C.3- Les autres acteurs

Nous regroupons sous le titre « les autres acteurs » tous ceux qui prennent part à la communication sur le sida au Cameroun sans correspondre aux deux types majeurs que nous venons de décrire dans les sous sections A et B précédentes. Nous incluons : les spécialistes hors contextes et tous les anonymes.

C.3.1- Les spécialistes hors contexte

Par spécialistes hors contexte, il faut entendre, les personnes dont les compétentes sont reconnues dans un domaine précis de la connaissance mais qui s’adressent hors de ce champ de connaissances, tout en se fondant sur les compétences qui leur sont reconnues. C’est le cas par exemple d’un journaliste spécialisé sur les problèmes de santé qui se substitue au biologiste pour expliquer la nature et le fonctionnement du sida.

De manière générale, le spécialiste hors contexte a une posture dominante. Il se présente comme seul détenteur du savoir qui fait défaut à ses interlocuteurs. Ces derniers ne lui contestent d’ailleurs pas ce statut de savant. Le discours que tient le spécialiste hors contexte ne souffre pas de la moindre contestation. Dans le cas de la communication sur le sida, les spécialités concernées par ce cadre d’analyse sont : les enseignants de biologie, les journalistes et les religieux. Seulement, les contextes dans lesquels ces spécialistes s’expriment ne manquent pas de les influencer et les discours qu’ils y tiennent peuvent se retrouver biaisés.

  • Les enseignants de biologie

Parce qu’ils comprennent d’une part, le fonctionnement des cellules de l’organisme humain et d’autre part, l’action des bactéries et des virus, les enseignants de biologie, se présentent à tous ceux qui n’ont pas suivi des études dans ce domaine comme des spécialistes compétents pour parler du sida. Les connaissances générales qu’ils ont sur les virus suffisent pour qu’ils parlent avec autorité du sida aux autres membres de la société. Dans une émission télévisée de la CRTV, un jeune a déclaré que son professeur de biologie leur avait dit en classe que le condom ne protège pas contre le sida parce que le condom a des pores à travers lesquels les virus du sida peuvent passer. Le discours des enseignants de biologie ne souffre pas de contradiction de la part de ceux qui n’ont pas fait des études de biologie. Ils n’expliquent le sida que par rapport au discours dominant. Nos entretiens avec ce type de personnel révèlent une culture un peu plus étendue que celle du personnel médical. L’explication pourrait se trouver sur le fait qu’à la différence des infirmiers et des médecins qui ont été plus conditionnés par le discours dominant, les enseignants sont un peu plus ouverts à d’autres courants de pensée.

De manière générale, les connaissances sur les bactéries et les virus, autant que celles concernant le fonctionnement de l’organisme humain, confèrent aux enseignants de biologie une autorité pour parler du sida. Cette autorité n’est cependant pas institutionnellement reconnue par l’autorité médicale (Ministère de la Santé Publique et le CNLS) qui continue à considérer le sida comme un problème médical et de ce fait réservé à la seule compétence du personnel médical.

  • Les journalistes

Dans leur formation, les journalistes camerounais ne reçoivent pas de cours de biologie. Seule une promotion de spécialistes (1992-1994) a été formée sur les questions de santé et d’environnement. Cependant, malgré cette lacune, les journalistes, au quotidien, travaillent avec des médecins et autres hommes de sciences parlant du sida. Pour en avoir entendu parler par différents spécialistes, les journalistes finissent par se bâtir eux aussi une compétence sur ce sujet.

Bien que se contentant souvent des généralités, les journalistes apparaissent aux yeux du grand public comme la source des informations diffusées dans les médias. Cette conception du rôle du journaliste finit par lui conférer une compétence illimitée. Ainsi, le journaliste parle avec autorité, aux yeux du grand public, de tous les sujets, dont le sida. Le fait que les journalistes abordent différents sujets les expose à divers courants théoriques sur le sida. C’est par les média (BBC) que nous avons appris par exemple qu’un chercheur d’origine britannique (Edward HOOPER journaliste par ailleurs) avait publié un livre dans lequel il postule que le sida résulterait de l’échec d’un essai vaccinal effectué dans les années 57-60 dans la région des grands lacs africains.

Les journalistes, plus que d’autres acteurs y compris le personnel médical, ont été au courant des discours contradictoires au discours dominant sur le sida. L’accès aux informations contradictoires et surtout leur diffusion, met souvent les journalistes en contradiction avec le discours dominant. Dans ce cas, l’autorité médicale a tendance à leur opposer la censure. Ces opérations de censure au contraire, renforcent la crédibilité des journalistes aux yeux de la masse qui pense que les autorités politiques cherchent toujours à cacher la vérité.

En définitive, le personnel médical, les enseignants de biologie et les journalistes sont admis par la masse comme des acteurs disposant des connaissances sur le sida. Leurs discours suscitent généralement l’adhésion des acteurs de la communication sociale sur le sida moins instruits dans le domaine de la biologie. Cependant, les journalistes apparaissent comme le type susceptible de délivrer les discours les moins certains. Ce constat révèle l’important rôle des leaders d’opinion dans la transmission des messages, rôle mis en évidence par Paul LAZARSFELD, Bernard BERELSON et Elihu KATZ dans leur théorie du two step flow of communication.