A.1.1- Réalité objective

La première approche dite objective fonde la perception de la réalité sur les sens (approche dite naïve). L’approche objective perçoit la réalité comme une entité figée et immuable sur laquelle « butte » la perception sensible. Pour Richard DAWKINS 2 la réalité est ce qui vous riposte quand on donne un coup de pied dedans (« Reality is what can kick back »). Parce que l’approche objective perçoit la réalité comme extérieure au sujet percepteur, elle lui accorde un statut de censeur. C’est la réalité qui sanctionne et même censure les perceptions subjectives du monde. Dans ce sens la réalité est appréciée par rapport aux concepts de justesse et de fausseté. Une perception sera dite juste si elle est jugée « conforme » à la réalité et fausse dans le sens contraire. Pour Richard DAWKINS, l’approche objective est la seule qui permette de distinguer la réalité de l’illusion sans discussion possible.

Sanction et censure vont de pair dans la perception objective de la réalité. En effet, une perception jugée non conforme à la réalité est aussitôt frappée d’interdit, et considérée comme fausseté, erreur ou illusion. Sanction et censure sont convoquées aussi bien dans les sciences que dans l’acquisition empirique des connaissances sur le monde qui nous entoure.

L’approche objective revêt une posture magistrale et se ferme au débat quand au fond du problème c’est-à-dire sur la nature de la réalité. Cependant, cette posture magistrale ouvre la voie à des débats de niveau inférieur, portant, ceux-là, sur la maîtrise des outils ou éléments de sanction (Qu’est-ce qui permet de juger une perception comme conforme ou non à la réalité ?). Ces débats portent aussi bien sur le statut des acteurs (qui a compétence pour juger ?) que sur les outils d’appréciation (les sens, les instruments technologiques). Dans ce dernier cas, le problème est celui de leur fiabilité. Seulement, les sens, comme l’observe DESCARTES sont trompeurs et peuvent, de ce fait, constituer une source d’illusion. Parce que le sensible est changeant, la contradiction issue de la variation des relations que nous avons avec une même réalité rend cette dernière problématique. La réserve ainsi formulée sur les sens peut s’étendre aux instruments technologiques qui sont en réalité des prolongements des sens.

Les débats portant autant sur les acteurs que sur les instruments posent le problème de la perception de la réalité. Comment en effet percevoir ce qui existe (la réalité) indépendamment du sujet ? Max PLANCK dans l’image du monde dans la physique contemporaine affirme que l’ensemble du monde qui nous entoure ne constitue rien d’autre que la totalité des expériences que nous en avons. Sans elles, précise-t-il, le monde extérieur n’a aucune signification. Il apparaît ici un lien indissociable entre la réalité et le sujet qui appréhende cette réalité. Pour Max PLANK, il n’y a pas de réalité sans le sujet percepteur.

La réalité objective, celle qui est détachable du sujet, n’existe que pour autant qu’elle est perçue par le sujet. Mais comme nous l’avons relevé avec DESCARTES, les sens et même leurs prolongements technologiques sont souvent sources d’illusion. Un avion dans les airs nous apparaît tout petit quand nous l’observons à partir du sol. Une fois rendu à notre niveau, cet appareil nous apparaît très grand. Cet exemple nous présente deux aspects différents d’une même réalité, autant dire deux réalités différentes d’une même réalité. Ainsi, pour un observateur qui n’a jamais vu un avion posé sur le sol et qui ne l’aperçoit que dans les airs, l’avion est tout petit, moins gros qu’un oiseau ; c’est la réalité de l’avion pour lui. Toutefois, est-ce parce que le monde qui nous entoure est perçu par différents points de vue qu’il n’a rien d’homogène pour les différents sujets ?

En reprenant l’exemple de l’avion, s’il est admis par tous que l’avion est un gros appareil, c’est qu’il y a un consensus entre ceux qui l’ont déjà vu au sol et ceux qui ne l’ont aperçu que dans les airs. Ainsi tous les acteurs ne passent pas nécessairement par les mêmes expériences. A travers un jeu de rôles véhiculé et entretenu par la communication, il y a un consensus sur l’appréhension de la réalité, les uns acceptant les expériences des autres. Les statuts et jeux de rôles peuvent être basés soit sur la science soit alors sur des valeurs culturelles.

Par rapport aux valeurs culturelles, l’âge apparaît comme un critère de compétence dans nombre de cultures dont les cultures camerounaises. Ce principe se fonde sur le postulat selon lequel, l’expérience est fonction du temps (l’âge). Les plus âgés sont ceux qui ont le plus vu (des choses et des situations) pour dire ceux qui ont la plus grande expérience de la vie. Quand le plus âgé affirme une chose, c’est sur la base de sa grande expérience. Le cadet lui fait foi sur cette base.

L’âge n’est pas l’unique critère de compétence dans les cultures africaines (dont celles du Cameroun) la spécialisation professionnelle confère également à certains individus plus de crédibilité dans les domaines de leur spécialité. Ainsi, un forgeron sera plus écouté qu’un pêcheur sur les propriétés du fer. Ce dernier sera par contre plus écouté que le premier quand leurs propos porteront sur les réalités aquatiques.

Dans le domaine de la science, les critères ne sont pas les mêmes. La spécialisation apparaît comme un critère majeur dans la reconnaissance de la compétence d’un acteur. Un physicien quelque soit son grade ne saurait tenir des propos crédibles dans le domaine de la biologie s’ils sont en contradiction avec ceux d’un biologiste. Certes l’argumentation du spécialiste est basée sur la rationalité scientifique mais la même rationalité perd son crédit dès lors que la communauté scientifique ne reconnaît plus à priori la compétence de l’acteur ou du sujet argumentant. Pierre BOURDIEU estime que le consensus se forme à travers un rapport de pouvoirs.

Par rapport au temps, la science ne reconnaît pas le critère de l’âge en tant que durée d’existence de l’acteur. La science reconnaît l’ancienneté perçue comme durée d’expérience ou d’études. Au critère d’ancienneté se superpose le grade qui peut être admis comme reconnaissance communautaire de l’expérience. Ainsi à durées d’expérience (ancienneté) égales, le sujet qui présentera le grade le plus élevé sera le plus crédible. Le grade n’est pas le seul critère de reconnaissance, les prix et autres distinctions accordées aux hommes de sciences renforcent la crédibilité des éléments de connaissance qu’ils proposent à la communauté. Ce que dira un Prix Nobel dans une discipline scientifique a valeur de vérité et ne peut être remis en cause par le premier venu dans le domaine concerné, malgré la pertinence des propos de ce dernier.

Notes
2.

Définition de Richard Dawkins in Réalité – wikipedia le 31/10/2005