A.2.4- En guise de conclusion

Le concept de réalité n’est pas aisé à saisir. Une première approche considère la réalité comme ce qui est, indépendamment du sujet ; ce qui nous résiste quand on donne un coup de pied dedans pour parler comme Richard DAWKINS. La perception de la réalité comme quelque chose de figé et d’objectif, c’est-à-dire, détachable du sujet, est critiquée par certains analystes. Pour eux, la réalité ontologique est inconsistante puisque rien n’existe en soi sans une conscience qui en rende compte. En d’autres termes, ce qui est, ne l’est que parce que nous en avons conscience. Cette deuxième perspective établit une fonction entre réalité et langage. Le discours dans cette perspective est, dans sa structure, créateur de réalité. C’est dans cette perspective que le sida a été présenté par les discours dominants dès son apparition au début des années 80. Il s’agit selon les discours dominants, d’une maladie, au même titre que les autres affections connues, qui est due à un virus appelé VIH et qui se transmet par voie sexuelle et par le sang. Pour faire admettre cette réalité, des cas de maladies ont été présentés, des décès attribués au sida montrés, et les médias ont diffusé des images des personnes atteintes de cette maladie.

Il est à noter que le sida, autant que toutes les autres affections n’est pas un objet physique qu’un observateur pourrait déceler par les sens. Sa perception dans ce sens cadre moins avec la perspective objective de la réalité. Certes, on peut objectivement diagnostiquer une affection à partir de ses symptômes (perceptibles par les sens), ou par l’identification de l’agent pathogène qui a une existence physique et palpable mais les contradictions relevées sur les différents critères de définition du sida en n’ont fait beaucoup plus une réalité construite. Les certitudes établies par la suite participent de la construction progressive de cette réalité. Par construction ici, il ne s’agit pas de l’affabulation mais de la manière dont la représentation de l’objet s’est progressivement affinée dans le temps.

En tant que réalité construite, la perception que les acteurs camerounais ont du sida n’est pas figée, elle s’étoffe à mesure que des éléments nouveaux s’ajoutent (nouvelles découvertes, contradictions, etc.). Il en résulte non pas un construit homogène mais une réalité plurielle dépendant des cadres perceptifs qui l’appréhendent. Cependant, il en existe une, majeur et dominante, produite par les acteurs scientifiques. Celle-là se veut orthodoxe, les autres étant frappées d’hérésie et contraintes à la clandestinité. Notre analyse s’attellera à mettre au jour, les mécanismes de construction de cette réalité sous la double action des acteurs de la logique dominante et ceux de la dissidence. Si pour les théories constructivistes la construction de la réalité s’appuie sur les thèmes, et autres constructions du passé, ce que Michel FOUCAULT appelle champ de présence, qu’est-ce qui, dans ce sens, a présidé à la construction de la réalité du sida au Cameroun ?