A.3- Les morgues et lieux de deuils

La morgue et les lieux de deuils sont des espaces d’expression de l’échec de la médecine d’une part, et, d’autre part, de la victoire de la maladie. Les discours tenus à la morgue se rapportent davantage à la victoire de la maladie qu’à l’échec de la médecine. En effet, les préoccupations à la morgue se portent essentiellement sur les causes du décès (maladie ou accident). La morgue, à l’image de l’hôpital est également un lieu où s’accumule la maladie. Mais à la différence de l’hôpital, qui tend à réduire la maladie en lui opposant des traitements supposés la vaincre, la morgue tend à accorder à la maladie un aspect redoutable, un aspect d’invincibilité.

La morgue donne lieu à des discours polyphoniques. En effet, à la morgue s’entrecroisent les différents regards sur la maladie, sur la vie et sur la mort. Chacun de ces regards a son interprétation du fait pathologie et partant, de la mort. Si pour les sciences médicales la mort est l’aboutissement de l’action destructrice des agents pathogènes qui ont infecté l’organisme, le regard africain par contre postule que la mort est le résultat de l’action des puissances occultes ou un voyage au pays des /bekón/. Le discours religieux considère la mort comme un « appel » de Dieu.

Dans le cas du sida, la morgue offre l’occasion des constats sur la létalité du sida. C’est à la morgue que les statistiques sur le nombre de décès dus au sida sont établies. La morgue apparaît dès lors comme un lieu privilégié de construction des discours sur le sida. Si l’hôpital apparaît comme le lieu de la formulation des hypothèses sur le sida, la morgue apparaît comme un autre lieu de validation de l’hypothèse médicale. Un séropositif qui meurt est considéré d’office comme une victime du sida. De la même manière, à la morgue on pourrait se rappeler que le défunt avait posé tel ou tel acte susceptible de provoquer la colère de Dieu ou des sorciers cannibales.