A.1- Les hôpitaux

L’hôpital est comme l’affirme Michel FOUCAULT le « lieu d’une observation constante, codée, systématique, … » C’est l’hôpital qui, à partir des symptômes que présente le patient identifie le type de maladie dont souffre ce dernier. Dans ce sens, c’est l’hôpital qui révèle au patient qu’il souffre du sida ou qu’il est sur le point d’en souffrir. Il peut s’agir d’une conclusion tirée d’une simple auscultation, du résultat de l’analyse des examens de laboratoire ou des deux à la fois.

Parce que les hôpitaux sont les lieux où exercent les médecins qui ont été les premiers à être sensibilisés sur l’existence du sida, ils constituent l’espace de rencontre entre les connaissances accumulées sur les symptômes et sur les maladies dont ces symptômes sont la manifestation. Le premier diagnostic est établi à l’hôpital (Yaoundé), constituant ainsi la base du discours sur l’existence effective du sida au Cameroun. C’est à l’hôpital que le patient qui présentait les symptômes similaires à ceux des affections connues (paludisme, fièvre typhoïde, etc.) découvrait qu’il était plutôt atteint du sida, perçu alors comme une nouvelle maladie. Un auditeur de la CRTV affirme le 03 octobre 2007 dans une émission interactive (CRTV M’accompagne) qu’il était atteint d’hépatite ; il s’est rendu à l’hôpital provincial du Nord à Garoua (Nord Cameroun). Après un simple regard, le médecin lui a demandé s’il n’était pas atteint du sida. A cette question il s’est senti frustré, néanmoins il s’est soumis au test de vih qui s’est révélé négatif. Cette anecdote révèle l’état d’esprit dans les hôpitaux camerounais depuis la découverte du sida. Le personnel qui y travaille (médecins et infirmiers) semble voir le sida partout.

Les hôpitaux camerounais ne sont pas un simple espace où les médecins et les infirmiers établissent des diagnostics après auscultation du malade ou après analyse des résultats de laboratoire ; il s’agit des espaces parlants. A Yaoundé certaines formations sanitaires telles que l’Hôpital central et certains dispensaires publics de quartiers ont des murs peints des graffitis visant, soit à indiquer les méthodes de prévention contre le sida, soit à montrer les ravages causés par cette affection. Au discours verbal du personnel médical se double ce discours iconographique. Par ailleurs certains pavillons ont été spécialement réservés à des cas de sida. Le simple fait d’y affecter un malade signifiait que ce malade était atteint de sida.

Au Cameroun, les hôpitaux ne sont pas uniquement le lieu de développement d’un discours monolithique (le discours médical). En effet entre patients, entre patients et gardes malades et même entre infirmiers et malades, se développent souvent d’autres discours, parfois contraires au discours médical. Bien des malades abandonnent souvent leur lit d’hospitalisation pour retrouver des guérisseurs traditionnels, parce qu’un parent ou un ami, venu leur rendre visite à l’hôpital, a pu les convaincre que la maladie dont ils souffrent n’est pas le sida, malgré le diagnostic médical. Certains malades ont abandonné leur lit d’hôpital parce qu’ils auraient appris d’un voisin de lit, d’un garde malade ou même d’un infirmier, que le sida se soigne en médecine traditionnelle.

L’hôpital est le lieu où la maladie est entreposée .Pour parler comme Michel FOUCAULT : «  L’Hôpital, comme la civilisation est un lieu artificiel où la maladie transplantée » (1963,15). Parce que la maladie est localement fixée à l’hôpital, elle y attire tous les regards possibles. Au Cameroun, les regards sur la maladie sont variés et tiennent aux différentes conceptions culturelles de la vie. Or chaque regard, chaque perception culturelle de la vie et, par conséquent, de la maladie, développe un discours particulier. Il en résulte que l’hôpital au Cameroun est le lieu d’expression d’une pluralité des discours.

Les différents discours qui se tiennent à l’hôpital n’ont pas le même statut. Le discours médical y est dominant alors que tous les autres qui s’en écartent sont dominés et se développent de manière clandestine. La clandestinité des discours dominés n’implique pas cependant leur faible capacité de persuasion ; bien au contraire, certains discours dominés sont très persuasifs, c’est ce qui explique les désertions des lits par certains malades.