C.4-1 Les morgues

Les morgues sont des espaces semi ouverts, capables de recevoir plusieurs dizaines voir des centaines personnes. On s’y rend généralement deux fois : pour le dépôt du corps et pour la levée. Généralement le dépôt est plus discret. Il est effectué par quelques personnes seulement (les plus intimes). Cette phrase n’offre pas de grandes occasions de parole.

Lors de la levée de corps par contre il y a une affluence. La rencontre entre des dizaines ou des centaines de personnes offre une grande possibilité d’échange de paroles. De ces échanges, les causes du décès sont généralement abordées. Les personnes qui s’y trouvent impliquées sont les parents et les amis (les collègues, les voisins ou même des inconnus, justes attirés par le deuil). Il n’y pas de rapport hiérarchique. Les discours qui s’y développent sont majoritairement des discours populaires même si certains peuvent s’appuyer sur une version officielle (le diagnostic médical). Les discours dominés dans ce cas tendent généralement à relativiser les diagnostics se rapportant au sida. La composition sociologique de la population présente à la morgue lors de la levée étant généralement à prédominance familiale, c’est la logique culturelle qui va orienter les arguments. Les causes de la mort dans ce cas sont généralement trouvées dans les rivalités familiales au village (même si le défunt n’y allait pas), avec les voisins du quartier ou dans son milieu professionnel. Les parents ne révèlent presque jamais aux visiteurs les décès dus au sida. Nous avons entrepris de suivre (certes pas de manière systématique) les avis de décès à la radio et dansCameroon Tribune, nous n’en avons trouvé aucun évoquant le sida comme cause du décès.

Généralement on parle de « poison lent » pour laisser entendre que la victime avait été empoisonnée par un produit à faible virulence mais qui finit par tuer lentement. D’autres parlent de fièvre typhoïde. Il s’agit des causes qui ne subissent pas la stigmatisation, le sida étant toujours perçu comme une maladie du péché et de la honte.