A.2.1- L’expression de la vacuité

Le nom sida apparaît au tout début des années 80 (80 – 81). Il s’agit d’un acronyme issu du sigle SIDA pour dire Syndrome immunodéficitaire acquis. Le concept syndrome immunodéficitaire acquis définit l’affection par les symptômes et par l’état de l’organe affecté. Par syndrome, il faut entendre : un ensemble de symptômes ; le terme immunodéficitaire indique que ces symptômes résultent de la déficience immunitaire. En d’autres termes, c’est le fait que le système immunitaire du patient est réduit à l’incapacité, qui ouvre la voie à ces symptômes. Le dernier terme (acquis) précise que cette déficience immunitaire n’est pas héréditaire, elle survient au cours de la vie de la personne affectée.

Il reste un vide relatif à l’agent pathogène (Qu’est-ce qui est la cause de la déficience immunitaire ?) De même, s’il est assez facile d’admettre que les symptômes qui constituent le syndrome résultent de la déficience immunitaire, la question de la spécificité de ces symptômes reste sans réponse. En effet, le sida, à la différence des autres affections n’est pas un dysfonctionnement direct des organes. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une perturbation qui affecte directement l’organisme comme par exemple la destruction des globules rouges par le plasmodium dans le cas du paludisme. La destruction du système immunitaire n’est mise cause que parce que l’organisme reste sans défense face à tout autre agent pathogène qui, dès lors, peut agir directement sur l’organisme sans être combattu, ce que les biologistes appellent maladies opportunistes. Il en résulte que les symptômes qui vont apparaître seront ceux des maladies opportunistes. En d’autres termes il y aura autant de symptômes que de maladies opportunistes. Le problème qui se pose à ce niveau est que ces maladies continuent à sévir indépendamment du sida. La tuberculose, par exemple associée au sida dans certains messages de sensibilisation au Cameroun, est pendant la même période diagnostiquée chez des personnes non identifiées comme porteuses de virus du sida.

Par ailleurs, la déficience immunitaire qui apparaît comme l’une des caractéristiques majeures dans la définition du sida n’est pas elle aussi spécifique du sida. Des chercheurs de différents bords admettent que la déficience immunitaire peut être due à de multiples causes. Dans ce cas, chacune de ces causes peut laisser l’organisme atteint à la merci de toutes infections opportunistes, ce qui correspond à la définition du sida. On comprend mieux l’idée de sida sans virus, nombreuses causes d’immunodéficience n’étant pas virales.

De ce qui précède, il apparaît que le sida se définit par les symptômes or ces symptômes sont ceux des maladies opportunistes qui continuent cependant à sévir indépendamment du sida. Dans ce sens le mot sida apparaît quelque peu creux, sans contenu précis. La saisie qu’on en a, dans ces conditions, ne peut être que vague et imprécise et l’on peut affirmer que le mot sida exprime l’impasse, l’indicible, l’incompris. Il s’agit de la description d’un phénomène qui semble avoir pris la communauté scientifique de court. Seulement, la science a pour objectif fondamental, la réduction de l’incertitude. C’est donc tout naturellement que la recherche va s’activer sur cet objet et que par conséquent des voix discordantes vont s’élever, discordance qui fonde notre travail. La discordance en question ici ne repose par le rejet par certains acteurs de l’existence du sida ; elle repose sur l’explication que ces acteurs proposent à ce phénomène. Il convient de relever que de ces différents discours, il apparaît un accord tacite sur l’existence du sida.

Parce que le sida ne peut se définir de manière précise à travers les symptômes, c’est tout naturellement, et conformément à la structure taxinomique des sciences médicales que l’attention des chercheurs va être portée vers l’agent pathogène. Celui-ci sera découvert en 1983 deux à trois ans après l’apparition de l’affection. Le virus d’immunodéficience humaine (VIH) est alors identifié comme cause de ce syndrome imprécis et on parlera désormais de VIH/SIDA.

L’agent pathogène VIH du sigle SIDA, loin de réduire la vacuité observée précédemment, semble en rajouter. Contrairement aux symptômes qui se constatent à vue d’œil, il faut recourir à des tests pour identifier le VIH. Théoriquement, ce postulat aurait dû conduire vers plus de certitude, l’examen de laboratoire étant crédité de plus de précisions que la vue et les autres sens requis dans l’auscultation pratique. Seulement les tests ont eux-mêmes été remis en cause dès leur application en Afrique. Dans son édition du 14 au 15 février 1998, Cameroon Tribune publie un article intitulé : Sida en Afrique certains diagnostics étaient faux. La qualité des tests apparaît ici comme la principale cause de ces diagnostics faux. Dès cet instant, un seul test ne suffira plus ; il en faudra au moins un autre pour la confirmation du diagnostic. Par ailleurs, un nouveau type de questionnement surgit avec l’adjonction du volet VIH au sida. C’est quoi le sida : sont-ce les symptômes, les maladies opportunistes ou bien le résultat positif au test VIH trivialement appelé test de sida ?

Avec la recomposition du nom VIH/sida, l’appréhension de cette affection glisse progressivement des symptômes aux résultats positifs aux tests de VIH. Plutôt que d’évoluer vers l’identification de l’affection, c’est la confusion qui s’est agrandie. Ainsi, le seul fait d’avoir un résultat positif au test de VIH suffit désormais pour étiqueter la personne comme atteinte de sida. Pourtant, d’après les explications des spécialistes, la séropositivité signifie simplement que l’organisme de la personne concernée a déjà été attaqué par le virus du sida. Le test révèle la présence des anticorps émis par le système immunitaire de cette personne. Comme le postulat de base admet que le VIH est irrésistible, l’on admet en conséquence qu’à la longue, cet organisme sera vaincu et la personne concernée aura alors le sida. L’on comprend un message de réconfort élaboré par le comité national de lutte contre le sida (CNLS) qui dit : « être séropositif n’est pas être condamné ». L’intention perceptible de ce message est de réduire la confusion ainsi établie entre la séropositivité qui théoriquement peut être assimilée à la période d’incubation et le sida qui est l’étape de la maladie.

Au total, parce que le sida se définit, en fonction des symptômes qui par contre ne lui sont pas spécifiques, parce que l’attention portée sur l’agent pathogène (le vih) assimile ce dernier à la maladie, le sida apparaît comme un concept creux, un concept qui exprime une absence de contenu.