent de manière quasi universelle les efforts de communication visant à promouvoir des comportements favorables à la prévention du VIH/SIDA. La politique gouvernementale, le statut socio-économique, la culture, les relations entre les sexes, et la spiritualité » ONUSIDA/PENSTATE (2000, 2).’

Outre la délimitation contestable de ces domaines (les relations entre les sexes et la spiritualité ne font-elles pas partie de la culture ?) l’option culturaliste en a fortement limité les analyses. Ainsi, critiquant les théories et modèles préexistants, tournés vers la psychologie sociale, les rédacteurs affirment que :

‘« Les hypothèses (telles que l’individualisme par opposition au collectivisme) sur lesquelles ces théories et modèles se basent sont étrangères à de nombreuses cultures non Occidentales) ». ’

Penser que dans les sociétés non occidentales le collectivisme peut expliquer l’expansion du VIH reste contestable. En effet, l’individualisme, même s’il est vrai qu’il est plus marqué en Occident qu’ailleurs, n’est pas absent des sociétés non occidentales. Bien que nous ne nous soyons pas particulièrement intéressé à cette question, il nous semble cependant que l’individualisme prend de plus en plus le pas sur le collectivisme au Cameroun. Ensuite, la prise de risque face au sida est un acte aussi bien individuel que collectif (au moins à deux). En effet, dans nombre de cas, ce sont les amies qui décident souvent les jeunes filles à accomplir l’acte sexuel. Par ailleurs, la solidarité n’a d’impact que face aux concepts de stigmatisations et d’exclusion. Or ces derniers aspects sont observables au Cameroun pays non occidental où la solidarité demeure une valeur.

Toutefois, parce qu’il propose une nouvelle orientation du cadre de communication à appliquer au sein des nations, cet ouvrage apparaît d’une importance capitale puisqu’il nous révèle déjà que la communication sur le sida n’est pas statique. Par ailleurs nous y découvrons des axes de réflexion concordant avec notre posture. Il en est ainsi du doute formulé par les rédacteurs sur la capacité de la communication à déterminer les changements de comportement ou quand ils reconnaissent que les communautés locales rejettent ce qu’elles considèrent comme agression culturelle extérieure même si nous, nous préférons analyser ce phénomène dans le processus de communication. Enfin, nous souscrivons à cette affirmation de Graham SPANIER, PhD, Président du Pennsylvania State University et Dr Peter PIOT, Directeur exécutif ONUSIDA :

‘« La nouvelle approche présentée dans ce document montre qu’il est possible d’associer la communication interpersonnelle et les médias de masse dans des domaines clés de la prévention et des soins afin de réduire l’impact de la pandémie de VIH/SIDA » (2000, 5). ’

Nous pensons en effet que la communication interpersonnelle porte une énorme responsabilité dans la perception que les gens ont du sida au Cameroun. Nous voulons cependant nous démarquer de la perspective téléologique de cette citation. En effet, en postulant que la communication sur le sida se déploie sous forme de discussion entre discours normatif et discours discordants nous sortons de la recherche des finalités pour nous orienter vers les mécanismes de construction de l’objet même de la discussion (sida).

Dans le même sillage, Cadre conceptuel et base d’action : stigmatisation et discrimination associées au VIH/SIDA un ouvrage produit par ONUSIDA part de l’hypothèse que la stigmatisation et la discrimination, parce qu’elles créent des sentiments de culpabilité et de honte empêchent les gens d’accepter le test et favorisent la propagation du VIH/SIDA. De ce fait, les personnes vivant avec le virus du sida (PVVS), de peur de se faire suspecter, évitent de changer les comportements à risque. Pour ces raisons, combattre le vih/sida reviendrait à combattre la discrimination et la stigmatisation.

Tout en étant d’accord avec ces prémisses, quelques réserves sont à formuler. La discrimination et la stigmatisation ne surviennent que lorsque le virus est déjà contracté. Elles n’influencent pas la prévention mais l’étape de la prise en charge de la maladie. Réduire la lutte contre le VIH/SIDA à la lutte contre la discrimination et la stigmatisation nous semble quelque peu réducteur. Par ailleurs de notre enquête, il apparaît que la peur du test est beaucoup plus due à la peur de la révélation de « la mort imminente » qu’à la peur de la stigmatisation. Comme la plupart des autres productions d’ONUSIDA et les structures affiliées, les analyses ici sont basées sur les variables démographiques (âge, sexe, profession etc..) qui nous semblent peu pertinentes dans le cas de la lutte contre le sida, tout individu pouvant être affecté indépendamment de ces variables. Toutefois, parce qu’il indique l’orientation de la communication à appliquer au niveau des Etats, ce document est apparu important pour nous dans la formulation de notre problématique. En effet, nous y percevons l’un des mécanismes de construction de la réalité du sida à savoir les idées reçues de l’extérieur.

Enquête de surveillance de comportement face au VIH /SIDA auprès des adolescentes et adolescents du Cameroun est un document qui présente l’état du problème du VIH/SIDA au Cameroun depuis le diagnostic du premier cas en 1985. La diversité sociologique du Cameroun y est présentée en relation avec l’inégale expansion du VIH/SIDA. La province de l’Adamaoua (17,0%) et celle de l’Extrême nord (13,1%) sont les plus exposées avec un taux de prévalence supérieur à la moyenne nationale de la même période (environ 11%). A l’opposée, le Nord-Ouest (6%) le Littoral Douala exclus (6,2%) et dans une certaine mesure le Nord (9,6%) sont les provinces les moins exposées.

Le document affirme sans démonstration comme d’ailleurs la plupart des productions relatives à la lutte contre le sida que le principal mode de transmission est la transmission sexuelle qui représente 90% des cas de contamination, la transmission mère-enfant, les transfusions sanguines représentant ensemble 10%. Par ailleurs, les jeunes de 20 à 39 ans constituent la couche la plus touchée. Les actions de prévention lient à la fois : MST, VIH, sida et grossesses précoces. A la fin, le document constate que l’utilisation du condom reste faible 57%.

Les données présentées ici constituent un apport indéniable pour comprendre l’ampleur du phénomène du sida au Cameroun. Toutefois l’orientation des analyses sur les variables démographiques tout comme le lien entre VIH et sida d’une part, et d’autre part VIH, sida, MST et grossesses précoces est sujet à débat. La conclusion sur la faiblesse de l’usage du condom semble faire du préservatif une panacée, un point de vue que nous ne partageons pas. Tous ces éléments peuvent en eux-mêmes être pertinents, mais le lien ainsi établi dans un contexte particulier de lutte contre le sida pourrait prêter à équivoque.

Evelyne CHEVALIER dans Comment combattre le SIDA, un ouvrage de vulgarisation présente le sida et les méthodes de prévention à travers l’histoire illustrée D’ASTOU, un personnage féminin fictif. Mariée vierge, ASTOU contracte le VIH malgré sa fidélité et par la faute de son mari. C’est à sa septième grossesse qu’elle apprend qu’elle est séropositive. Le mari refuse de se prêter au test et après l’accouchement, elle perd son bébé contaminé par la transmission mère-enfant. Depuis lors elle demande à son mari de mettre un préservatif pendant les rapports sexuels. L’histoire s’achève sur l’espoir que le mari finira par accepter de faire le test.

L’ouvrage a l’avantage de présenter dans une forme accessible et dans un langage simple la réalité complexe du sida. On peut en effet supposer que cette méthode permet d’atteindre même la couche du public constituée des personnes de faible niveau d’instruction. Il n’échappe pas cependant à la critique de l’approche genre qui, non seulement ne garantit pas l’efficacité des messages mais aussi, semble absoudre les hommes. En effet, en affirmant que les femmes sont les plus exposées, les hommes pourraient s’imaginer qu’ils ont une sorte d’immunité naturelle. Par ailleurs, le fait qu’ASTOU ne soit informée de sa séropositivité qu’à la septième grossesse donne l’impression qu’il y aurait un lien entre le vih/sida et les maternités nombreuses, ce qui contribue à construire une réalité particulière du sida.

L’ouvrage s’achève par un test de connaissances constitué d’une série de questions abordant tous les aspects traités dans le récit : agent pathogène, modes de contamination, trithérapie etc. Il apparaît enfin de compte que Comment combattre le sida est le reflet du discours dominant. Il pourrait de ce fait nous aider dans l’analyse de ce type de discours.

Le sida est considéré comme une situation de risque et c’est dans cette perspective que s’inscrit La communication du risque d’Hugues HOTIER (2001). Sous ce titre générique s’enchaînent : un dossier de sept articles, quatre analyses, deux cas pratiques et deux interviews parlant de la communication du risque. De cette diversité d’angles d’approches et d’expériences, on retiendra que les enjeux de management du risque sont essentiellement des enjeux de communication. Mais cette communication peut aussi provoquer des effets néfastes si des mesures appropriées ne sont pas prises. Dans cette perspective, la communication, pour atteindre les objectifs de prévision, de prévention et de protection, doit être abordée en termes de transparence et de l’information du public, Denis REQUILLARTparle de : « Savoir plus, risquer moins ». Le médiateur dans ce contexte ne doit plus, comme dans la vulgarisation traditionnelle, réduire la complexité du monde, il doit la montrer. La communication du risque doit viser à atteindre l’adhésion du plus grand nombre d’acteurs d’où la nécessité de transparence.

La communication sur le sida s’inscrit bien dans le cadre de la communication du risque. Il faut cependant relever que le risque du sida est d’un genre tout à fait particulier. En effet, il s’agit selon le discours dominant, d’un risque à deux (ou à plusieurs) et basé sur des éléments de décision affectifs et émotionnels. Dans cette perspective le « processus d’objectivation » que propose Dominique POIZAT (prévision de tous les cas de figure) est irréalisable. En effet, dans la plupart des temps, le désir sexuel place les gens dans une situation de faiblesse, réduisant ainsi leur capacité de jugement. Par ailleurs, le risque du sida, à la différence des autres risques n’est pas apparent. C’est un risque dont l’évitement peut buter sur certaines valeurs telles que le désir d’avoir des enfants, l’interdiction de refuser d’entretenir les rapports sexuels avec son époux (surtout pour les femmes). Par rapport à la lutte contre le sida, le lien entre la communication et les mesures prises est difficilement réalisable, du moins dans l’étape de prévention. Par ailleurs, cet ouvrage garde la perspective balistique que nous remettons en cause dans le cas de la communication sur la lutte contre le sida.

La perspective téléologique affectée à la communication dans cet ouvrage est celle que nous réfutons parce qu’elle suppose une circulation linéaire de l’information. Par contre, Pierre PARLEBAS, dans Sociométrie et communication, adopte une position différente. Après avoir passé tour à tour au crible les limites méthodologiques de Jacob Lévy MORENO le géniteur de la sociométrie, Pierre PARLEBAS relève les atouts d’une discipline qui a eu le mérite de traduire en variables quantifiables, les relations socio-affectives que seules les analyses qualitatives essayaient de rendre intelligibles.

Grâce au questionnaire sociométrique, il devient possible de comprendre les phénomènes d’attraction et de rejet dans un groupe et partant, la constitution des sous-groupes et l’émergence de leaders. L’analyse des données sociométriques rend visible le concept d’empathie qui est la capacité d’un individu à prédire ou mieux, à anticiper sur les sentiments d’autrui. Par rapport à notre préoccupation qui est la communication sur le sida au Cameroun, le volet communication informelle trouve là un cadre théorique intéressant. En effet, les concepts de proximité et de centralité développés ici permettent de cerner avec précision le jeu des influences dans la communication interpersonnelle. Il relève à cet effet : « Les propriétés de voisinage et de distance jouent un rôle capital dans les problèmes de communication » (p 182). C’est la prise en compte de ces influences de proximité qui nous a permis de mettre en évidence l’importance de la communication interpersonnelle. A cet égard, sociométrie et communication vient renforcer la théorie du two step flow of communication de Bernard BERELSON, William N. Mc. PHEE, Paul LAZARSFELD et Elihu KATZ.

Il faut cependant relever que la sociométrie, bien qu’elle soit comme le relève P. PARLEBAS un « hymne à la communication » (p 36), va au-delà de la communication classique. Elle embrasse les aspects plus vastes tels que les choix et les rejets relationnels, l’empathie, le leadership etc. qui n’entrent véritablement pas (du moins directement) dans nos préoccupations. Il en est de même de toutes les représentations graphiques et autres calculs mathématiques des relations socio-affectives développés ici.

Au plan purement théorique, L’archéologie du savoir apparaît comme un ouvrage de référence pour notre travail. Michel FOUCAULT part de l’observation selon laquelle l’histoire ancienne s’est longtemps appuyée sur des analyses structurales, recherchant les grands équilibres (sur de longues périodes) de nature à  resserrer tous les phénomènes autour d’un centre unique. Pourtant, observe l’auteur, en dessous du long terme, il y a de nombreuses séquences qui sont recouvertes et ignorées. Le découpage du temps en longues séquences, de l’avis de l’auteur, ne permet pas de reconstituer les diverses mutations subies par un phénomène. Pour lui, tout se passe comme :

‘« Si l’histoire de la pensée pouvait demeurer le lieu des continuités ininterrompues, si elle nouait sans cesse des enchaînements que nulle analyse ne saurait défaire sans abstraction… » (p.21) ’

L’histoire actuelle par contre :

‘« Déploie une masse d’éléments qu’il s’agit d’isoler, de regrouper, de rendre pertinents, de mettre en relation, de constituer en ensembles » (p.15) ’

Le problème qui se pose désormais est celui de la constitution des séries, d’en définir les éléments, d’en mettre les bornes, et de définir les relations qui unissent ces éléments dans une série.

A cette mutation, l’auteur relève entre autres conséquences, l’apparition de problèmes méthodologiques dont : la constitution d’un corpus cohérent et homogène de documents ; l’établissement d’un principe de choix ; la définition du niveau d’analyse ; la spécification d’une méthode d’analyse ; la délimitation des ensembles et sous-ensembles et enfin, la détermination des relations qui permettent de caractériser un ensemble.

Ce sont ces questions méthodologiques qui constituent la substance de l’ouvrage. Pour s’en tirer, Michel FOUCAULT, dans un cadre structuraliste nouveau (il se garde de transférer au domaine de l’histoire :

‘« Une méthode structuraliste qui a fait ses preuves dans d’autres champs d’analyse », il se garde aussi « d’utiliser des catégories des totalités culturelles [...] pour imposer à l’histoire et malgré elle, les formes d’analyse structurale » mais il avoue que « la théorie qui va s’esquisser maintenant, essaye de formuler en termes généraux […] les instruments que les recherches antérieures ont façonnés pour les besoins de la cause »). (1969, 25-26)’

La nouvelle approche de Michel FOUCAULT consiste à suivre les enquêtes sur : la folie et l’apparition d’une psychologie, la maladie et la naissance d’une médecine clinique, les sciences de la vie, le langage et l’économie. Il suit particulièrement l’éclairage progressif qu’elles ont reçu à mesure que se précisaient leur méthode et la découverte du point de sa possibilité historique.

Ce cheminement, à notre sens, s’apparente à la perspective constructiviste que nous avons adopté. Mieux, le matériau d’analyse de Michel FOUCAULT étant le discours, il nous apparaît intéressant d’observer comment ce penseur procède dans le découpage de ses unités, la définition du niveau d’analyse, la délimitation des ensembles et sous-ensembles et dans la détermination des relations qui permettent de caractériser ces ensembles. A cet effet, nous le suivrons particulièrement dans la recherche des

‘« Jeu(x) des règles qui rendent possible pendant une période donnée l’apparition et la transformation d’objets ». (Op.cit, 26) ’

Nous nous intéresserons également à ce qu’il appelle : la loi de répartition, la formation des modalités énonciatives (qui parle ? D’où parle-t-il ? Quel est son statut ?). Enfin, la normativité (critères qui permettent d’exclure certains énoncés ou d’en admettre de nouveaux), la formation des concepts et la formation des stratégies sont des axes qui nous aideront à opérationnaliser notre analyse. Par formation des concepts, nous entendons outre ce qui a été formulé ailleurs et admis comme vérité (champ de présence) mais aussi les différentes procédures d’intervention (techniques de réécriture, méthodes de transcription, modes de traduction, etc.). La formation des stratégies enfin se réfère à tout ce qui permet de montrer comment diverses formations discursives dérivent d’un même jeu de relations.

Tous ces apports et bien d’autres font de l’archéologie du savoir l’un des ouvrages de référence sans lequel notre travail n’aurait pu se réaliser.